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A l'occasion de la diffusion de la série Django avec Matthias Schoenaerts sur Canal+, retour sur l'histoire de l'icône du western spaghetti.

Nous republions notre dossier en deux parties sur l'histoire de Django, ce personnage né en 1966 au cinéma et pas mal transformé depuis. Jusqu'à sa nouvelle incarnation en série télé (diffusée dès maintenant sur Canal+-, où le pistolero a désormais les traits de Matthias Schoenaerts, dix ans après avoir été réincarné par Jamie Foxx pour Quentin Tarantino dans Django Unchained.


 

Il était une fois en Italie
Lorsque sort le tout premier Django en avril 1966, il ne sort pas de nulle part comme son héros. Son réalisateur, Sergio Corbucci, a fait comme son ami Sergio Leone ses armes sur les péplums italiens, forgés dans les studios romains de Cinecittà. Un jour, Leone doit remplacer Mario Bonnard - tombé malade - à la tête des Derniers jours de Pompéi (1959), et bombarde Corbucci réalisateur de seconde équipe du film : "il s'est chargé des scènes de foule et de cirque", d'après Leone. Qui lui confie ensuite la réalisation de Romulus et Rémus en 1961 : c'est dans les décors espagnols de ce péplum que Corbucci rêve, déjà, d'un western à l'italienne. Il met en boîte sous le pseudonyme de Stanley Corbett le très plat Massacre au grand canyon en 1963 où deux familles se disputent le contrôle d'une ville, puis en 1964 L'Homme du Minnesota (Minnesota Clay) où Cameron Mitchell joue le dernier combat d'un pistolero devenant aveugle. Sans grand succès. Mais surtout, d'après Corbucci, c'est lui qui a vu Le Garde du corps (Yojimbo) d'Akira Kurosawa et a suggéré ensuite à Leone l'idée d'en transposer l'intrigue (un guerrier solitaire monte deux clans l'un contre l'autre) dans le monde du western. Ce qui donnera l'énorme succès Pour une poignée de dollars en 1964 avec Clint Eastwood, lançant pour de bon le filon du western-spaghetti - terme infamant pour les latins, qui préfèrent employer le mot de western all'italiana. Car le cinéma populaire italien de l'époque se répartit dans des "filons", comme l'érotisme, l'action, la comédie populaire... Au début des années 60, le filone le plus populaire en Italie est celui des films d'espionnage à la James Bond (Dr No date de 1962), comme FBI appelle IstambulAgent 3S3 massacre au soleilX 1-7 top secretSuper 7 appelle le sphinx, etc. Un filone qui s'épuisera au fur et à mesure que celui du western fera un boum.

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Son nom est Django
Prenant la suite de Leone, Corbucci, déçu du peu de succès de son héros vêtu de noir Ringo au pistolet d'or (Johnny Oro, 1965), décide d'aller encore plus loin dans le délire baroque. Il crée alors un nouvel anti-héros, joué par Franco Nero : la silhouette noire, mal rasé, il emprunte son nom au musicien manouche Django Reinhadrt - idole de Corbucci. Le tournage est désastreux, s'arrête au bout de trois jours par manque d'argent, mais des capitaux espagnols sauvent in extremis le projet (dont l'assistant réalisateur n'est autre que Ruggero Deodato, le futur auteur de Cannibal Holocaust). Le film sort en avril 1966, parmi 61 autres westerns-spaghetti, et connaît un énorme succès. Dans un déluge de violence héritée de la cruauté des péplums (on coupe l'oreille d'un mouchard pour la lui faire manger, une scène qui valut au film une interdiction pure et simple en Angleterre), Django lutte dans la boue contre des salauds habillés comme le Ku-Klux-Klan et se fait broyer les mains par les sabots d'un cheval au galop. Tout s'achève par le massacre des méchants dans un cimetière par le héros armé d'une mitrailleuse dissimulée dans un cercueil. Plus encore que la "trilogie du dollar" de Leone, le premier Django contient tous les éléments du western all'itallania - le discours anar, la violence extrême, la bue, la saleté, le thème de la vengeance. Malgré le carton, Corbucci ne tourne pas de suite à son film, mais poursuit quand même le filone du western-spaghetti : Navajo Joe (1966) avec Burt Reynolds, l'ambitieux et inédit en France I Crudelli, El Mercenario - co-écrit par le scénariste de Gilles Pontecorvo, Franco Solima - avec Franco Nero, Le Grand silence (1968) avec Jean-Louis Trintignant et Klaus Kinski (peut-être son chef-d'oeuvre), Le Spécialiste (1969) avec Johnny Hallyday, l'immense Companeros (1970) encore avec Nero face à Tomas Milian, Jack Palance et Fernando Rey... "John Ford avait John Wayne, moi, j'ai Franco Nero", racontait Corbucci en 1971. "Chaque fois que j'ai essayé de faire un film avec un autre acteur, que ce soit Hallyday ou Trintignant, je me suis trouvé un peu gêné."

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Django se déchaîne
Dans la vague du western all'italiana, le filone Django est une vraie mine d'or. Le héros apparaît sous son nom dans seize films, tous produits par de l'argent italien, espagnol, parfois allemand ou français, par des réalisateurs aux pseudonymes (mal) américanisés qui ne visent qu'à profiter de la manne. Dès la fin 1966, on retrouve ainsi le pistolero dans Django tire le premier (Django spara per primo) d'Alberto di Martino avec Glenn Saxon, pas très marquant, où il venge la mort de son père, tué par un affreux banquier. Dans le délirant Tire encore si tu peux (Se sei vivo, spara) de Giulio Questi en 1967, Django est joué par Tomas Milian (de son vrai nom Tomas Rodriguez, havanais d'origine). D'un côté un gang de muchachos mexicains vêtus de cuir noir menés par un certain Zorro, de l'autre les villageois puritains dont le Maire adore un perroquet. La violence du film causa problème : un magistrat italien fit saisir les copies et les scènes gore furent coupées en Angleterre. La même année 1967 voit Gabriele Tinti jouer Tracy, le fils de Django dans Le Retour de Django (Il Figlio di Django) signé Osvaldo CiviraniLe Temps des vautours (Diecimila dollari per un massacro, toujours en 67) de Romolo Guerrierri avec Gianni Garko transforme Django en pistolero motivé uniquement par l'appât du gain. Plus original, Django, le proscrit (Il proscritto de Rio Colorado, aussi titré en Italie Django killer per l'onore) de Maury Dexter, fait de Django (George Montgomery) un jeune lieutenant de l'armée mexicaine, accusé à tort d'un meurtre. En 1968, la meilleure année du western-spaghetti (79 films produits), Enzo G. Castellari réalise sous le pseudonyme de Leon Klimovsky Bravo Django (Pochi dollari per Django) avec Anthony Steffen (alias Antonio de Teffé). Le chasseur de primes y défend des paysans face à des bandits. Déjà un peu parodique, Django, prépare ton cercueil (Preparati la bara, 1968) de Ferdinando Baldi avec le fameux Terence Hill (de son vrai nom Mario Giotti) cite abondamment Corbucci (à la fin, Django déterre un cercueil contenant une mitrailleuse). Le film fut rééexploité en France en 1975 sous le titre Trinita, prépare ton cercueil. En 1969, La horde des salopards ou Django contre la horde des salopards (Django il bastardo) réalisé par Willy S. Regan (alias Sergio Garrone) annonce L'Homme des hautes plaines de Clint Eastwood : un officier confédéré réapparaît pour se venger de ses anciens camarades sous la forme d'un fantôme invincible - Django (de nouveau Anthony Steffen).

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Et pour quelques Django de plus
1970 est un tournant. Cette année-là, Roberto Mauri abandonne le tournage d'un Django non perdonna, avec Richard Harrison, mais le héros est surexploité dans des bandes de qualité très médiocre. Django fait équipe avec Sartana dans Sartana, si ton bras gauche te gêne, coupe-le (Arrivano Django et Sartana... è la fine, 1970) de Dick Spitfire (alias Demofilo Fidani). Le succès du duo fait récidiver Fidani avec Django et Sartana (Django e Sartana... all'ultimo sangue) dans lequel Sartana est le shérif de Black City qui emploie Django (Jack Betts) pour faire son sale boulot. Ces deux films jouent sur l'opposition Sartana le gentil, Django le tueur implacable expert en armes, vêtu de noir. Dans Haut les mains, salauds ! (Giu le mani, carogna !, 1971) de Lucky Dickinson (alias Demofilo Fidani !) avec Hunt Powers (alias Jack Betts !), le célèbre Wild Bill Hickok raconte les exploits de son héros, Django, dans une série de flash-backs décousus. Les films médiocres s'enchaînent : Django défie Sartana (Django sfida Sartana ,1971) de William Redford (alias Pasquale Squitieri), avec Tony Kendall (alias Luciano Stella) et dont le titre dit tout du script ; Viva Django (W. Django !, 1971) d'Edward G. Muller (Eduardo Mulargia) où Django (Anthony Steffen) traque et tue les assassins d'une jeune femme ; le banal Pour Django les salauds ont un prix (Anche per Django le carogne hanno un prezzo, 1971) de Paolo Solvay (alias Luigi Batzella) avec Jeff Cameron. L''inédit en France Semino la morte... Lo chiavamano il castigo de Dio (1972) de Robert Johnson (alias Roberto Mauri) fait s'allier Django avec le bandit révolutionnaire Spirito Santo et marque la dernière apparition du héros sous son vrai nom de l'âge d'or, alors que se pressent les copies (Sartana, Sabata, Trinita...).
Sylvestre Picard

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