Pour son premier polar, Arnaud Desplechin convainc à moitié.
Dans son premier long métrage, La Sentinelle, Arnaud Desplechin posait les bases d’une œuvre protéiforme, à cheval sur plusieurs genres et formes -visuelles et narratives, inventant au passage un nouveau langage qui n’a pas vraiment d’équivalent en France ou ailleurs. Complexe, “intello”, brillant, parfois opaque même pour ses thuriféraires (les deux versions des Fantômes d’Ismaël), le cinéma de Desplechin fascine en même temps qu’il déconcerte. Avec Roubaix, une lumière, le réalisateur nordiste semble vouloir s’ouvrir un peu : la “lumière” du titre ne serait-elle pas une invitation pour le spectateur à entrer dans la cathédrale Desplechin ? De fait, son nouveau film s’apparente à un pur polar qui suit le quotidien banal d’un poste de police et de son chef, le commissaire Daoud. Celui-ci est notamment confronté au meurtre d’une vieille dame. Les soupçons se portent sur un couple de jeunes femmes, voisines de la défunte.
Good lieutenant
Roubaix, une lumière est un pur polar, donc, qui tente de réinventer la figure du flic taciturne et brutal. Daoud, pour faire, simple, c’est l’anti “Bad Lieutenant”, un homme doux, humaniste, éclairé qui accouche les suspects en flattant leur part de lumière. On le voit écouter religieusement (littéralement, comme un prêtre au confessionnal), puis confondre gentiment, un homme ivre accuser un islamiste de l’avoir agressé et d’avoir brûlé sa voiture ; ou retrouver une adolescente fugueuse et frondeuse et la convaincre de s’expliquer avec ses parents. D’un calme olympien, hyper charismatique, Roschdy Zem, en mode Lino Ventura, est un formidable Daoud, personnage semble-t-il marqué par un passé douloureux -des scènes ici et là laissent entendre qu’il aurait rompu avec un milieu défavorisé et violent. Ce personnage est la grande réussite du film dont le programme ne s’arrête pas à une relecture de la mythologie policière. S’appuyant sur un véritable fait divers, Roubaix, une lumières’applique également à redéfinir les contours du polar ultraréaliste et social, quelque part entre L.627, Polisse et Engrenages.
Socialement vôtre
Dans sa deuxième partie, Roubaix, une lumière se concentre sur le déclin moral d’un cité ouvrière confrontée au chômage de masse, à la décrépitude de ses infrastructures et à la misère qui en découle. Claude et Marie, habitantes d’un immeuble insalubre et meurtrières en puissance, en sont les incarnations. En se déplaçant de Daoud à ces deux femmes, le regard de Desplechin passe de la fiction au documentaire, du récit romanesque au procès-verbal. Problème : le réalisateur de Rois et Reines n’est pas Loach ou les Dardenne. Cet utraréalisme est chez lui contre-nature, tout sent le fabriqué. Choisir Léa Seydoux et Sara Forestier pour interpréter ces deux marginales sonne d’ailleurs comme un aveu de faiblesse. Comme si le réalisateur n’avait pas tout à fait osé s’affranchir de la flamboyance qui caractérise son cinéma. Desplechin signe à l’arrivée un film paradoxalement maîtrisé, très (trop) lisible, mais qui manque de panache et de surprises.
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