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Snowpiercer - Le Transperceneige : l'histoire d'un film qui révolutionne le cinéma de science-fiction

Pub et pâte à modeler

Quelques mois plus tard, Benjamin Legrand, scénariste et auteur de polars, entre dans la danse. Il vient d?écrire pour Jacques Tardi le scénario de la BD <em>Tueur de Cafards</em> diffusée dans (A Suivre) en 1984. Brutal, impressionnant de noirceur, ce roman graphique très influencé par la série B, suscite l?intérêt de Lob qui n?a pas renoncé à l?adaptation ciné du <em>Transperceneige</em> : « c'est lui qui m'a demandé de travailler sur une nouvelle version pour le grand écran », explique aujourd?hui Legrand. « Pendant huit mois j'ai bossé avec un réalisateur et un producteur français, dont je tairai les noms. Mais ils se sont engueulés, et le producteur a finalement bloqué le projet. Dommage : ils venaient de la pub, ils avaient des moyens et ça aurait pu être intéressant ». Jacques Lob meurt en 1990. Mais en 99, Legrand ressuscite le Transperceneige en écrivant la suite,  L'Arpenteur (toujours avec Rochette au dessin). « Et en 2000, un jeune réalisateur vient nous proposer une adaptation ciné "réaliste" en pâte à modeler et stop motion. Comme il n'avait pas acheté les droits, ça n?a pas march?. Le troisième volume de la BD ne connaîtra pas de succès. « La série était finie », conclut Rochette. Et tout le monde pensait que l?adaptation ciné ne verrait jamais le jour. 

Casser le système

Après avoir mis à l'épreuve les codes du polar (<em>Memories of Murder</em>, <em>Mother</em>) et du film de monstres (<em>The Host</em>), avec <em>Le Transperceneige</em>, Bong s'attaque donc à la SF allégorique. Pour le cinéaste, « ce qui est important dans l'histoire, c'est la lutte des classes. Dans <em>The Host</em>, on partait du kaiju pour arriver à la fable politique. C'est le charme de la SF. On peut simplifier, rendre abstraites des situations auxquelles l'homme peut être confronté. Et analyser le système dans lequel il évolue ». Sa référence en la matière est John Carpenter : « ce qui me plaît, c'est le côté fauché et drôle, presque grotesque, de The Thing ou Invasion Los Angeles ». D?ailleurs, comme dans ces films, sous les oripeaux du genre, <em>Le Transperceneige</em> est une attaque en règle de la société : «  L'homme fait toujours partie d'un système, qu'il le veuille ou non. Je voulais parler de la façon dont on maintient un système. Mais aussi de la manière dont on peut le détruire ». Précisément ce que Bong s?emploie à faire avec le système hollywoodien. Auteur coréen, sujet frenchy, casting international, tournage délocalisé le tout pour le tiers du budget d?un blockbuster US? Et si <em>Le Transperceneige</em> représentait le cinéma du futur ? Et si on tenait la solution face au monolithisme hollywoodien frileux et en perte de vitesse comme l?a montré le box office US de cet été ? « Quand on observe les derniers gros blockbusters américains, ce ne sont que suites, prequels, reboots ou remakes. Pourtant quand je rencontre des producteurs hollywoodiens, individuellement, ils sont super dynamiques et créatifs. Ca tranche avec le côté moribond de Hollywood. Le problème vient? du système. Si tu compares Hollywood au grand train du <em>Transperceneige</em>, c'est comme si une entité oppressait la créativité des artistes. Peut-être à travers les comptables et les avocats... ». Ou les distributeurs ? 

Le plus gros budget du cinéma coréen

Bong entame donc la longue et difficile quête de financements. D?autant plus compliquée que le cinéaste veut un film multiculturel, au casting international, mais produit en Corée. Un vrai défi : « Avec un tel scénario, on aurait pu avoir un studio hollywoodien avec nous, et leur livrer le film clefs en mains. Mais on a choisi une production indépendante, 100% coréenne. C'était essentiel, surtout pour donner libre cours à ma créativit?. Budget estimé : 40 millions de dollars. « L'un des plus gros du cinéma coréen », estime le réalisateur. Mais début 2012, la machine est en marche et le casting bouclé. Les Américains Chris Evans, Octavia Spencer et Ed Harris, les Anglais Tilda Swinton et Jamie Bell, ainsi que l?acteur fétiche du réalisateur, Song Kang-ho, ont signé. « La distribution internationale n?a rien d?une démarche marketing », se justifie Bong. « Ca aurait fait bizarre s'il n'y avait eu que des Coréens. Il ne fallait pas de références culturelles trop appuyées ». Reste à trouver le lieu de tournage. « Pour des raisons budgétaires, ce fut Prague » Plus précisément, les studios historiques Barandov (où furent tournés Amadeus, <em>Mission : Impossible</em>, Stalingrad). Et c?est encore pour des raisons financières que le tournage s?étala sur une période courte (du 16 avril au 14 juillet 2012). Une fois le shooting terminé, la post-production démarre, également internationale : quatre boîtes se partagent les effets spéciaux du film. Urgence, globalisation, budget limité? le résultat est payant. Sorti le 1er août en Corée du Sud, <em>Le Transperceneige</em> a rassemblé près de 9 millions de spectateurs. Le deuxième plus gros succès de l'année.

La révolution approche

<em>Le Transperceneige</em>, BD française des années 80 devenue culte, aurait pu être adaptée au cinéma par Robert Hossein ou devenir un film d'animation en pâte à modeler. Près de trente ans après sa publication, c'est finalement Bong Joon-ho, cinéaste coréen virtuose (The Host, Memories of Murder), qui le revisite pour en faire un blockbuster. Résultat : Snowpiercer - Le Transperceneige, - en salles françaises le 30 octobre - blockbuster transgenre, ressemble à une révolution. Voici son histoire.<strong>Par Sylvestre Picard</strong>

Eviter "les tortures des studios"

En novembre 2012, Harvey Weinstein acquiert le film pour le distribuer dans les pays anglo-saxons. On annonce début août que Harvey Scissorhands (fidèle à sa légende) voudrait supprimer 20 minutes sur les 2h05 de métrage, « pour rendre le film plus compréhensible ». Face aux rumeurs, Bong reste zen. « Weinstein a ses traditions, moi la mienne : l'indépendance », sourit-il. « Ca se passe bien, on est en négociations... Pas de fin alternative, ni de dénaturation de l'histoire. Les Américains veulent plus de rythme. Il n?est pas question de couper sauvagement le film ». Weinstein voudrait-il adoucir la violence du film ? « Ce n'est pas une question de violence. Ils veulent un film classé R (NDLR : interdit aux moins de 17 ans) depuis le début ». Tout cela pour éviter les flops des derniers films US réalisés par des Coréens, Stoker (Park Chan-wook) et Le Dernier rempart (Kim Ji-woon) ? « Leur expérience a de la valeur en soi, puisqu'il s'agissait de démarches personnelles », analyse Bong. « Je suis heureux d'avoir été épargné par les tortures des studios. Park et Kim en ont bav?. Qu'on se rassure, la version française de <em>Transperceneige</em> sera, elle, strictement identique à la coréenne : « c'est mon director's cut ».

Le projet Robert Hossein

Dans un futur proche, la Terre est désolée, ravagée par une nouvelle ère glaciaire. Les rares survivants vivent entassés dans un train qui file à travers des paysages désertiques. Un homme venu de la queue du convoi va remonter vers la loco et découvrir les arcanes de la machine? Voilà le point de départ du <em>Transperceneige</em>, un récit publié dans le magazine de BD d'auteur (A suivre) entre 1982 et 1983. Une histoire de SF brutale et réaliste, écrite par Jacques Lob et dessiné par Jean-Marc Rochette. Le parfum de culte qui entoure cette BD ainsi que son succès attirent immédiatement l'oeil d'une personnalité qui veut la porter sur grand écran. « En 1984, Robert Hossein nous contacte avec l?idée de réaliser l'adaptation », se souvient Rochette. Il vient de mettre en scène le méga show <em>Un Homme nommé Jésus</em> : « c'est peut-être le côté "les pauvres contre les riches" qui lui a plu », continue Rochette. « Mais Lob a refusé la proposition. Pas parce que Hossein était mauvais, mais parce que ce n'était pas le bon réalisateur pour ça. Il n'avait ni les fonds, ni la technique ».

Traduction pirate

En 2005, de l?autre côté de la planète, le réalisateur coréen Bong Joon-Ho entre dans une librairie de Séoul et tombe en arrêt devant le Transperceneige. Un coup de bol puisqu'il s'agit d'une édition pirate, la BD n'ayant officiellement jamais été traduite et publiée hors de France. A l?époque, Bong n?a réalisé que deux films (dont le génial Memories of Murder, sur la traque du premier serial killer coréen), mais il passe déjà pour l?enfant-prodige et turbulent du cinéma asiatique. Styliste virtuose nourri à la contre-culture US et à la sociologie 60?s, il voit tout de suite le film qu?il peut tirer de ce matériau et fantasme tout de suite son adaptation. L?ennui, c?est qu?il planche déjà sur un autre film qui deviendra <em>The</em> <em>Host</em>. En 2006, cette relecture du film de monstres, parabole anticapitaliste doublée d?un délire graphique sidérant, cartonne (13 millions d'entrées) devenant le plus gros succès du cinéma local. Cela ne suffira pourtant pas à lui permettre d?embrayer avec Le Transperceneige, dont le budget promet à l?époque d'exploser celui de <em>The Host</em> (12 millions de dollars). Bong enchaîne alors ave Mother, polar sans flic et drame psycho à tout petit budget (5 millions) avant de pouvoir enfin s'attaquer à son Graal. Mais il faut d?abord trouver les fonds. 

Le Transperceneige, BD française des années 80 devenue culte, aurait pu être adaptée au cinéma par Robert Hossein ou devenir un film d'animation en pâte à modeler. Près de trente ans après sa publication, c'est finalement Bong Joon-ho, cinéaste coréen virtuose (The Host, Memories of Murder), qui le revisite pour en faire un blockbuster. Résultat : Snowpiercer - Le Transperceneige, - en salles françaises le 30 octobre - blockbuster transgenre, ressemble à une révolution. Voici son histoire.Par Sylvestre Picard