Julieta
Pathé

Pedro est au sommet de son cinéma avec ce drame à la fois lumineux et austère.

Arte profite de la sélection de Douleur et Gloire, de Pedro Almodovar à Cannes pour consacrer un cycle au cinéaste espagnol. Ce soir, place à Julieta, sorti au cinéma en 2016.

Moins mélo que Tout sur ma mère, moins borderline que Parle avec elle, Julieta renoue pourtant avec la sensibilité la plus forte du cinéma d’Almodovar. La légèreté fantasque et provoc allait bien au héraut de la Movida dans les années 1980, elle passait beaucoup moins bien dans les années 2010 – on peut considérer Les Amants passagers comme une rechute accidentelle dont le maître espagnol se relève avec une maîtrise stupéfiante. Portrait d’une femme abîmée, hantée par ses secrets, pétrie de culpabilité, Julieta (librement adapté de la novelliste canadienne Alice Munro) est ce qu’Almodovar a réalisé de plus beau depuis une quinzaine d’années.

Pudeur et délicatesse

 

Julieta
Pathé

 

Julieta n’est pas un mélo. Un drame, oui, mais superbement sobre et dépouillé, déroutant, du coup (on n’a pas pleuré…). Le script pourrait tenir sur un post-it : à la suite d’une rencontre fortuite, une quinqua sur le point de quitter Madrid avec son compagnon bouleverse ses plans, le quitte, reste à Madrid et se lance dans l’écriture d’une longue lettre à sa fille perdue de vue depuis 12 ans. Flashback : Julieta a 20 et quelques années, elle rencontre le père de sa fille, ils vivent un grand bonheur, et puis… On n’en dit pas plus. Si la trame est simple, son déroulement est beaucoup plus complexe, comme l’est l’écriture du personnage éponyme : rarement Almodovar, pourtant grand explorateur de la psyché féminine, avait atteint de telles profondeurs. La caractérisation de son héroïne prend de multiples détours pour mieux arriver au but et après avoir cheminé le long de ses circonvolutions, on réalise, proche du dénouement, que l'on comprend cette femme, qu'on la connait intimement. Il filme le naufrage émotionnel de Julieta sur les traits de son visage, avec une pudeur qu’on ne lui connaissait pas : sa délicatesse augmente à mesure que son héroïne sombre, et les rares explications ou commentaires émanent d’ailleurs souvent de personnages périphériques. Peu à peu, cette superbe femme (Adriana Ugarte, la Julieta jeune) se transforme, se délite, se dissout presque avant de renaître sous les traits d’une autre (Emma Suarez, la Julieta mûre), dans une séquence quasi-magique qu’on n’est pas près d’oublier.

 

Julieta
Pathé

 

L'ombre d'Alfred

Toujours solaire et bariolé, toujours adepte du mélange des genres – drame, romance, fantastique (les visions du cerf dans la neige), film noir, traversé d’éclairs de sensualité débordante – et fidèle à ses références cinéphiles (Hitchcock plane sur le film, dans la scène de train qui évoque L’Inconnu du Nord-Express, dans la dualité de l’héroïne qui convoque Sueurs froides, dans le personnage de Rossy de Palma, unique ressort comique de cette fresque, filmée comme la gouvernante de Rebecca), Pedro Almodovar a pourtant imperceptiblement changé. Le film est sorti quelques jours avant les 10 ans de Volver (« revenir »), titre qui synthétise si bien l’œuvre de l’Espagnol. Comme Julieta, Pedro revient toujours – à son esthétique baroque, à ses obsessions thématiques (la mère, la perte, l’échec de l’amour) - mais jamais tout à fait le même. Ca aurait bien mérité une palme.