Les 2 Alfred de Bruno Podalydès
Why Not Productions

Une formidable comédie pleine de trouvailles qui pose un regard aussi lucide qu’amusé sur les dérives d’un monde ultra-connecté.

Sorti au cinéma en juin 2021, Les 2 Alfred, de Bruno Podalydès, sera diffusé ce soir sur Arte, suivi d'une autre nouveauté en clair : Atlantique, de Mati Diop. Porté par Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès et le réalisateur, ce film sur l'ultra-connexion avait beaucoup plu à Première. Voici notre critique.

Bruno Podalydès - Les 2 Alfred : "Tous mes films sont politiques, même Bécassine !"

On le sait, vivre ultra-connectés les uns aux autres via des applis et autres réseaux virtuels, ne renforce pas pour autant notre lien social. De la même manière que le verni « cool » qui recouvre certains espaces travail (avec le baby-foot au milieu de l’open-space !), ne rend la tâche moins pénible, exerçant en réalité une nouvelle forme d’emprise sur l’employé. Le bricolo-rigolo Bruno Podalydès plonge ici les deux pieds dans ce monde 2.0 faussement tempéré (en fait extrêmement angoissé et angoissant).

Le titre à lui seul apporte toutefois un peu de réconfort et donne le ton. Car ces 2 Alfred ne désignent pas des personnages avec le même prénom mais un doudou d’enfant composé de deux peluches inséparables en forme de singe, témoins muets de cette comédie humaine. Le cinéaste se place d’emblée du côté de l’affect. Le film ne parle d’ailleurs que de ça et pourrait même se voir comme une lettre d’amour à son interprète principale, Sandrine Kiberlain, incarnation à l’écran de la working girl agressive dont le masque va s’étioler peu à peu pour révéler un charme ravageur. Un miracle dû en partie à sa rencontre avec les deux « Poda » (Bruno et Denis), ici Arcimboldo et Alexandre, deux « vrais » humains sensibles. Un sauvetage qui aura le goût de la réciprocité, puisque ce « trouple » solaire va parvenir à se remettre à flot en équilibrant leur force. Une révolution qui passera, on s’en doute, pas une remise en cause d’un asservissement technologique et psychologique.

Il serait toutefois idiot de faire de Bruno Podalydès, le chantre d’un « c’était mieux avant » forcément rance. C’est plutôt notre faculté d’adaptation au réel qu’il sonde ici. Un réel dont il pointe les loupés, les limites, les extravagances mais aussi, la poésie. Ainsi des drones en formes de soucoupes volantes vintages trainent ici un peu partout, comme les résidus d’un progrès cabossé donc furieusement vivant.

Les 2 Alfred raconte l’histoire d’Alexandre (Denis Podalydès), un chômeur quinqua miraculeusement embauché dans une start-up peuplée de trentenaires aux dents blanches surmotivés. La philosophie de l’entreprise érige le don de soi en crédo et refuse à ses employés le droit d’avoir des enfants. Alexandre cache donc sa paternité et se retrouve bientôt sous la coupe de Séverine (Sandrine Kiberlain), incarnation vivante des valeurs de ladite entreprise. Celle-ci circule dans une voiture sans chauffeur qui répond à ses faits et gestes via son téléphone portable. Au centre du duo, il y a Arcimboldo (Bruno Podalydès), entrepreneur indépendant et doux rêveur qui tente de trouver la bonne formule en créant des services connectés plus ou moins foireux (les drones c’est lui !)

On se souvient peut-être que dans Comme un avion du même Bruno Podalydès, le cinéaste incarnait un homme quittant en canoë un quotidien tristoune (Kiberlain était déjà dans le coup !) à la recherche d’un Eden pastoral. Pas d’échappée cette fois, les héros des 2 Alfred restent à quai. La ville chez Podalydès - amoureux de la ligne claire façon Tintin -, n’a à priori rien de menaçant, tout au plus son dépeuplement inquiète un peu. Il y a cinquante-trois ans avec le génial Playtime, Jacques Tati se posait déjà la question de la réorganisation de nos vies face à un modernisme béatifié. Ce n’était pas tant la technologie qu’il interrogeait (l’apparition des téléviseurs dans des foyers identiques notamment...) que la façon dont l’espace se reconfigurant obligeait l’humain à une adaptation rapide. Un ajustement qui autorisait la dérision. A l’instar de Tati, Podalydès mise lui-aussi sur la force chaotique et destructrice du burlesque pour réenchanter le monde. Merci à eux.