Francis Ford Coppola Festival Lumière 2019
Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA

Le géant aux deux Palmes d’or viendra présenter sur la Croisette le très ambitieux Megalopolis, dans lequel il a investi une partie de sa fortune.

Ça y est, c’est officiel, la rumeur disait vrai : Francis Ford Coppola dévoilera son nouveau film, Megalopolis, au prochain festival de Cannes. Et pas dans le confort d’une projection hors compétition, non, mais dans l’arène impitoyable de la course à la Palme d’or. C’est un événement cinéphile de premier ordre, du jamais vu depuis 1979, l’année où Apocalypse Now avait valu au cinéaste américain sa deuxième Palme – cinq ans plus tôt, il l’avait déjà remportée pour le thriller parano Conversation secrète. Megalopolis fera donc sa première mondiale un demi-siècle tout rond après le premier sacre cannois de Coppola.

"Coppola a construit la légende du festival de Cannes" a dit dans Variety le délégué général de la manifestation, Thierry Frémaux. Et Cannes a construit la légende de Coppola, pourrait-on ajouter. Le réalisateur est en effet venu sur la Croisette dès 1967, à l’occasion de la présentation en compétition de son film Big Boy, qui symbolisait alors un souffle nouveau dans le cinéma américain, l’une des toutes premières graines de ce qui allait devenir le Nouvel Hollywood – les sélectionneurs de l'époque avaient eu le nez creux. En 1974, la Palme qui couronne Conversation secrète s’intercale pour son auteur entre deux Oscars du meilleur film, décernés au Parrain, en 73, puis à sa suite, Le Parrain, 2ème partie, en 75. A coups de Palmes, d’Oscars et de records au box-office, Francis Ford Coppola s’imposait comme un titan du cinéma.

La sélection officielle du festival de Cannes 2024

Megalopolis now ?
En 1979, Apocalypse Now est le film de tous les dangers : une œuvre financée sans l’appui d’un grand studio, un tournage épique, un processus de montage interminable, des rumeurs catastrophistes… C’est la projection cannoise, et la conférence de presse organisée dans la foulée, qui va sceller la légende du film : Coppola vient entouré de ses enfants, très remonté contre la presse américaine ("Le journalisme américain est le corps de métier le plus décadent, immoral, et mensonger qu’on puisse imaginer. Tout ce qui a été écrit sur ce film depuis quatre ans est faux") et y improvise quelques punchlines légendaires, dont la fameuse "Mon film n’est un film pas sur le Vietnam, c’est le Vietnam".

Megalopolis
Capture Instagram Coppola

 

45 ans après, alors qu’on a longtemps pensé que Twixt (sorti en 2011) serait son ultime film, le géant Coppola, désormais âgé de 85 ans, s’apprête donc à revenir en compétition avec un autre film ultra ambitieux, Megalopolis, dont la conception, et l’attente folle qu’il suscite, rappelle d’une certaine façon Apocalypse Now : c’est un dream project dont son auteur parle depuis le début des années 80, et dont le titre même souligne la démesure. L’histoire de la rivalité entre un architecte idéaliste et un maire corrompu dans une New York futuriste et réinventée, une sorte de péplum d’anticipation aux accents shakespeariens et au casting all-star (Adam Driver, Dustin Hoffman, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf…). Une potentielle nouvelle réflexion du réalisateur du Parrain et de Tucker sur l’hubris, l’utopie et le pouvoir.

Ce projet extravagant, le cinéaste l’a financé lui-même, investissant 120 millions de dollars, puisés dans ses propres économies, après l’hypothèque de ses vignobles californiens. Le film est à l’heure actuelle à la recherche d’un distributeur, susceptible d’offrir au film une sortie à la hauteur de son ambition. "Coppola souhaite faire de Megalopolis une sortie mondiale simultanée au cinéma, ce qui signifie forcément son achat par un grand studio", a expliqué au Point un proche du réalisateur. Les frais nécessaires à la promotion du film, selon l’avocat et consigliere du cinéaste Barry Hirsch, dépassent eux aussi les 100 millions de dollars.

Un gros pari
Avec ce film, Coppola joue gros. Très gros. L’homme est coutumier de ce genre de paris : au début des années 80, l’échec de la comédie musicale Coup de cœur avait provoqué la faillite de Zoetrope, le studio qu’il avait bâti pour concurrencer les majors hollywoodiennes, et l’avait condamné à passer les deux décennies suivantes à enchaîner les films de commande – un coup dur pour ce démiurge qui venait de tourner des chefs-d’œuvre colossaux et avait pris goût à une liberté artistique totale. En choisissant de montrer Megalopolis en compétition à Cannes, Coppola sait qu’il risque de prendre des coups, d’autant plus que les retours des premiers spectateurs du film, dont la presse américaine s’est fait l’écho, sont extrêmement polarisés.

Tout ce qu'on sait sur Megalopolis, de Francis Ford Coppola

Quand certains vantent une œuvre extraordinaire, visionnaire, "du cinéma qui voit grand", d’autres sont rebutés par son aspect "trop expérimental". Il y a quelques jours, un article du Hollywood Reporter faisait état de la circonspection de certains des happy few qui avaient vu le film – des dirigeants de studio manifestement pas trop portés sur l’avant-garde, et qui ne jugent pas le film suffisamment commercial. Après ce bad buzz, l’annonce de l’arrivée du film en compétition à Cannes est une manière pour Coppola de relancer les dés. De replacer le film sur le terrain de l’art plutôt que du commerce. C’est aussi un message envoyé à ses fans : le Coppola qu’on a tant aimé, celui qui a soulevé des montagnes tout au long de sa carrière, flambeur et flamboyant, n’a pas dit son dernier mot.

Francis Ford Coppola
Abaca

 

Coppola était certes déjà revenu au festival depuis Apocalypse Now, mais pour des rendez-vous moins risqués d’un point de vue critique et financier : projection hors compétition en 1989 du film à sketchs New York Stories (co-signé avec Martin Scorsese et Woody Allen), présidence du jury en 1996, présentation d’Apocalypse Now Redux en 2001, ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs avec Tetro en 2009…

Si Megalopolis venait à figurer au palmarès, le soir du 25 mai, le cinéaste se retrouverait sur la scène du Palais des Festivals en même temps que son vieux copain George Lucas, qui sera récompensé d’une Palme d’or d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. L’histoire cannoise des deux hommes remonte à loin, puisque Coppola avait notamment produit le premier long-métrage de Lucas, THX-1138, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 1971. Un film dont l’échec avait mis son jeune producteur en grandes difficultés financières… l’obligeant à tourner Le Parrain pour rembourser ses dettes. On lui souhaite bien sûr de rentrer dans ses frais avec Megalopolis – et de ne pas avoir à tourner Le Parrain 4 pour se réconcilier avec son banquier.