Invité d’honneur du festival d’Annecy, le réalisateur se confie sur l’animation, Hollywood et son prochain film qui tirera vers l’horreur.
Grosse actu pour Michel Gondry : un Cristal d’honneur et une masterclass au festival d’Annecy, une rétrospective à la Cinémathèque et la sortie le 18 juin de son nouveau film, Maya, donne-moi un autre titre (de l’animation en stop motion basée sur les histoires que lui raconte sa fille. Une façon de garder le lien même s’ils vivent dans deux pays différents). Voilà qui méritait bien une rencontre sous le soleil de la Venise des Alpes.
PREMIÈRE : Vos films Maya, donne-moi un titre et sa « suite » Maya, donne-moi un autre titre, vous les faites en pensant au public ou uniquement à votre fille ?
MICHEL GONDRY : À la base, ce sont des films que je faisais simplement pour ma fille. Elle avait trois ans au départ et c’était son aventure à elle puisqu’elle était représentée dedans. Il s’agissait simplement pour elle de juste colorier des dessins puis, petit à petit, les images prenaient vie. Et puis, en grandissant, on a commencé à mieux communiquer. Elle me donnait des idées de titres, des petites histoires… mais on n’a jamais pensé que ça finirait sur un grand écran, encore moins à Annecy ! Tout ça s’est étalé de ses trois ans à ses neuf ans. Bien plus tard, en 2019, je me suis dit : « Tiens, pourquoi ne pas tous les rassembler pour faire un film ? »
Et vous lui avez même fait participer à la promotion.
Oui. Là, elle ne pouvait pas être à Annecy à cause de l’école, mais à Paris, on a fait plein d’interviews ensemble. Elle est vive, elle répond très bien aux journalistes, elle n’est pas du tout timide. Lors des séances de questions-réponses, elle portait même le micro au public. Parfois, elle disait ne pas pouvoir répondre car elle était trop petite à l’époque pour s’en souvenir. C’est là qu’on réalise qu’il y a toute une partie de notre vie dont on ne que garde des traces floues - sauf que nous, on n’a pas les films pour s’en rappeler.
Hier lors de votre masterclass, vous disiez que l’animation en images de synthèse impliquant des délais trop importants pour que vous vous lanciez.
Oui, c’est un vrai problème. Surtout avec les effets spéciaux aujourd’hui. Au départ, dans les années 80, on travaillait avec des systèmes numériques qui permettaient de tout contrôler, couche par couche. C’était un travail en direct, on voyait les choses se faire. Aujourd’hui, on te montre un rendu déjà presque final, et si tu veux changer, c’est très lourd. J’aime le digital, et mon frère avec qui je travaille l’utilise beaucoup. D’ailleurs on a fait un clip en duo pour le groupe IDLES : moi au papier découpé, lui en post-production 3D. Mais je veux garder une certaine spontanéité.
Vous avez besoin de garder cet esprit fait maison, artisanal ?
Pas forcément. Ce que j’aime, c’est le rythme et l’immédiateté du travail manuel. Ça pourrait être digital, tant que ça garde cette énergie. Ce qui me gêne, c’est de voir des animations digitales qui copient maladroitement des techniques manuelles - comme les faux effets de tremblement pour simuler le dessin animé à l’ancienne. C’est artificiel. Si un personnage ne bouge pas, il ne bouge pas. Pas besoin de le faire vibrer. Le côté « bricolé » comme disent souvent les journalistes n’est pas un but en soi. Je n’essaie pas de faire du crado ! Les traces de colle qu’on voit à l’écran me dérangent parfois, mais elles sont là pour des raisons pratiques. Ce n’est pas une esthétique recherchée. C’est un effet secondaire du processus, et que j’assume. Comme quand je faisais Soyez sympas, rembobinez et que je demandais aux décorateurs de créer des décors qui devaient sembler faits par des personnages maladroits : ce n’est pas facile à obtenir, ce faux naturel. Il faut que ce soit sincèrement maladroit. Comme les acteurs : quand ils devaient mal jouer pour les besoins du film, comme Jack Black et Mos Def en l’occurence, je leur disais en rigolant de bien jouer, car ce sera assez mauvais comme ça ! (Rires.)
Est-ce que vos régimes d’images très puissants ne sont pas parfois une sorte de piège ? Vous n’avez jamais envie d’en sortir pour aller vers quelque chose de plus carré ?
Pas vraiment. Même avec plus de moyens, je garderais un côté physique. Regardez Le Magicien d’Oz et ses décors peints, on voit que c’est faux, mais ça fait rêver. On imagine les gens sur des échelles, peignant des montagnes. Ce mélange de réel et de peint, de matière et de perspective, moi, ça m’émeut. Quand je vais au musée d’histoire naturelle de New York, je m’attarde systématiquement sur ces dioramas où sont mis en scène des animaux empaillés, avec des vrais objets au premier plan et des fonds peints. Ça m’a toujours fasciné. Ce n’est pas du bricolage, c’est de la magie.
Vous parliez également hier des problèmes que vous avez rencontré sur de grosses productions…
Le souci, c’est qu’il y a trop d’intermédiaires, trop de couches de production. Les projets passent par tellement de mains qu’à l’arrivée on essaie de plaire à tout le monde, et ça tue l’intérêt. Et puis aujourd’hui, tout repose sur des recettes éprouvées, notamment avec les super-héros. Ça devient très prévisible. Mais j’aimerais faire un film avec de grands décors, des effets, un truc vraiment spectaculaire.
On pourrait imaginer vous voir travailler sur un film au budget modeste mais dans un genre inattendu ? Comme un thriller ou un film d’horreur ?
C’est amusant que vous disiez ça, car c’est justement le cas du film que j’écris en ce moment. Je suis en train de finir le scénario, le casting a commencé. Ce sera une production française et c’est, à la base, un film d’horreur. Il commence comme ceci : deux petites filles trouvent un crâne dans leur jardin. Pas mal, comme point de départ (Rires.)
Qu’est-ce que vous avez ressenti en apprenant que le festival d’Annecy faisait de vous son invité d’honneur ?
Ça m’a touché, sincèrement. Je me suis toujours senti un peu en marge du monde de l’animation. Sûrement parce que mon travail est plus simple, moins technique que beaucoup d’autres. J’anime en 12 images/seconde, alors que certains pensent que l’animation doit être saccadée pour être « authentique ». Je ne fais pas partie du cercle fermé, donc ce prix me fait vraiment plaisir.
Vous avez longtemps rêvé d’un film Ubik, le roman de Philip K. Dick. Est-ce que l’animation ne serait pas un moyen d’y arriver, plutôt que la prise de vues réelles ?
Oui et non. Il y a eu une tentative d’adaptation de K. Dick par Richard Linklater, A Scanner Darkly, en rotoscopie. Et c’était très réussi : il y avait quelque chose qui rappelait Blade Runner, des maquettes, des ambiances texturées. Mais c’est très dur à financer. Ce genre d’univers, touffu, coûte extrêmement cher. Et si on simplifie trop, alors on abîme tout.
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