Invincible Angelina Jolie
Universal

Invincible sera diffusé ce soir sur France 3. Fin 2014, nous avions rencontré sa réalisatrice, Angelina Jolie.

Mise à jour du 28 janvier 2019 : A l'occasion de la première diffusion en clair d'Invincible, d'Angelina Jolie, à 20h55 sur France 3, nous republions son interview accordée à Première fin 2014. Elle a réalisé depuis deux autres drames : Vue sur mer et First They Killed My Father, qui devrait sortir avant la fin de l'année.

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Interview de décembre 2014 : Le simple récit des aventures de Louis Zamperini est incroyable en soi : grandi en Californie au début du XXème siècle, ce fils d’immigrants italiens était sur le point de tomber dans la délinquance lorsqu’il s’est découvert des talents de coureur de demi-fond. Célèbre pour avoir couru aux Jeux Olympiques de 1936, il s’engage pendant la guerre dans l’armée de l’air. Après que son avion s’est écrasé dans le Pacifique, il a dérivé avec deux autres survivants sur un canot de sauvetage pendant quarante-sept jours avant d’être capturé par les Japonais et interné dans des conditions démentielles. Son histoire de survie a fait l’objet d’un livre (Invincible de Laura Hillenbrand, traduit en français aux Presses de la cité) dont la lecture a traumatisé Jolie au point de lui inspirer un film. Elle réussit à convaincre Universal de financer son projet, avec la bénédiction de Zamperini en personne, dont elle a entre-temps découvert qu’il était son voisin depuis des années. Devenue son amie, elle l’a consulté régulièrement et lui a fait partager l’avancement du projet, jusqu’à sa mort en juillet dernier à l’âge de 97 ans. Jolie nous parle de ses rapports intimes avec cette histoire, et de la difficulté pour elle de s’affirmer en tant que réalisatrice.

 
Première n°454/455 Angelina Jolie
Première

Vous avez tourné sous la direction d’acteurs passés à la réalisation comme Robert de Niro ou Clint Eastwood. En quoi cette expérience a-t-elle influencé votre propre approche de la mise en scène Chacun d’eux avait son propre style, bien sûr, mais ils avaient en commun ce petit supplément de sensibilité qui leur permet de savoir ce dont l’acteur a besoin à chaque instant : un peu plus d’espace, un soupçon de conseil mais pas trop non plus, ou encore des précisions sur le ton juste de telle ou telle scène. Ils sont conscients des étapes par lesquelles passe un acteur pour construire son personnage. Tout cela, ils me l’ont donné, et j’espère en avoir fait de même pour les interprètes deInvincible.

C’est difficile pour vous, devenir une réalisatrice hollywoodienne ? C’est très dur. Surtout après avoir passé si longtemps à me considérer moi-même comme une actrice. J’aime la mise en scène et je fais de mon mieux pour apprendre, mais je manque toujours d’une forme de confiance en moi, que je m’efforce de construire. C’est plus difficile que tout ce que j’ai pu faire jusqu’à présent. Invincible encore plus que Au pays du Sang et du miel, parce que c’est la première fois que je réalise un film pour un studio, et que les tâches à accomplir étaient considérables compte tenu de la taille du budget, correct mais modeste. Il fallait reconstituer la Californie des années 20, les Jeux Olympiques de 1936 sous Hitler, trois camps de prisonniers, un périple de quarante-sept jours sur un radeau... Sans compter deux crashs d’avion, qui exigent une logistique spécifique. Il m’a fallu apprendre beaucoup, écouter, poser des tas et des tas de questions. Et puis, je ressentais une responsabilité supplémentaire de bien faire parce que j’étais devenue proche de Louis à la fin de sa vie. C’était devenu une affaire personnelle.

Vous est en train de terminer un troisième film (By the Sea) et vous en avez encore un quatrième en projet. Vous avez ouvert la voie à Scarlett Johansson et à Natalie Portman qui envisagent elles aussi de passer à la mise en scène. Qu’est-ce que cela dit sur le Hollywood aujourd’hui ? Honnêtement, les choses sont très scindées dans mon esprit. Je ne pense pas de la même façon quand je travaille comme actrice ou quand je suis dans la position du metteur en scène. Je suis convaincue que chaque cinéaste est différent, qu’il soit homme ou femme, qu’il ait été acteur auparavant ou non. C’est ce background personnel qui permet à chacun de trouver sa propre voie, qui détermine le type d’histoires qu’on a envie de raconter, la façon dont on va les traiter, les groupes de gens que l’on cherche à toucher, comment on envisage la communication avec le public.

Il y a encore dix ans, il aurait été juste impensable que des stars comme vous trois passent à la mise en scène. Je ne sais pas (elle s’agace). J’imagine qu’il y a une évolution, oui. Mais ce qui importe, qui que vous soyez, c’est de gagner la confiance que l’on vous accorde. Et pour cela, il faut travailler très dur. Voilà tout. Je m’efforce de faire abstraction des autres métiers que j’ai pu exercer, de ne penser ni à qui je suis, ni à ce dont j’ai prouvé que j’étais capable, ni à la façon dont les gens peuvent me percevoir. J’attends avec impatience le jour où l’on arrêtera enfin de demander à une femme pourquoi elle réalise des films. Je ne réalise pas des films en tant que femme mais en tant que personne. Et je raconte des histoires d’hommes, parce que j’aime mon mari et mon fils, et que ça me passionne de raconter des histoires qui s’adressent à eux. 

Louis Zamperini, le héros de Invincible, est un battant. Vous êtes-vous identifiée à lui sur ce point ? Bien sûr, je me sens attirée par son esprit combatif. Mais quand je lui ai demandé de quoi ce film devait parler selon lui, il m’a dit « l’important n’est pas que les spectateurs pensent que je suis extraordinaire, mais qu’ils réalisent que si j’ai pu faire ce que j’ai fait, moi qui suis justement si ordinaire et imparfait, alors eux aussi en sont capables. » Il est né dans une famille pauvre d’immigrants italiens, il s’est souvent attiré des ennuis quand il était jeune, il a fait toutes sortes de mauvais choix, et rien ne pouvait laisser supposer qu’il allait devenir un grand homme. Après la guerre, il lui est arrivé de toucher le fond, de tomber dans l’alcoolisme. Mais il a toujours su – et en cela, oui, il est un exemple – que ce n’est pas le passé qui compte, et qu’il est toujours temps de faire les bons choix.

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Ce qui amène au thème du pardon. Ce que révèle cette histoire, c’est que la haine et la douleur consécutives à des expériences terribles peuvent vous détruire à petit feu. Louis a trouvé en lui-même les ressources pour se relever et aller de l’avant, mais je ne sais pas comment il a fait pour pardonner et trouver la paix. C’est une question que je dois résoudre pour moi-même. Je me demande souvent ce qui se passerait si quelqu’un me faisait du mal, et j’aime croire que je pourrais pardonner. Mais si quelqu’un touchait à mes enfants, par exemple, je ne peux pas dire comment je réagirais.

C’est en partie la foi qui a permis à Louis de trouver la paix dont vous parlez. Quelle est votre position sur la religion ? On voit chaque jour les côtés négatifs de la religion lorsqu’elle est instrumentalisée dans un but violent. Je voulais être très claire sur les thèmes centraux du film – en particulier, celui de la foi – pour les rendre universels et faire en sorte qu’ils puissent toucher des gens de toutes croyances. Qui est Dieu ? A qui vous adressez-vous quand vous priez ? Voyez-vous Dieu dans la lumière du soleil levant ? Ou alors dans vos frères humains ? Ou encore quand votre mère prie à genoux pour que vous reveniez de la guerre ? Ce sont des questions que chacun peut comprendre. Si nous pouvions nous concentrer sur les valeurs communes de la foi, le monde serait plus vivable.

Un autre aspect saisissant de cette histoire, c’est la relation entre Louis et son tortionnaire, Watanabe. Pourquoi Watanabe refuse-t-il le pardon de Louis ? On a l’impression que l’un trouve la lumière, et que l’autre choisit de rester dans les ténèbres. C’est votre interprétation. Je ne suis pas sûre que nous puissions juger Watanabe. Nous ne savons rien de son enfance, de ce que c’était de grandir au Japon à cette époque. En étudiant sérieusement la culture japonaise, le dévouement des Japonais à leur empereur, leur vision de la guerre et de l’Occident, on comprendrait peut-être le comportement de cet homme. On ne peut pas juger quelqu’un sans se mettre à sa place. Comprenez moi bien : je déteste ce qu’il a fait, sa brutalité, son comportement. Mais je ne prétends pas le connaître ni savoir d’où il vient. A mon sens, c’était un malade mental. Je crois qu’après la guerre, il n’est pas arrivé à évacuer ce qui le rongeait, comme Louis a pu ou su le faire. Mais on ne le saura jamais avec certitude.

Ce personnage terrible rappelle Douch, le gardien de camp khmer rouge (dont il est question dans le film Le Temps des aveux de Régis Wargnier, sorti avant Noël). A la fin de sa vie, il s’est converti au catholicisme parce qu’il recherchait le pardon. Oui. J’ai un fils cambodgien, et je me tiens informée des activités du tribunal du génocide khmer. J’en conclus qu’il ne faut jamais considérer l’histoire, même contemporaine, en prétendant savoir avec certitude ce qui est absolument bien et ce qui est absolument mal. On ne gagne rien à voir le monde en noir et blanc. Nous devons essayer de comprendre ce qui fait penser à certains qu’ils ont une vraie bonne raison d’être destructeurs, violents et haineux. L’inhumanité de l’homme envers l’homme est très difficile à saisir, du moins pour moi. Ça aurait presque tendance à me rassurer...

Dans vos films, vous utilisez le contexte de la guerre comme révélateur du caractère des hommes. C’est une démarche très consciente, oui. La guerre révèle le meilleur et le pire de la nature humaine. En tournant Au pays du sang et du miel, j’essayais de saisir comment des amis, des voisins voire des amants, peuvent devenir des ennemis mortels. Dans Invincible, on va plus loin : comment surmonter des expériences traumatiques et parvenir ensuite à accomplir quoi que ce soit de positif ? D’où l’esprit humain tire-t-il cette force? Il était très important pour moi d’essayer d’obtenir une réponse à cette question, parce que je me suis sentie submergée par tous les témoignages que j’ai pu recevoir après avoir travaillé pendant douze ans auprès de réfugiés. J’ai été le témoin des effets de la guerre sur les populations civiles. J’avais besoin de croire que les gens désespérés trouvent toujours quelque chose à quoi se raccrocher. Si un individu comme Louis, avec ses défauts, peut y arriver, alors il y a de l’espoir.

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Les frères Coen ont écrit le scénario. Quel a été leur apport ? Ont-ils amené leur chef-opérateur Roger Deakins ? Non, Roger était déjà engagé. Mais il ne fait aucun doute que leur présence a aidé à monter le film. Nous avons eu de la chance qu’ils soient disponibles et qu’ils aiment cette histoire. Un de leurs fils avait lu le livre. Nous étions tous très nerveux à l’occasion de notre première réunion avec eux, mais ils se sont montrés très coopératifs et nous ont beaucoup aidés à comprendre qu’il fallait rester concentrés sur le message, ne pas céder à la tentation de caser chaque péripétie du livre dans le film, ce qui était de toute manière impossible. Comme pères et comme frères, ils ont une vision de l’humanité que je n’aurais pas pu apporter de moi-même. Ils ont aussi injecté de l’humour dès que c’était possible, sur un sujet qui ne s’y prête pas a priori. Et évidemment, du fait de leur expérience de cinéastes, ils écrivent d’une façon très claire, très visuelle, sans fioriture. Et ça, c’est particulièrement précieux pour un metteur en scène.

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