Inquietudes

Comment, à partir d'un personnage d'esthète épris d'absolu, le réalisateur Gilles Bourdos fait basculer le film dans un univers de thriller ? Par la rencontre de l'amour, mais pas seulement. Une immersion sobre et plutôt réussie dans la psyché obsessionnelle d'un étudiant devenu grand.
Bruno est étudiant à l'école des Beaux-Arts. Présentant son projet de fin d'année, il en explique l'architecture : un espace comme une boîte blanche en perpétuelle rotation, créée afin que le corps continue de bouger quand l'esprit s'arrête, comme si chaque instant d'inattention était une petite mort. Brutale confrontation à une inquiétante étrangeté qui ne laisse jamais le spectateur en repos, prémisses d'une obsession qui conduira à l'excès. "j'ai toujours fait ça, enfermer des objets dans des boîtes blanches" dit-il soudain, dévoilant subrepticement un malaise qui point derrière la barrière de son inconscient.Esthète, il cherche l'absolu, un lieu détaché du monde crasseux où voir le beau : "si on ne prévoit rien pour accueillir la beauté, rien ne pourra arriver". Toujours conduit par son implacable quête, il construit son monde idéal, immaculé, comme si tout ce blanc permettait faire table rase, une Tabula Rasa d'où prendre un autre départ, une autre origine. Tel le personnage de Catherine Deneuve dans Répulsion, il rencontre fatalement la limite de ce qu'il peut supporter et lui fait face. Car Inquiétudes, c'est aussi l'histoire d'un ado qui devient adulte.Le jeune garçon est devenu un homme fort et rencontre l'amour. Une jeune fille qui dans le même mouvement se libère des carcans qui l'enferment. Faussement frêle et innocente, c'est l'enfant d'une tragédie moderne. Témoin du meurtre de sa mère à l'âge de sept ans, elle a été soignée par une psy qui est depuis devenue sa belle-mère acariâtre. Arrive alors le thriller. Gilles Bourdos en profite pour régler son compte au fatum. Ce n'est pas parce que notre inconscient vit avec des choses horribles qu'on le deviendra.Très sobre et toujours juste, Grégoire Colin dessine son personnage avec brio. La carrière de cet acteur est jalonnée de tant de belles collaborations - de Claire Denis à Erick Zonca, en passant par Rivette et Breillat - qu'il semble qu'on puisse lui faire confiance pour s'investir dans des projets passionnés. A ses côtés, Julie Ordon interprète ici son premier film. On se disait à tort que la mannequin qu'elle est ne saurait dépasser sa beauté plate et prendre le risque de la mettre au placard pour incarner. Erreur ! Evidente de simplicité, elle réussit à illuminer le spectateur. C'est d'ailleurs dans toutes les scènes entre ces jeunes personnages que le film excelle. Parfois lourd dès l'apparition des adultes, il se termine très maladroitement nous promenant de tragédies en drames. Malgré tout, le talent du réalisateur est suffisamment fort pour nous imprimer quelques scènes sur la rétine...Inquiétudes
Réalisation : Gilles Bourdos
Scénario : Gilles Bourdos & Michel Spinoza
Avec : Grégoire Colin, Julie Ordon, Brigitte Catillon.
Sortie nationale le 4 février 2004[Illustration : Grégoire Colin, DR Mars Distribution]
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