Le Cabinet de curiosites de Guillermo del Toro
Netflix

Inégale, forcément inégale, la série initiée par Guillermo Del Toro comporte néanmoins quelques pépites horrifiques.

C’est l’année Guillermo del Toro. Ouverte en janvier avec la sortie de son envoûtant Nightmare Alley, elle se conclura avec la mise en ligne sur Netflix, le 9 décembre, de sa relecture en stop-motion de Pinocchio, dont les échos qui nous sont parvenus depuis le festival Lumière (où le film vient d’être présenté en avant-première) sont totalement dithyrambiques. En attendant, le Mexicain hyperactif s’amuse à jouer les maîtres de cérémonie, néo-Rod Serling, dans l’anthologie horrifique Le Cabinet de curiosités, son Alfred Hitchcock présente à lui, qui se dévoile cette semaine sur Netflix au compte-gouttes, à raison de deux épisodes par jour (il y en a 8 en tout).

Dans certaines interventions publiques récentes sur les séries, à Lumière ou au festival de Cannes, del Toro avait eu des mots jugés assez durs par certains sériephiles : le réalisateur de La Forme de l’eau a expliqué que, dans les séries, l’art de la mise en scène était toujours sacrifié sur l’autel du développement de l’intrigue et des personnages, que l’importance du "moment" y supplantait celle du plan. Tout le projet de son Cabinet de curiosités semble être né de ce constat, et du désir conséquent d’exalter l’importance de la mise en scène au sein même du médium télé.  

En préambule de chaque épisode, del Toro débarque dans donc son costume trois pièces de geek érudit, de MC macabre, et conclut chacun de ses petits speechs introductifs en annonçant non seulement le titre de l’épisode mais aussi, surtout, le nom de celui ou celle qui le réalise. Une manière de dire que c’est bien là que se situe la cohérence de sa petite boutique des horreurs : il faut envisager celle-ci comme un laboratoire pour des cinéastes spécialisés dans les sensations fortes, une plateforme leur permettant de briller et de peaufiner leur art.

Guillermo del Toro - Nightmare Alley : "L’amour du cinéma m’a sauvé la vie plusieurs fois"

Le casting des réalisateurs et réalisatrices ici conviés associe ainsi quelques mercenaires vétérans (Vincenzo « Cube » Natali, Catherine « Twilight » Hardwicke, Guillermo Navarro, réalisateur de séries chevronné et par ailleurs chef op’ de nombreux films de Del Toro, oscarisé pour Le Labyrinthe de Pan) à de jeunes pousses pas encore parvenues à maturité comme Ana Lily Amirpour (A Girl Walks Home Alone At Night, The Bad Batch) ou Keith Thomas (The Vigil, Firestarter). Presque sans surprise, les trois épisodes les plus excitants de la collection sont ceux signés par les trois auteurs dont on était le plus curieux de voir ce qu’ils avaient dans le ventre, après des débuts très remarqués : David Prior, Panos Cosmatos et Jennifer Kent.  

Collaborateur de David Fincher, réalisateur du making of de The Social Network, David Prior est l’auteur de The Empty Man, film vaguement maudit (plombé par le rachat de la Fox par Disney, puis par l’épidémie de Covid, retiré des mains de son réalisateur qui n’a pu en découvrir la version définitive qu’en salle, en payant sa place comme un pékin moyen) et jouissant surtout d’un grand culte. Prior montre ici les muscles avec un segment cauchemardesque (l’épisode 3, L’Autopsie), méchamment craspec, constellé de visions d’horreur a priori inoubliables, qui propulse une forme de terreur cosmique ancestrale, cette angoisse millénaire provoquée par la contemplation de la voute étoilée, dans les soubassements claustro d’une salle d’autopsie, où la terreur va être rythmée par les coups de scalpel de l’impavide F. Murray Abraham. L’Autopsie est une variation démente sur le thème de la contamination, de la contagion du mal, qui entremêle les ombres de Body Snatchers et Seven, et confirme la rigueur anxiogène de la mise en scène de Prior. Qu’on lui donne un budget pour faire un long-métrage digne de ce nom, à la fin ! Et le final cut, tant qu’à faire, cette fois-ci.

L’Exposition, de Panos Cosmatos (épisode 7), ne fera peut-être pas changer d’avis ceux qui n’avaient vu dans Mandy (l’un des Nicolas Cage les plus hallucinés des années 2010) qu’un écran de fumée hipster : pas grave, l’épisode est quand même très amusant, sorte de réinvention de l’esthétique d’un ciné seventies trippant et lysergique à l’heure des filtres Insta et de la frime post-Nicolas Winding Refn. Peter Weller, plus minéral que jamais, reprenant la place de vieux sachem buriné laissé vacante par David Carradine, y préside une assemblée où des esprits brillants ont été invités à savourer diverses drogues de première qualité avant d’assister à un mystérieux spectacle. Ils parlent, causent, bla-blatent à n’en plus finir, se jaugent les uns les autres, le temps s’étire, s’allonge, devient élastique – une dilatation extrême censée mimer l’effet d’une drogue très puissante et dont la principale fonction est bien sûr de conférer encore plus de force au pandémonium qui va suivre. Un brillant exercice de style psychédélico-tarantinien.

Comment Guillermo del Toro a fait son Pinocchio : plongée dans les coulisses

Del Toro a gardé pour la fin le segment réalisé par Jennifer Kent : sans doute savait-il que c’était celui qu’on attendait le plus, après le choc The Nightingale, deuxième film terrassant de la réalisatrice de Mister Babadook. Après son « Rossignol », Kent poursuit d’ailleurs dans Murmuration (épisode 8) ses métaphores aviaires, pour examiner les formes tortueuses et obsédantes prises par le trauma et le deuil chez un couple d’ornithologues, affligés par la mort précoce de leur enfant. Kent utilise les ressorts et les figures imposées du film de fantômes et de maison hantée avec beaucoup de subtilité et de délicatesse, dans le segment le plus émouvant et élégant de l’anthologie – un témoignage supplémentaire de la sensibilité monstre de la réalisatrice.

Le reste de la série varie entre épisodes banals (Le Lot 36, épisode 1, sympathique mais un peu expédié) et d’autres trop brouillons (les épisode 5 et 6, ceux de Keith Thomas et Catherine Hardwicke, tous deux adaptés de Lovecraft), parfois simplement divertissants (le très dégueu Rats de cimetière, de Vincenzo Natali, épisode 2), quand même tous un peu plombés par leurs durées excessives – au temps de La Quatrième Dimension, la satire d’Ana Lily Amirpour sur les crèmes de jour et l’enfer du conformisme suburbain (La Prison des apparences, épisode 4) aurait été emballée en 26 minutes, plutôt que de se traîner sur une heure. Malgré les inévitables baisses de régime de ce genre d’entreprise, palpite néanmoins d’un épisode à l’autre un amour très réjouissant de l’artisanat horrifique : le bestiaire imaginé par del Toro (qui a contribué au design de la plupart des bestioles et créatures qui s’agitent ici) est impressionnant d’invention et de puissance évocatrice. En attendant Pinocchio, admirons donc le maître de marionnettes en action.

Le Cabinet de curiosités de Guillermo Del Toro, sur Netflix.