Classique 80’s ? Grand western urbain ? Vous êtes sûrs ? La redif télé des Incorruptibles est l’occasion parfaite de réviser votre jugement sur ce polar un peu bancal, un peu bordélique, mais terriblement divertissant.
Adoré, oscarisé, jamais oublié, Les Incorruptibles n’en reste pas moins un film claudiquant, dans lequel un scénariste, un metteur en scène, un studio et une star semblent se livrer une bataille ouverte pendant un peu plus de deux heures. Le temps l’a rendu étrange, à la fois totalement jouissif et jamais satisfaisant. On observe ainsi son classicisme chic se faire mettre à mal par des embardées très ironiques, et on a un peu de mal à recoller tous ces jolis morceaux entre eux. Désignés très vite comme des grenouilles de bénitier, salement racistes et accros à la violence, les quatre valeureux incorruptibles du titre doivent ainsi s’envisager comme le bras armé de l’Amérique puritaine, traquant avec un certain plaisir les libertaires alcoolisés et tout ce qui ne leur ressemble pas.
Le film va raconter la manière dont le très falot Eliot Ness, passionné par la Bible et les sermons, se transforme en vigilante illuminé au contact de la pègre et d’un père (fouettard) de substitution, Jimmy Malone. D’abord prudent lorsqu’il s’agit de dégainer son flingue, l’inspecteur Eli va vite oublier sa pudeur et finira par balancer sans sourciller le gangster Frank Nitti du haut du toit du tribunal de Chicago – il faisait un peu trop le malin à son goût....

À côté de cette brute inculte, sorte de proto white supremacist, Al Capone sous les traits de Robert de Niro est un monsieur d’une rare sophistication, bouleversé par des airs d’opéras dont Ness n’entendra jamais la moindre note de toute sa vie. On voit très bien ce qui a pu séduire dans ce projet Brian De Palma, satiriste jamais bien subtil de l’Amérique réac', et son scénariste David Mamet, dont la virilité mal dégrossie a toujours été l’un des grands sujets de prédilection.
NAISSANCE D’UNE STAR
Oui mais voilà, en parallèle de ce film-là, il y en a un second, très différent, confectionné dans leur coin par Kevin Costner et la Paramount. Nous sommes en 1987 et l’acteur, belle gueule qui n’arrive pas à percer, sait qu’il joue ici sa carrière. Il a un destin à accomplir, devenir la star favorite de l’Amérique républicaine, et le rôle de Ness est une aubaine. Il va l’interpréter sans ironie ni la moindre ambivalence, faisant ainsi capoter toute la mise à distance proposée par le récit et la mise en scène. C’est l’acte de naissance sidérant d’une star, qui si elle n’a pas encore le pouvoir sur un plateau parvient par son seul génie à remettre tout le projet à sa main.

En face, Sean Connery a beau en faire des caisses en vieux poulet droitard, Kevin Costner reste imperturbable, fièrement yankee et complètement scotchant. Quelques scènes grotesques probablement suggérées par le studio (la petite fille qui meurt dans une explosion au début et devient un alibi pour exterminer la racaille italienne) permettront à la vision de Costner de triompher et de s’imposer dans l’inconscient collectif.
POLAR VINTAGE
Tant pis donc si rien ne s’agrège. On peut prendre du plaisir à siroter la verve acerbe du duo De Palma/Mamet, être ébloui face au tour de force effectué par Costner (qui se débrouille même pour monter à cheval dans un polar vintage) et il faut évidemment louer le triomphe de production value que représente cet objet habillé par Armani et mis en musique par Ennio Morricone. Chacun joue dans son coin et contre son coéquipier, et c’est peut-être pour ça que c’est aussi amusant à regarder. Une guerre des gangs, même lorsqu’elle se joue en coulisses, s’avère toujours un très bon moyen d’occuper son samedi soir.
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