Le Mélange des genres
Stéphanie Branchu

Rencontre avec les acteurs Benjamin Lavernhe et Judith Chemla à l’occasion de la sortie du nouveau film de Michel Leclerc.

Dans Le Mélange des genres, la nouvelle comédie signée Michel Leclerc (Le nom des gens), Léa Drucker incarne Simone, une flic aux idées conservatrice qui s’infiltre dans un collectif féministe. Pour détourner l’attention des membres qui la soupçonnent d'être une taupe, elle accuse au hasard le premier venu de l'avoir agressée sexuellement. Une fausse accusation qui tombe mal car Paul, incarné par Benjamin Lavernhe, est un homme doux et à la masculinité qu’on pourrait qualifier de déconstruite. À l’occasion de sa sortie au cinéma, Première a rencontré les acteurs Benjamin Lavernhe et Judith Chemla.

Retrouvez notre interview vidéo (avec aussi Léa Drucker et Michel Leclerc) sur notre compte Instagram : 

Première : Le Mélange des genres traite du féminisme mais d’une façon déconcertante avec cette fausse accusation de viol. Selon vous, la comédie est-elle le meilleur genre pour parler de ces questions-là ?  

Benjamin Lavernhe : Je ne sais pas si c'est le meilleur genre. Il y a peut-être même des personnes qui n'arriveront pas à en rire, car c’est encore trop tôt. En tout cas, la comédie nous permet de prendre des chemins de traverse, je dirais même de baisser la garde… Le fait de rire nous désarme dans le bon sens, ça nous libère. Faire une comédie policière avec beaucoup de poésie nous permet de réfléchir et de créer du débat autrement. Quand la comédie s’empare d’un sujet avec responsabilité, qu’elle est documentée et qu’elle n’est pas faite à la légère - malgré la légèreté du genre - ça devient merveilleux. 

Judith Chemla : En tout cas, je pense qu’il est plus facile d’évoquer un sujet aussi lourd par le rire. Le film est tendre tout en mettant les choses sur la table. Le personnage de Léa [Drucker], celle qui porte l’accusation, est misogyne. Il faut le savoir : dans notre société, il y a des femmes qui le sont. Et il y a des hommes féministes. Michel [Leclerc] rit de tous ces clichés mais aussi des peurs, des paranoïas que chacun peut avoir. Ça fait du bien d’en rire, mais le film aborde aussi des réalités, comme le fait que 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite. 

Le Mélange des genres : une comédie audacieuse [critique]

Comment un homme, en l'occurrence Michel Leclerc, peut-il se positionner sur un tel sujet sans trop déborder, tout en n'étant pas frileux ? 

Judith Chemla : Ce n’était pas évident. Au début, Michel avait abordé un autre acteur pour le rôle de Paul, qui s’est finalement désisté par peur de ce que le public allait penser, notamment de cette fausse accusation de viol. Mais il ne faut pas oublier qu’elle est posée par une femme qui évolue dans un environnement misogyne et qui donne cette justification dans l’urgence. Le Mélange des genres est aussi une comédie sur un homme qui se demande : c'est quoi se déconstruire ? Est-ce que c'est se démolir ? Michel Leclerc joue en fait avec sa propre peur. Il rigole avec l'idée qu'il a de lui-même, d'un homme qui fait tout bien et qui pourtant en chie (Rires). Il ose prendre cette place, là où justement peu se risquent à penser et à réfléchir sur les mutations profondes que beaucoup de femmes exigent pour que le rêve d'égalité soit effectif. 

Benjamin Lavernhe : Je pense que la peur n’est jamais fertile, même pour un cinéaste blanc de justement plus de 50 ans, qui n'est pas forcément celui qu'on a envie d'écouter aujourd'hui. Mais il a des choses à dire. En plus de cela, Le Mélange des genres est un dialogue avec une femme, puisque Michel l’a écrit à quatre mains avec Baya Kasmi [ndlr ; scénariste du film et ex-compagne du réalisateur, actuellement à l'affiche avec Mikado]. Selon moi, il est primordial que la comédie s'empare aussi de ce sujet et ne le laisse pas uniquement aux dépêches AFP et aux procès terribles qui nous remplissent d'effroi… Michel Leclerc est un des cinéastes les plus fins car il apporte beaucoup de poésie, de burlesque, de l'absurde et de la dérision sans jamais enlever de la gravité au sujet. 

Le Mélange des genres - itw
Stéphanie Branchu

Par ailleurs, le personnage de Léa Drucker s’adresse à Paul, votre personnage, en lui disant : “on a besoin de vous entendre”. Est-ce le message du film ? 

Benjamin Lavernhe : Je crois vraiment que le film parle avant tout de la parole libérée. D'abord celle des femmes, mais aussi du chemin qu'il reste à faire pour les hommes. On peut leur reprocher de ne pas assez se prononcer sur la vague de féminisme et sur la révolution à l'œuvre aujourd’hui. Le Mélange des genres montre que le féminisme ne doit pas être uniquement le combat des femmes mais aussi celui des hommes. Je pense que c'est absolument nécessaire qu’on rejoigne les femmes non seulement dans l'écoute, mais aussi dans la condamnation de certains comportements. Selon moi, c'est la clé d'un féminisme moderne, conquérant, ouvert, et dégenré. 

Propos recueillis par Julien Drochon.