Black Panther : Wakanda Forever (2022)
Marvel

Remises en jeu par le COVID et les accords entre producteurs, distributeurs, diffuseurs, les règles des sorties cinéma continuent de faire l’actu.

Le 4 octobre prochain, la chronologie des médias entamera déjà une nouvelle phase de renégociation. Le CNC (centre national du cinéma et de l’image animée) accueillera ce jour-là une réunion des parties prenantes de l’industrie ciné française afin de discuter, une fois de plus, des prochaines modifications du règlement de sortie des films en France. Une étape d’évaluation de la dernière réactualisation de la chrono effectué en janvier dernier. Et qui cristallise à elle toute seule les enjeux actuels du cinéma en France, entre la salle de cinéma et les plateformes.

La loi du marché
Déjà, de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque la chronologie des médias ? Il s’agit d’un accord interprofessionnel (qui ne fait donc pas partie du Code du cinéma et de l’image animée), définissant principalement l’écart de durée entre la diffusion d’une œuvre au cinéma et sa mise à disposition sur d’autres supports : la télé, les Blu-Ray/DVD, et évidemment les plateformes de streaming. C’est ce dernier point qui fâche. A l’origine de la réglementation, la présence grandissante de la télévision après-guerre, qui était vue comme une concurrence pour le cinéma en salles, d’où la nécessité d’une législation encadrant la diffusion des films à la télé. Essayons de résumer un peu la dernière version de la chrono, établie le 24 janvier 2022 au Ministère de la Culture. Netflix faisait partie des signataires, mais pas Disney, ni Amazon, ni la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et le SEVN (Syndicat de l'Edition Vidéo Numérique). Signataires ou non, ils doivent tout de même se plier à ces règles. Le délai d’exclusivité des films en salles est fixé à quatre mois. Il y a une possibilité de dérogation si le film a fait moins de 100 000 entrées en salles en quatre semaines, auquel cas le délai est ramené à trois mois. Une fois ce délai achevé, le film peut être exploité en support physique (DVD et Blu-ray) ou en vidéo à la demande (VOD). Ce n’est pas tout : entre neuf et dix-sept mois après la sortie du film, celui-ci peut être diffusé sur une chaîne de télé payante spécialisée dans le cinéma (pas une plateforme). Sauf si celle-ci a passé un accord avec les organisations professionnelles du cinéma, auquel cas elle peut passer le film six mois après sa sortie. Petite règle supplémentaire : les SVOD (services de vidéos à la demande) par abonnement peuvent projeter un film quinze mois après sa sortie pour une durée de sept mois (à moins d’avoir passé un accord). Exemple significatif celui de Netflix : pour le streamer, la fenêtre de diffusion est placée à quinze mois et non pas dix-sept. En contrepartie, Netflix contribue au financement du cinéma français puisque la firme au "tudum" s’est engagé en février 2022 à investir 4% de son chiffre d’affaires annuel réalisé en France, pour un minimum de 30 millions, le tout dans au moins dix films "d’expression française". Pour corser le tout, le statut du film entre en compte, s’il a été financé ou acquis avant sa sortie par une chaîne de télé, et modifie de quelques mois ces durées. Le coût du film est important : s’il est inférieur à 5 millions d’euros peuvent être exploitées sur un SVOD par abonnement au-delà de 22 mois après leur sortie (si elles ont coûté plus, il faut un accord). N’oubliez pas que tout cela ne concerne pas les films durant moins d’une heure, classés automatiquement comme "courts-métrages". Voilà, en gros, l’état actuel de la chronologie des médias.

"Attention ! Nouvelle règle !"
Ça vous paraît compliqué ? S’il faut retenir quelque chose, c’est que la durée de mise à dispo d’un film à la télé et/ou en VOD et/ou en DVD par rapport à sa sortie en salles se réduit de plus en plus. Et que si ces réglementations visent d’abord à protéger l’exploitation des films en salles, il s’agit surtout de réguler toute l’exploitation d’un film du grand au petit écran, en prenant en compte la façon dont les films sont financés -notamment par les chaînes de télé, qui financent des films et donc sont intéressées dans toute l’histoire de leur exploitation. Cet accord était en effet très favorable à Canal+, qui parvenait à raccourcir son délai de diffusion désormais ramené à six mois en échange d’un investissement de 600 millions dans le cinéma européen jusqu’en 2024. La chronologie des médias veut donc être un moyen d’intégrer non seulement la façon dont les films se voient, mais également comment ils se font. Les acteurs du cinéma en salles (salles mais aussi distributeurs, qui ne vont pas les unes sans les autres), fortement impactés par le COVID, sont encore convalescents : il faut redonner au public non pas le goût de revenir au cinéma (le carton énorme de Top Gun : Maverick montre qu’il est là, pas de souci) mais l’habitude de revenir en salles pour voir des films. Est-ce que le monde du cinéma gagnerait à être complètement libéralisé, permettant aux distributeurs de sortir leurs films simultanément en et en VOD ?

Canal + et Netflix, grands gagnants du changement de la chronologie des médias

Pas de Disney à Noël
Dans tous les cas, un distributeur comme Disney trouve cela bien trop restrictif par rapport à sa stratégie mondiale. De fait, la France est le seul pays au monde à avoir une réglementation nationale de cet acabit. Et Disney, qui contribue également beaucoup au financement du cinéma français via ses sorties salles, toujours événementielles, possède surtout son propre SVOD (un truc nommé Disney+), et aimerait bien un peu plus de libéralité dans le domaine : et donc proposer les films à la fois en salles et sur leur plateforme VOD, histoire de ratisser le plus large possible. Et pour cela, Disney décide d’utiliser le chantage à la sortie en sacrifiant ses propres films. En juin dernier, la sortie en salles d’Avalonia, l’étrange voyage, prévue initialement le 23 novembre, juste avant les fêtes de fin d’année, a été annulée ; le film sera visible directement sur Disney+. "C'est la conséquence de la chronologie des médias telle que pratiquée en France que nous jugeons inéquitable, contraignante et inadaptée aux attentes de nos audiences", déclare aux Echos Hélène Etzi, présidente de Disney France, pour justifier cette annulation. Selon l’état actuel de la chrono, Disney+ doit retirer de sa plateforme ses films sortis en salles après une fenêtre de cinq mois en exclusivité, afin que les chaînes en clair puissent les diffuser : Disney aimerait supprimer cette obligation, bien qu’une solution figure déjà dans la chrono en permettant un accord entre le streamer et les chaînes en clair (si le film coûte entre 5 et 25 millions d’euros). Dans un communiqué annonçant l’annulation, Disney dénonce "l’encombrante nouvelle chronologie des médias" qui selon le studio "va à l’encontre des consommateurs, ignorant comment les comportements ont évolué au cours des dernières années et nous met face à un risque accru de piratage."  Conclusion de Disney : "Nous continuerons à prendre des décisions au cas par cas pour chaque film en fonction des conditions particulières de chaque marché." Prey, le nouveau film de la franchise Predator, sortira pendant l’été sur Disney+, mais Buzz l’éclair et Thor : Love and Thunder sortent bien en salles. Début septembre, Disney évoque la possibilité d’annuler la sortie en salles, prévue au 9 novembre, de Wakanda Forever. La suite de Black Panther pourrait ainsi directement sortir sur Disney+. Une première pour un film du Marvel Cinematic Universe. "La chronologie des médias nous contraint à évaluer nos sorties en salle film par film", répète alors la firme au Film français.

Avalonia : la somptueuse bande-annonce du Disney qui ne sortira pas au ciné en France

Chrono Trigger
Le studio conserve toutefois dans son calendrier de fin d’année Coup de théâtre (sorti le 14 septembre dernier), Avatar (ressortie le 21 septembre), Amsterdam de David O. Russell (1er novembre), Le Menu (23 novembre), Les Banshees d'Inisherin récompensé à Venise (28 décembre 2022)… et, évidemment, le film le plus attendu de la décennie, Avatar : la voie de l'eau, toujours calé au 14 décembre. Avec un tel line-up, difficile de prendre au sérieux des arguments comme la menace du piratage (a priori facilité lorsque le film se retrouve directement sur une plateforme) ou les changements du comportement du public, surtout quand les derniers films du MCU (Doctor Strange 2 et Thor 4) ont rassemblé plus de 6,1 millions de spectateurs à tous les deux. Mais la privation en salles d’un film du MCU ou du traditionnel Disney animé de Noël a un poids symbolique plus important, et donc plus médiatique. Résultat de ce storytelling : les réseaux sociaux regorgent de réactions de fans indignés à l’idée d’être privés de tels films à cause de l’affreuse chronologie des médias, bouc émissaire idéal -ignorant ainsi que cette décision relève évidemment uniquement des instances de Disney, et non pas d’une inique censure bureaucratique nationale visant à punir le public. Jeudi 22 septembre, le 77ème congrès de la Fédération Nationale des Cinémas français (FNCF) s’est achevé à Deauville avec une journée complète de présentations des grands événements cinéma des mois à venir par leurs distributeurs -dont Disney, évidemment : le studio n’a présenté "que" des images d’Avatar : La Voie de l’eau sans communiquer sur le reste de ses sorties. Alors, Wakanda Forever ou Never au cinéma ? A suivre. En tous cas, la Ministre de la Culture Rima Abdul Malak a affirmé aujourd’hui à ce même congrès remettre la chronologie des médias sur le tapis. "Nous n'allons pas attendre trois ans pour renouveler cet accord", a-t-elle déclaré tout en annonçant une volonté d’aider le secteur des salles. "Il faut agir très rapidement". Mais dans quel sens ? On aura un avant-goût le 4 octobre.