Les Trois Mousquetaires : d'Artagnan
Pathé

Ses créateurs nous racontent leur ambition, et détaillent leurs sources d'inspiration : Les Duellistres, Cyrano, Gladiator, Les Aventuriers de l'Arche perdue...

En mai 2022, François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris et Pio Marmaï étaient réunis en couverture de Première, pour défendre Les Trois Mousquetaires : d'Artagnan, pendant que leur grande adversaire, Milady, était en une en solo pour teaser sa suite. Car cette adaptation de l'oeuvre d'Alexandre Dumas a été pensée en deux temps : sa première partie sortira au cinéma mercredi prochain, le 5 avril, et sa deuxième en fin d'année, le 13 décembre précisément.

Première dévoilait ainsi dans ce numéro 529 les secrets des Trois Mousquetaires de 2023, racontés par le producteur du projet, Dimitri Rassam, ainsi que les scénaristes Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, et le réalisateur Martin Bourboulon. Ce week-end, nous partageons leurs propos en ligne -en deux parties- à l'occasion de la sortie imminente du premier volet, D'Artagnan. Le dossier complet (avec notamment des interviews du casting principal) est à retrouver dans notre kiosque en ligne, et en plus de ce numéro, François Civil est de nouveau en couverture de Première pour ce mois d'avril (n°539, à découvrir ici).

Propos recueillis par Thomas Baurez, Thierry Chèze et Gaël Golhen.


Eva Green en couverture de Première pour Les Trois Mousquetaires : "Milady a un côté psychopathe"

C’était avant Hollywood et bien avant la conquête de l’imaginaire collectif par le cinéma et la télévision. En 1844, sous une monarchie instable, paraissent dans le journal Le Siècle, sous forme de feuilleton, les aventures du jeune d’Artagnan et des mousquetaires Athos, Porthos et Aramis. Le succès est immédiat et propulse Alexandre Dumas au Panthéon de la culture française. De l’action, du panache, de l’amour, des complots : Les Trois Mousquetaires emportait ses lecteurs dans un monde d’action et d’aventure. Dumas y bâtissait un univers mythologique où cohabitaient le tragique et l’humour, la violence et la délicatesse, la laideur et la beauté…

Évidemment, le cinéma s’en est emparé (on compte plus de cinquante versions), mais depuis la première, aucune adaptation ne fut jamais totalement à la hauteur de ce monument. Trop kitsch, trop médiocre, trop ronflante… C’est en partie pour rendre justice à Dumas, à la puissance de son imagination et à la complexité de son intrigue, que ce nouveau projet est né. Début 2020, alors que le Covid plongeait le pays dans la torpeur, quatre mousquetaires ont décidé de relever le défi et de dépoussiérer la belle endormie. Dimitri Rassam, Martin Bourboulon, Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière se sont donc lancés dans une aventure exceptionnelle qui arrivera sur les écrans en avril 2023, sous la forme de deux films portés par un casting cinq étoiles. Première a rencontré ces protagonistes qui entendent redonner toute sa noblesse à la salle et qui ont pour l’occasion défié pas mal des lois de l’industrie. Voilà l’Oral Story des Trois Mousquetaires : d’Artagnan et des Trois Mousquetaires : Milady.

Les Trois Mousquetaires Première
Première

LA GENESE

DIMITRI RASSAM : J’ai passé l’année 2019 à chercher un sujet pouvant susciter un véritable événement sur grand écran. J’ai établi une liste d’œuvres que j’avais envie de produire. Une demi-douzaine de titres (dont Les Rois maudits de Maurice Druon). Et puis au bout d’un certain temps, une s’est distinguée : Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas.

MATTHIEU DELAPORTE : Avec Alexandre, on est fans de Dumas. On avait même envisagé de reprendre une pièce argentine pour adapter Les Trois Mousquetaires au théâtre. Mais on avait fini par renoncer, effrayés par le barnum que ça aurait engendré, et parce qu’on trouvait que la pièce en elle-même ne prenait pas le bon axe.

ALEXANDRE DE LA PATELLIÈRE : En tout cas, on avait relu le roman avec passion. Tout en se disant que ça resterait une chimère, impossible à faire. Et puis après la sortie du Meilleur reste à venir, début 2020, juste avant le Covid, Dimitri nous appelle et nous demande : « Vous n’avez pas envie d’écrire Les Trois Mousquetaires ? »

MARTIN BOURBOULON : De mon côté, je suis en train de finir Eiffel quand Dimitri me propose de réaliser Les Trois Mousquetaires. Et je saute sur l’occasion. Au moment où les plateformes prennent de plus en plus de place, je pense que le cinéma doit apporter de grandes histoires, avec des propositions visuelles très fortes. Revisiter cette histoire, c’est pertinent. Et puis j’y vois un défi personnel pour moi qui ai fait de la comédie avant de bifurquer vers le film à grand spectacle.

DR : Tous les quatre, on se connaît intimement depuis plus de dix ans. Avoir fait appel à Matthieu, Alexandre et Martin peut paraître paradoxal alors qu’on a tout de suite voulu s’éloigner de la comédie et se concentrer sur l’aventure, mais il y a une mécanique Dumas comme il y a une mécanique dans la comédie. Et je savais qu’on travaillerait dans un esprit de camaraderie essentiel pour ce type de projet au long cours. Parallèlement, dans le même élan, je propose l’idée à Pathé. Je m’appuie sur l’expérience du Petit Prince : s’emparer du patrimoine avec une ambition de modernité, sans en trahir l’esprit.

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L'ECRITURE ET LA PREPARATION

DR : On commence à travailler à la fabrication dès l’été 2020. Pour se confronter très tôt au comment. Artistiquement et financièrement. On est portés par le souffle d’une écriture sans contrainte. Ce souffle qu’on ressent chez Dumas. 

ADLP : Si tu adaptes Les Trois Mousquetaires dans son intégralité, ça donne un long métrage de 120 heures ! Donc ça ne servait à rien de chercher à faire une adaptation linéaire du roman. Il fallait retrouver l’esprit et l’intention de Dumas. 

MD : Très vite on a une certitude : il faut deux films. 

ADLP : Et il faut les tourner en français.

DR : Le français était présent dès le début. On s’est appuyés sur le changement de goût du public international qui accepte de plus en plus de regarder des films en version originale. Il ne faut pas oublier à quel point Cyrano de Bergerac a été un triomphe dans le monde entier, en dépit des alexandrins, car quelque chose dépassait la barrière de la langue. Notre ambition était aussi que l’excellence à la française puisse attirer les gens au-delà de la langue.

MD : Quand on commence à désosser le monstre, on se demande par quel bout le prendre. Dumas a écrit Les Trois Mousquetaires avec Auguste Maquet. Ils l’ont pensé comme une série avec l’idée qu’à la saison 7, plus personne ne se souviendrait de la saison 2. Il y a donc pas mal d’erreurs dans le livre. D’Artagnan y est fait deux fois mousquetaire par exemple ! (Rires.)

ADLP : Autre problème : il n’y a aucune scène entre Milady et d’Artagnan pendant 300 pages. Or, on ne pouvait pas faire apparaître Eva Green au milieu du deuxième film… 

MD : Mais à partir du moment où tu remontes le personnage de Milady dans l’intrigue, il y a un effet domino. Les deux films s’imposaient donc pour cette raison. Et aussi par la structure même de l’œuvre découpée en deux : les ferrets de la reine puis le siège de La Rochelle.

R : L’impulsion de tourner les deux films dans la foulée naît d’un échange avec les producteurs, Ardavan Safaee et Jérôme Seydoux. Dans cette envie commune de renouer avec l’envergure des fresques produites par Claude Berri que j’ai côtoyé gamin.

MB : Au début, j’ai un peu moins de disponibilité que Dimitri, Alex et Matthieu parce que je suis en train de finir Eiffel. Je laisse Matthieu et Alexandre avancer de leur côté. Je leur dis simplement qu’il faut que cette adaptation sonne juste, authentique. Dans les combats, dans les relations entre les personnages et dans les enjeux qui sont très forts. Et je dis tout de suite qu’il faut que l’on puisse tourner en décors naturels. Je veux que l’on voie les acteurs interagir avec leur environnement !

MD : Être au milieu de la campagne ou de bâtiments d’époque, dans la boue plutôt que sur des fonds verts en studio… ça change tout pour eux.

DR : Et ça tombe bien car en France, on a tout. C’était aussi un choix assumé dès le départ de tourner entièrement ces films chez nous, sous peine de trahir l’esprit du projet : on ne peut pas célébrer le panache français et poser nos caméras à l’étranger! 

ADLP : La grosse phase d’écriture a eu lieu pendant le confinement. C’était fantastique pour Matthieu et moi d’être séparés – ce qui ne nous était pas arrivé depuis vingt ans car on habite à 500 mètres l’un de l’autre –, chacun sur son ordinateur, plongé dans le XVIIe  siècle ou à lire des correspondances entre Richelieu et Louis XIII. 

MD : On est devenus fous, intoxiqués par le XVIIe  siècle et la folie de Dumas ! Je pense que c’est cette folie, vite devenue collective, qui nous a sauvés. Car les dates de tournage ont été décidées avant même que les scénarios soient terminés ! Au fur et à mesure, on racontait aux producteurs l’histoire que nous étions en train d’écrire… pour voir si ça marchait. Trente, quarante minutes de film. Et on a tout de suite vu que ça leur plaisait.

ADLP : Mieux, ils nous disaient : « Lâchez-vous, faites tout ce que voulez. » On était comme des fous !

MD : Ce qui est dingue, c’est le pari de Dimitri Rassam et de Pathé qui ont lancé la production et le casting des deux films, alors que les scénarios n’étaient pas finis.

DR : Ces films se sont faits dans un système de production bien particulier. On ne savait pas combien ils allaient coûter avant d’avoir travaillé dessus pendant huit mois. En fait, cette logique de fabrication rappelle celle du Petit Prince et de l’animation. Tu pars avec une simple promesse. En l’occurrence ici, seul le premier scénario était terminé, le deuxième était encore en écriture. Mais si j’avais passé mon temps à budgéter et financer, je serais passé à côté de l’essentiel : le dialogue artistique avec les auteurs qui a permis de trouver le parfait équilibre.

MD : On a fini une première phase d’écriture avec un film de 6 heures – qu’on a dû forcément couper après. Dumas avait cette phrase (impossible à entendre aujourd’hui) : « On peut violer l’histoire à condition de lui faire de beaux enfants. » On a repris son principe d’écriture. Il s’inspirait de la vie de chacun des mousquetaires mais en les déplaçant dans le temps. Ça nous a autorisés à réinvestir l’histoire de France.

ADLP : On est passionnés d’histoire. Si, par le biais de la fiction, on peut permettre aux gens de se reconnecter avec l’histoire de leur pays pour en montrer à la fois la grandeur et la complexité, c’est formidable.

MD : Notre intention était de rendre ça toujours accessible et ludique. Par exemple, on s’est interdit la voix off. On voulait faire comprendre les choses sans que quelqu’un les raconte.

DR : L’idée était aussi que les personnages parlent d’une façon qui corresponde à l’époque, mais qu’on puisse entendre et comprendre en 2022. Il y avait donc une réinvention du style à effectuer, afin que le spectateur ne sorte jamais du film.

ADLP  : Et on avait toujours la mise en scène à l’esprit. On écrivait pour Martin qu’on connaît très bien ! La ligne s’est donc créée de manière organique. Cette idée de la modernité, de la rapidité… Les duels sont un bon exemple. On a revu beaucoup de films pour savoir comment les écrire. Les Duellistes n’a pas pris une ride. Pourquoi ? Parce que les duels qu’on te montre sont vrais. À l’époque, ils étaient très courts : les hommes mettaient longtemps à se toucher, mais au premier contact, il y avait un mort ! Quand tu t’installes dans cette dynamique, tu n’écris plus de la même manière. 

MB : Une fois que Matthieu et Alexandre ont jugé qu’il y avait une version sur laquelle échanger, je leur ai fait mon premier retour de lecture commun avec les producteurs et certains membres de mon équipe. À la fois pour faire rentrer tout cela dans un plan de travail et leur proposer un regard sur la dramaturgie, les personnages, en les emmenant vers la direction du film que j’envisageais. Très vite des intentions de mise en scène naissent : la narration en temps réel ; des scènes où l’action ne serait pas observée mais vécue de l’intérieur, avec une caméra immersive très près des personnages. Pendant toute la préparation, nous étions obsédés par une question : qu’est-ce que ça veut dire faire Les Trois Mousquetaires en 2022 ? À qui s’adresse cette histoire ? Comment la raconte-t-on ?  Et comment se situe-t-on par rapport aux différents films de cape et d’épée qui nous ont précédés ? On veut évidemment leur rendre hommage, mais aussi apporter quelque chose de neuf.

Les trois mousquetaires
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R : On savait dès le début qu’il y aurait un a priori un peu kitsch sur Les Trois Mousquetaires. Toutes proportions gardées, c’est comme quand Nolan s’attaque à Batman après Schumacher.

MD : Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a pas eu d’adaptation définitive des Trois Mousquetaires et c’est un avantage. On n’est pas coincés par une version de référence, et on a pu lâcher les chevaux. C’est amusant de remarquer que dans les précédentes adaptations du roman de Dumas, l’accent est toujours mis sur la farce, le côté Fourberies de Scapin. Or, nous avions la sensation inverse : on voulait être beaucoup plus proches de l’esprit bretteur de Cyrano. Au cours d’une époque de duels, si tu n’es pas au premier degré, plus rien n’a d’importance et le récit perd de son intérêt. Alors que ce qui est passionnant dans Les Trois Mousquetaires, comme dans Cyrano, c’est que ce sont des gens qui affrontent la mort avec une bravoure démesurée. Si la mort n’est pas toujours présente en toile de fond, les enjeux s’affaiblissent. Il fallait revenir à la complexité de ces personnages, hommes et femmes, avec des retournements psychologiques très forts.

ADLP : C’est un vrai livre d’aventures. Un portrait d’hommes extraordinaires dans un monde très sombre et au bord de la bascule. Un monde de guerre de religion riche en destins tragiques. Il y a du thriller, du danger permanent, le tout avec le sens du rythme incroyable de Dumas qui fait qu’on colle aux personnages comme dans les meilleurs page-turners. On a écrit en voulant retrouver nos sensations de lecteurs. On nous a confié un vrai coffre à jouets. Souvent, quand tu croises un producteur, il te dit que pour ton histoire, tu as le droit à un salon avec quatre personnages et pas d’extérieur. On le sait, on l’a fait! (Rires.) Là, il y a des duels, des cathédrales, des sièges, des cavalcades…

MD : La référence, c’est le grand cinéma populaire français.

ADLP : Et Ridley Scott ! Pour sa capacité à se pencher sur l’Histoire dans de grands films puissants.

MD : Des grands films épiques, mais où la dramaturgie est simple. Comme dans Gladiator : il se passe plein de trucs, mais la narration tient sur une page. On voulait faire attention à ne pas tomber dans trop de complexité.

ADLP : Garder une ligne pure. 

MD : Un autre film nous a guidés, qui pourtant n’a rien à voir : Les Aventuriers de l’arche perdue. Là, Spielberg réussit à faire comprendre des enjeux dramaturgiques et historiques complexes à toute une génération, et à distiller un nombre d’informations affolant dans des scènes très ludiques.

DR : Au fond, nos mousquetaires sont un peu les enfants naturels de Cyrano et d’Indiana Jones.

ADLP  : La nouveauté pour nous, c’était d’écrire des scènes d’action. On s’y est employés de manière très précise. Car l’action dans Les Trois Mousquetaires raconte l’histoire. Et on a eu pour cela énormément d’échanges avec Martin.

DR : On n’est évidemment pas dans une réalité historique totale. Mais on raconte le grand œuvre de Richelieu et Mazarin qui a consisté à transformer la France en la centralisant. Les Trois Mousquetaires, c’est notre Far West, avec des comtés indépendants du pouvoir central qui se rebellent. Avec des liens familiaux qui dictent beaucoup de choses. Une vision très shakespearienne de l’histoire. L’envie de la raconter compte autant que notre envie de cinéma. La constitution de l’équipe s’est terminée à l’été 2020 et le tournage a commencé durant l’été 2021.

La suite de notre dossier spécial consacré aux Trois Mousquetaires est à lire ici