Valeur sentimentale
Kasper Tuxen

Le réalisateur de Julie (en 12 Chapitres) revient avec un film plus théorique mais magnifiquement incarné par Stellan Skarsgård et Renate Reinsve.

Quatre ans après Julie (en 12 Chapitres), retour à la compétition cannoise pour Joachim Trier avec Valeur Sentimentale. Le Norvégien embarque à nouveau avec lui la divine Renate Reisvne pour raconter l’histoire de deux soeurs qui voient leur père, réalisateur (ça a son importance), revenir dans leur vie après de très longues années d’absence. L’une accepte ce retour inattendu, l’autre (Reisvne), comédienne de théâtre, garde prudemment ses distances. Mais le padre ajoute au trouble en lui proposant un rôle dans son prochain film, qu’il tient à tourner dans la maison familiale. Quand elle refuse, une jeune actrice hollywoodienne (Elle Fanning) la remplace au pied levé, et les choses s’enveniment…

Joli objet bergmanien en diable (ce n’est pas un hasard si Stellan Skarsgård, qui a joué au théâtre sous la direction de Bergman, incarne ce paternel revêche) que ce Valeur sentimentale, film fragile et théorique qui travaille à feu doux, parcouru de tout son long par une très belle idée : dans cette famille dysfonctionnelle, le seul endroit de rapprochement possible est le cinéma. Le paternel ne s’intéresse à ses filles qu’aux moments où elles trouvent une place dans son oeuvre, et les sourires ne s’échangent qu’en présence d’un DVD (formidable vanne d’Irréversible offert en cadeau d’anniversaire à un gamin de 10 ans), durant un tournage ou en présence d’un scénario.

Difficile de ne pas imaginer que c’est Joachim Trier qui se raconte un peu dans cette affaire, balançant au passage quelques piques plus ou moins fines aux journalistes, à Netflix et au ciné hollywoodien. Il y a là-dedans un petit côté « garant du bon goût » légèrement narcissique, mais le cinéaste met un couvercle sur son ego dès qu’il se recentre sur son trio central.

C’est fulgurant par instants, un peu aride et longuet à d’autres - il semblait sage de couper une bonne vingtaine de minutes - mais la répétition de motifs entêtants finit par produire autant de sens que d’émotion. Un film qui vous a à l’usure (soit l’opposé de Julie en 12 Chapitres) avec un Stellan stellaire, et Reisvne grandiose dans une partition downtempo, tout en regards fuyants et petites phrases assassines. Une girl next door fracassée par le désintérêt de son papounet à son endroit, mais certaine du pouvoir d’attraction du moindre mouvement de son visage. À ce petit jeu, même Elle Fanning ne peut pas rivaliser.

Valeur sentimentale, de Joachim Trier, avec Renate Reinsve, Inga Ibsdotter Lilleaas, Stellan Skarsgård… Durée 2 h 12. Sortie au cinéma le 20 août.