Dans le triangle Beaubourg, Maison des Métallos, Théâtre de la Bastille, se jouent différentes formes de mise en avant de la parole : version slam, inventaire oulipien, cabaret, poésie sonore, les performances ne se ressemblent pas malgré un point commun : le Verbe haut.Alors que sévit « l’Encyclopédie de la parole » à Beaubourg (un projet collectif mené par Joris Lacoste de recensement des diverses formes orales, se déclinant en séances d’écoute, installations sonores, pièces radiophoniques, conférences et performances, avec notamment le solo d’Emmanuelle Lafon, Parlement, inventaire parolier jubilatoire) et que la langue de Shakespeare nouvellement traduite percute la rythmique du slam à la Maison des Métallos (avec la reprise du spectacle Timon d’Athènes), le Théâtre de la Bastille présente sa troisième édition d’Hors-Série (jusqu’au 4 mars), collection de projets à la marge du spectacle vivant, qui donne cette année la part belle à la parole avec deux spectacles d’ouverture axés sur l’oralité. Des projets radicalement différents dans leur approche scénique de l’écriture. D’abord, Nothing to do, une création d’Emma Morin d’après des textes contemporains de Pascalle Monnier. Un montage littéraire regroupant des écrits publiés dans la revue « Action poétique » ainsi que chez P.O.L. qui se déploie en une succession de questions sans réponses énoncées par la voix à la texture claire et veloutée de la comédienne enveloppée dans l’environnement musical du guitariste Ryan Kernoa et du chanteur Frédéric Jouanlong. La scénographie est composée de cadres de lumière qui se déplacent et délimitent l’espace de parole. Chevelure baudelairienne, corps félin, féminin et musclé, Emma Morin impose en douceur une présence physique et vocale envoûtante. Sans psychologie aucune, elle nous donne à entendre une langue et dans le creux des questions naissent toutes sorte d’émotions fines et mouvantes. Ici, la coïncidence de la voix, du corps et de la musique live contribue à donner chair à un texte qui dans sa forme même, échappe. Il garde son mystère tout en gagnant une existence scénique qui le met en lumière sous un jour pluri-sensoriel. Comme un voyage en pays intérieur. Fondamentalement différente est la démarche du Collectif Lumière d’Août (Compagnie théâtrale et collectif d’auteurs qui emprunte son nom à un roman de Faulkner). Alexis Fichet et ses acolytes nous présentent quatre petites formes de proximité où la parole est centrale. Plateau vide. Dispositif minimal. Le verbe ici n’est pas scénarisé, scénographié, esthétisé. Il est livré brut, sans souci de forme extérieure mais porté par un débit hautement travaillé. Ça commence par « Peloton », une performance de poésie sonore de Nicolas Richard. Un début sur les chapeaux de roue, tant le comédien-auteur débite ses textes comme on se lance dans un crawl. Avec lui, la poésie est un sport dont il sort à bout de souffle mais tout sourire et nous aussi. Le solo devient équipe dans « Propriété » où le texte est performé à deux (avec Alexis Fichet) en une synchronisation magistrale. Dans « Les Dirigés face au changement », la parole se fait saynète moins formelle, plus simplifiée mais ouvertement politique, portée avec légèreté par deux comédiennes (on est moins convaincu par le texte). La présentation du collectif se clôt sur « Cabaret Quéquette », mise en chansons de textes de Christian Prigent, poète, essayiste et romancier contemporain, provocateur et joueur. C’est original, remarquablement interprété et mis en musique (par Bérengère Lebâcle et Jérémie Cordonnier), mais le projet mériterait d’être plus abouti, présenté à part et assumé comme un spectacle en soi, avec des choix scéniques plus clairement orientés. Car la langue de Prigent y trouve assurément un espace de déploiement unique.A chaque écriture, son chemin vers la scène. A chaque compagnie, ses auteurs de chevet, son lien à l’oralité. Toutes ces initiatives, ces tentatives de donner une scène à la parole d’aujourd’hui et aux écritures contemporaines s’avèrent nécessaires et stimulantes et témoignent de la vitalité de l’oralité et des formes scéniques nouvelles.Par Marie Plantin.