Première
par David Fakrikian
(...)Daniel Craig, on ne sait par quel miracle, est plus beau, plus brillant, plus charismatique plus raffiné que dans Skyfall. Impeccablement habillé, il séduit, assassine, se bagarre, détruit, réajuste son costume après une chute de plusieurs étages, capturant enfin l'essence de l'élégance et l'humour british de notre agent préféré. Des qualités qui lui faisaient défaut depuis que le reboot le présentait comme un diamant brut à raffiner, depuis le "blunt instrument" de Casino Royale.
Voici donc enfin le Bond "abouti", que l'épilogue de Casino Royale ("My name is Bond, James Bond") nous laissait espérer. Cela aura pris trois films au lieu d'un, mais de ce côté-là, on n'est pas déçu. Daniel Craig EST enfin James Bond ! (...) Pendant une heure, qui multiplie les clin d'oeils aux classiques de la saga, Spectre fonctionne à plein régime, et on y croit.(...) Toute cette partie, se déroulant en Italie, est absolument Bondienne et Flemingienne, adéquatement mise en musique par Thomas Newman. L'agent double zéro, tue avec le sourire et le bon mot, séduit les femmes avec classe et indécence. Et progresse dans une intrigue parfaite. Après avoir couché avec Lucia (Monica Bellucci, pour une apparition de quelques plans tenant du caméo), Bond infiltre un meeting de Spectre rappelant furieusement celui du début d'Opération Tonnerre. Franz Oberhauser (Christoph Waltz), y apparait pour la première fois, et c'est sa meilleure performance dans tout le film. Froide, Kubrickienne, la scène, où l'on découvre que le Spectre contrôle tous les malheurs du monde depuis les coulisses, est glaçante. Elle culmine avec le visage de Oberhauser sortant de l'ombre, pour un "coucou !" à la fois hilarant et effrayant, et lance une course-poursuite en Aston Martin qui est la meilleure scène d'action du film.
Le reboot entamé avec Casino Royale culmine dans ce moment mélangeant poursuite, exposition "on the go", politique, retcon instantané des trois aventures précédentes, gadgets et humour, et finissant, comme il se doit, avec une pirouette et un bon mot. A ce moment donc, tout est bon. On se dit que la croisière est lancée, que le film va tenir ses promesses d'un Bond classique, mais modernisé pour le 21e siècle, et mener l'agent encore plus loin, et nous avec. Malheureusement, Mendes se met alors à relier des points entre eux pour former son intrigue, là où les ficelles étaient quasi-invisibles auparavant. La confrontation avec Mr White (Jesper Christensen, vu dans Casino Royale et Quantum Of Solace) inspirée de la nouvelle Octopussy, et l'arrivée de Madeleine Swann (Léa Seydoux), qui illumine l'écran, cassent quelque chose. Le film semble tout à coup dévier de sa trajectoire, sabordant au fur et à mesure les scènes et la caractérisation des personnages. (...) Les choses empirent avec l'arrivée de Bond et Swann dans le repaire de Orbehauser, qui multiplie les clin d'oeils à Dr. No mais sans jamais retrouver l'intelligence et l'esprit qui animaient la répartie entre Bond et son adversaire dans le film original. Waltz, qui n'est pas aidé par l'écriture, trouve ses limites en tant qu'acteur. C'est là où Spectre déraille et commet LE crime de lèse-majesté (continuant d'insister sur le côté personnel des missions de Bond de manière caricaturale).
On se croirait dans OSS 117 ou bien Austin Powers… Le film multiplie alors les rebondissements sans aucune surprise, où la caractérisation des personnages passe à la trappe au profit de scènes d'action sans saveur, ni inventivité, dans lesquelles on ne se sent jamais vraiment engagés. A sauver, un plan séquence de destruction de la base, avec Bond et Swann en avant plan, qui est sans doute l'un des plus beaux jamais conçus par Mendes. Le personnage de Andrew Scott, C, sur lequel de nombreux fans nourrissaient un fantasme de surprises cachées, est lâchement expédié, alors que l'acteur aurait, c'est certain, fait merveille en nemesis récurrente de 007. La confrontation finale entre Bond et Orbehauser ne connecte même pas avec la thématique anti Big Brother du film établie dans la relation entre M et C, et on reste, une fois de plus, en suspens sur les questions posées depuis Skyfall, à savoir l'importance du personnage rétrograde, mais libre, de Bond dans un monde moderne sans cesse plus politiquement correct et plus répressif. Reste l'épilogue, en forme de carte postale, qui résonne comme un adieu de Craig au personnage, comme si la boucle était bouclée, la mini-série terminée et que la place était laissée ouverte au successeur. Daniel Craig reviendra t-il ? A l'heure qu'il est, on ne le sait pas encore. Mais ce qui est certain, c'est que James Bond reviendra.
Enfin… presque