La star d’Ocean’s Eleven joue un acteur en crise dans le fade Jay Kelly de Noah Baumbach, tandis qu’Emma Stone s’amuse comme une folle dans la fable politique Bugonia.
George Clooney est un acteur lessivé invité dans un festival de cinéma italien. Non, ceci n’est pas un commentaire désobligeant de notre part sur l’arrivée de la star sexagénaire à la Mostra de Venise pour y présenter Jay Kelly, le nouveau film de Noah Baumbach, c’est littéralement le pitch dudit film : Jay Kelly (Clooney, donc), légende du septième art au faîte de sa gloire, est convié par un festival transalpin (à Turin, et non à Venise) pour y recevoir un prix célébrant sa carrière. Mais le saltimbanque est fatigué, la vie sur les plateaux de tournage l’a empêché de bien s’occuper de ses filles (désormais grandes), il est hanté par un sentiment d’imposture datant de ses années d’apprentissage, il épuise son entourage (dont Adam Sandler, excellent en agent-nounou) avec ses caprices d’enfant gâté, et le poster de Paul Newman sur le mur de sa loge semble le juger avec sévérité… Le voyage en Europe sera l’occasion pour lui de faire le bilan de son existence.
Dès le plan-séquence d’ouverture et son parfum de crépuscule nostalgique, montrant le tournage du dernier plan de ce qui pourrait bien être le dernier film de Jay Kelly, Noah Baumbach se place sous les patronages conjoints du Robert Altman de The Player et du Truffaut de La Nuit américaine, avant d’envoyer pendant le reste du film moult clins d’œil révérencieux au Fellini de 8 ½, passé à la moulinette woody-allenienne de Stardust Memories. L’ironie qui veut cet énième lamento sur la mort d’une certaine idée du cinéma et du star-system se fasse dans un film Netflix (que Baumbach ne quitte plus depuis The Meyerowitz Stories) n’échappera bien sûr à personne.
Jay Kelly enfile des perles truffaldiennes sur les films qui sont plus harmonieux que la vie, sur les grands acteurs qui se confondent tellement avec leurs rôles qu’ils en oublient de vivre, et sur le charme des "vraies gens" par opposition à la faune hors-sol des riches et célèbres (scène ahurissante où Jay Kelly redécouvre les plaisirs simples de l’existence parce qu’il voyage dans un train en seconde classe). Les gimmicks narratifs qu’emploient ici Baumbach et sa co-scénariste, l’actrice Emily Mortimer (qui joue aussi dans le film), nous ont paru complètement essorés, comme ces scènes où Jay Kelly est propulsé mentalement dans des moments-clés de sa vie, dont il devient le spectateur…
Le film de Baumbach est entièrement bâti sur l’effet-miroir entre le personnage et son interprète, entre Kelly et Clooney, mais se complaît la plupart du temps dans un sentimentalisme ronflant. Entre deux séquences d’autodérision réglementaires (beaucoup de blagues sur la façon très sophistiquée dont Clooney se teint les cheveux), il dresse une statue démesurée à la gloire de son acteur, comparé sans beaucoup de distance à Clark Gable, Cary Grant, Gary Cooper, Mastroianni, rien que ça. La scène la plus gênante étant celle où Clooney pleure devant un montage d’extraits de ses films – et pas forcément les plus fameux. Il faudra vraiment être un fan hardcore de The American, The Good German ou Jeux de dupes pour verser une larme avec lui à ce moment-là.
Variation zinzin sur Les Envahisseurs
Emma Stone prend beaucoup plus de risques dans Bugonia, de Yorgos Lanthimos (réal' qu’elle ne quitte plus après La Favorite, Pauvres Créatures et Kinds of Kindness), même si, chez elle, les rôles "extrêmes" ou inconfortables sont en passe de devenir la routine. Bugonia est le remake d’un film sud-coréen complètement barjo, pas très connu mais adoré par ceux qui l’ont vu (véritablement culte, donc), Save the Green Planet !, réalisé par Jang Joon-hwan en 2003. Une folie hallucinée sur un apiculteur un peu paumé qui enlève un PDG car il est persuadé que celui-ci est un alien belliqueux, par ailleurs responsable de la maladie dont souffre sa mère. Ce qui était il y a une vingtaine d’années un pitch de SF azimuté, variation zinzin sur Les Envahisseurs mêlant polar et torture-porn, devient sous l’œil de Lanthimos et la plume de Will Tracy (scénariste du Menu) une fable politique et éminemment contemporaine sur le conspirationnisme, les guerres culturelles et les méfaits de la Big Pharma.
Looké comme un sketch de Kinds of Kindness (mais bien meilleur que n’importe quel sketch de Kinds of Kindness), le film réemploie deux des piliers de la troupe de Lanthimos, Jesse Plemons, dans le rôle du ravisseur, et Emma Stone, donc, qui joue la cheffe d’entreprise à la démarche robotique, et qu’on voit encore une fois ici dans tous ses états, crâne rasé, enduite de diverses substances, torturée sur du Green Day, chantant du Chappell Roan à pleins poumons, balançant ses escarpins avec une souplesse démente pour mettre à profit ses leçons d’auto-défense. Le petit ton de misanthropie cool de Lanthimos et les stridences épate-bourgeois de sa mise en scène gênent toujours aux entournures, mais difficile de nier que le film est hautement divertissant. C’est le troisième long-métrage du réalisateur qui nous arrive en deux ans à peine, la machine Lanthimos tourne à plein régime, au point que ses ficelles risquent de devenir de plus en plus voyantes, et que ses électrochocs semblent balancés de manière un peu trop mécaniques. Pourquoi tourne-t-il autant ? Comme le dit une citation de Truffaut entendue dans Jay Kelly, expliquant la raison pour laquelle certains cinéastes tiennent à enchaîner les films sans reprendre leur souffle : "Parfois, c’est la quantité qui impressionne."
Jay Kelly, de Noah Baumbach, avec George Clooney, Adam Sandler, Laura Dern… Le 5 décembre sur Netflix.
Bugonia, de Yorgos Lanthimos, avec Emma Stone, Jesse Plemons, Alicia Silverstone… Le 26 novembre au cinéma.







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