Après mai se base sur votre propre vécu des 70’s, mais fait surtout le portrait d’une époque. Comment avez-vous géré le mélange entre destin individuel et récit collectif ?Olivier Assayas : A mon sens l'autobiographie au cinéma est impossible. Alors j’essaie de me servir de sensations, d'émotions inscrites dans ma mémoire, pour aller à la redécouverte du sentiment plus global de l’époque. Mes souvenirs ont surtout servi de fondation à un film qui s'est d’abord construit autour de la fiction. Je sais pertinemment ce qui m'est personnel, mais ça l'est à travers le portrait des 70’s.Le film est littéralement habité par la littérature, la peinture ou la musique qui fonctionnent comme des fétiches…Je raconte une époque qui n’était pas touchée par la sur-communication. Tout était précieux, parce que la culture était difficilement accessible. La contre-culture était pour les jeunes une sorte de monde parallèle permettant de s'évader du réel. Elle tissait un lien entre des gens définis par leur jeunesse et leurs aspirations à autre chose que ce que la société leur proposait. Aujourd'hui on fétichise les objets (les films, les livres ou la musique) de cette contre-culture par effet de consommation, alors que c’était les vecteurs d'un lien social quasi communautaire. Je tenais beaucoup à représenter cette matière-là dans le film.Du coup, vous posez le problème du mainstream : cette contre-culture est devenue la culture officielle, la norme. Ca veut dire que vous avez gagné le combat ?Je ne crois pas… C'est LA grande question de la sociologie contemporaine : la majorité contre la minorité. Autrement dit est-ce que le mainstream est forcément mauvais ? Dans les années 70, l'art était indissociable de la politique, du social, d'une remise en question des fondements de la société. Il était porté par la foi dans un monde meilleur. Aujourd'hui, plus rien dans l'art ne semble avoir de prise sur la société. Ca ne rend pas la musique ou le cinéma moins bons, mais ils sont en tout cas moins habités par des idées. On ne jure plus que par la radicalité, mais c'est une plus-value marchande. Au fond de moi, je reste convaincu que seul ce qui est minoritaire a de la valeur et que tout ce qui est majoritaire est suspect. En même temps, on observe un retour en force de cette minorité, même si c'est encore un peu bancal : le printemps arabe, les Pussy Riot... L'idée qu'une minorité peut encore changer les choses semble revenir à la mode. Mais je ne vois pas d'art actuel qui soit en phase avec cette idée. Même le rock : j'entends dans des magasins de fringues merdiques, dans les bars d'hôtel lounge ou dans des ascenseurs, des morceaux que j'ai sur mon iPod. Ca me désespère.Je me trompe ou le film s'adresse autant au jeune homme que vous étiez qu'à la jeunesse actuelle ?  Ce n’est pas moi qui décide si la jeune génération adopte ou pas le film. Si je peux faire un film sur la jeunesse des années 70 c'est parce que je l'ai vécue, que j'ai une certaine légitimité. Je n'en aurais aucune si je faisais un film sur les ados d'aujourd'hui. J’ai fait Après mai parce que j'ai le sentiment que cette époque est mal comprise, qu'on s'y réfère de façon très approximative. D'où l'intérêt de faire le pont entre hier et aujourd'hui. J'ai essayé de reconstituer le débat politique qui avait lieu, à cette période dans certains lycées. Mais j'ai vite compris que la rhétorique de l’époque était devenue une langue quasiment étrangère, y compris pour mes acteurs, qui ne la comprenaient pas ! C'est vraiment quelque chose de très spécifique aux années 70, qui n'existait pas avant et n'existera pas après. A cette époque, on devait tous connaître l'histoire politique du XXe siècle pour pouvoir se retrouver dans les différentes obédiences - trotskistes ou maoïstes. Il était impensable pour les lycéens de ne pas participer au débat et on était quasiment obligé de connaître les doctrines marxistes et d'en parler la langue. Le film semble confirmer un changement de direction dans votre cinéma : depuis L'heure d'été, la nature prend de plus en plus de place dans vos films...J'ai enchaîné trois films très urbains : DemonloverClean et Boarding Gate. Et j'ai ressenti comme une saturation. Faire L'heure d'été a été presque déterminé par l'envie vitale de prendre l'air, de filmer du vert. Manque de bol, même si on a tourné entre le printemps et l'été, la météo de ces saisons à vraiment été pourrie (rires). Plus sérieusement, L'heure d'été a en partie déclenché l'envie de faire Après mai, pour retrouver la nature avec qui j'ai un rapport vraiment profond, intime. Je viens de là. Je voulais me ressourcer. Propos recueillis par A.M