Les Temps modernes Charlie Chaplin
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Ce soir, France 3 vous propose une soirée spéciale Charlie Chaplin : le documentaire inédit intitulé Le Génie de la liberté sera suivi de son classique Les Temps modernes.

Né de l'observation de l'environnement social, économique et politique -l'Amérique subit de plein fouet la grande dépression de 1929-, Les Temps modernes est aussi le fruit d'une période de doutes et d'une crise de créativité de son auteur. Charlie Chaplin a très mal vécu la révolution du parlant, à la fin des années 20. Il ne sait pas comment faire parler Charlot. Son langage, c'est la pantomime. « Ajouter des paroles à l'un de mes films, dit-il, reviendrait à ajouter de la peinture à une statue. » Le triomphe des Lumières de la ville, en 1931, ne le rassure pas. A 42 ans, le réalisateur a peur de passer de mode. Le cinéma a changé de manière radicale. Les méthodes artisanales et l'enthousiasme des pionniers ne sont plus de mise. À nouvelles techniques, nouvelles têtes. Au début des années 1930, les rois d'Hollywood s'appellent Howard Hawks (Scarface), Johnny Weissmuller (Tarzan) et Clark Gable. Les stars du muet comme Douglas Fairbanks — le grand ami de Chaplin — ont annoncé leur retraite anticipée et d'aucuns imaginent que le créateur de Charlot va les suivre. C'est mal le connaître...

CHAPLIN AUTOUR DU MONDE 

Le lendemain de la première new-yorkaise des Lumières de la ville, épuisé et angoissé, Chaplin décide de partir pour l'Europe. Histoire de prendre le pouls de ses fans, de retrouver l'inspiration et d'échapper à la tension qui règne dans l'industrie cinématographique en proie aux licenciements. Il ne sait pas encore qu'il entame un périple qui le laissera près d'un an et demi loin des États-Unis. Londres, Berlin, Vienne, Venise, Paris... Partout, il est frappé par les difficiles conditions de vie de ses contemporains, touchés par la crise. Partout, il visite des prisons, des organismes de logements sociaux, des écoles. L'occasion pour lui, qui n'a jamais oublié ses années de misère en Angleterre, de mieux comprendre les répercussions de la révolution industrielle et du krach boursier. L'occasion aussi de discuter avec les plus grands, de Churchill à Gandhi, de l'état du monde. À tous, il fait part de ses craintes devant le chômage, né de ces machines qui ont remplacé le travail des hommes...

RENCONTRE AVEC EINSTEIN

De retour à Hollywood en juin 1932, il s'attelle à l'écriture de son récit de voyage, A Comedian Sees the World. Il y raconte ainsi sa rencontre avec Einstein, dans un Berlin au bord de la faillite, que le savant conclut d'un  : « Vous n'êtes pas un comédien, mais un économiste. » Et c'est avec une remarque prophétique que Chaplin achève son récit  : « L'Europe et les différents pays que j'ai visités traversent une période troublée, de laquelle semble émerger une nouvelle époque — sur les plans religieux, sociologique et économique —, sans précédent dans l'histoire. » L’idée des Temps modernes est née. Le cinéaste ressent le besoin de parler à ses contemporains une fois de plus à travers le personnage de Charlot. Car, désormais, des millions de Charlot peuplent les rues  : la récession s'est aggravée, un Américain sur quatre est au chômage et les files d'attente s'allongent devant les soupes populaires...

RENDU FOU PAR LE TRAVAIL

Les temps modernes raconte le parcours de l'un de ces hommes marginalisés par la pauvreté. Embauché comme ouvrier, Charlot visse des écrous sur une chaîne que le patron ne cesse de faire accélérer. Rendu fou par le rythme du travail, il quitte l'usine. Entraîné contre son gré dans une manifestation, il est embarqué par la police, qui pense tenir un meneur communiste. À sa sortie de prison, il tombe sur une orpheline qui vole un pain... C'est Paulette Goddard qui interprète cette orpheline. Chaplin a rencontré cette starlette de 21 ans un mois après son retour de voyage. Entre eux, l'attirance a été immédiate. Elle n'est pas seulement sa maîtresse, mais aussi sa muse. Pour elle, il envisage même une fin heureuse aux aventures de Charlot.

Comment Charlie Chaplin a bluffé tout le monde en patins à roulettes dans Les Temps modernes

COMMENT FAIRE PARLER CHARLOT?

Alors qu'il s'apprête à commencer le tournage, en octobre 1933, Chaplin ne sait toujours pas s'il va passer au parlant. Il a fait des essais voix tout à fait concluants avec Paulette Goddard, a écrit des dialogues pour toutes les scènes et a même fait couvrir son plateau à ciel ouvert pour l'adapter aux conditions des productions sonores. Mais les premières répétitions ne le satisfont pas et il décide de recourir aux intertitres, comme dans ses précédents films. Il dira plus tard que les dialogues ralentissaient l'action. Pour autant, cela ne veut pas dire que Chaplin ne se soucie pas du son. Si les personnages sont muets, les machines, elles, « parlent », comme les micros par lesquels les patrons font accélérer la cadence ou bien les phonographes qui présentent l'invention du siècle  : la machine à manger ! Rarement travail sur le son a été autant travaillé en accord avec le thème du film. Chaplin passera plus d'un an en post-production pour veiller à ce que tous les effets sonores et la musique, qu'il a composée lui-même, soient parfaits. Il a aussi particulièrement soigné le final, où, pour la première fois, le public entendra la voix de Charlot.

EN GROMOLO

Dans l’histoire, le patron qui a engagé Charlot comme serveur insiste pour qu’il chante afin de divertir les clients ; Charlot, pétrifié de trouille, veut se dérober. Lors de la répétition, il avait oublié les paroles, et aucun son n’est sorti de sa bouche ! La jeune orpheline l'incite à improviser. Il balance alors un charabia incompréhensible, assorti d'une pantomime. Chaplin s'en est tiré avec le langage des clowns : le gromolo ! Les temps modernes est le dernier film muet tourné à Hollywood. Avec cette œuvre,  et son plan de fin symbolique , Chaplin dit adieu à Charlot. Ce sera sa dernière apparition à l'écran. A sa sortie, en février 1936, la critique jugea le film sévèrement, reprochant au clown de vouloir jouer les philosophes. Au lendemain de la crise, les allusions politico-sociales avaient des allures de satire du capitalisme. Interdit en Italie, sous la coupe de Mussolini, et dans l'Allemagne nazie, Les temps modernes fut accueilli froidement dans l'URSS stakhanoviste. Heureusement, l'histoire lui a rendu justice.