Cannes jour 2
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Tous les jours, le point à chaud en direct du 78e festival de Cannes.

Le film du jour : Sound of falling de Mascha Schilinski

La compétition cannoise 2025 s’est ouverte avec le film, entouré depuis des semaines des rumeurs les plus élogieuses et qui aurait été le tout premier sélectionné par Thierry Frémaux dès novembre dernier pour empêcher la concurrence de s’en emparer. Le deuxième long métrage de l’allemande Mascha Schilinski (dont le premier, Die Tochter, est inédit en France). Et la rumeur ne mentait pas.

Sound of falling a en effet ouvert la course à la Palme de la meilleure des façons. En divisant – y compris à Première - les festivaliers en deux camps irréconciliables. Ceux qui ont été captivés de la première à la dernière minute de ces 2h39 et ceux qui sont restés à la porte de ce récit situé dans un lieu unique – une ferme de l’Altmark, région du nord de l’Allemagne – en entremêlant quatre périodes - des années 1910 à nos jours - et le destin de quatre jeunes filles qui y ont vécu en subissant un feu d’artifices de violences et d’humiliations insoutenables.

Les conquis louent la puissance renversante avec laquelle ce film libère la parole de ces femmes longtemps réduites au silence dans un geste formel éblouissant évoquant tout à la fois l’univers sensuel d’une Jane Campion, la rigueur glaçante du Haneke du Ruban blanc et les expériences sonores de La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer. Les contempteurs n’y voient que posture formelle et beaucoup de bruit et de fureur pour pas grand chose, sinon un long tunnel d’ennui. En fait ici tout se joue dans les toutes premières minutes et le choix ou non de s’abandonner à ce film sans chercher forcément à tout comprendre. Reste à savoir dans quel camp se situera le jury. Tout semble ici possible, de la Palme à l’absence totale du palmarès.

Sound of falling
Fabian Gamper/ Studio Zentral

La star du jour : Tom Cruise

La masterclass de Christopher McQuarrie animée par Didier Allouch a été hackée par Tom Cruise, pour le plus grand bonheur des festivaliers. Après avoir laissé le réalisateur désormais attitré de Mission Impossible (The Final Reckoning est le 4e épisode qu’il met en scène) parler cinéma pendant 45 minutes, la star de la saga a fait irruption sur scène, avec son enthousiasme inimitable : “C’est incroyable d’être ici, c’est merveilleux. J’adore venir à Cannes, l’histoire du Festival est extraordinaire. C’est un honneur d’être ici.” 

Sa présence n’était pas prévue, même si on l’espérait, et le Festival a bien fait de garder la surprise. Et de permettre à McQuarrie d’avoir la vedette, avant l’arrivée de Cruise, qui a ensuite accaparé la parole, répondant même à certaines questions qui étaient destinées au cinéaste. Le duo a aussi beaucoup interagi, illustrant l’alchimie qui anime leur collaboration. McQuarrie n’est pas le faire-valoir de Cruise, mais ce dernier le pousse à toujours aller plus loin pour offrir au public un spectacle toujours plus grandiose. 

Tom est toujours un étudiant. il l’est depuis qu’il est dans l’industrie cinématographique. Il a soif d'apprendre de toutes les personnes qui l'entourent. Quand vous faites un film avec Tom Cruise, il n’ordonne pas aux autres de faire ce qu’il veut. C’est lui qui t’encourage en te demandant : ‘Qu’est-ce que tu veux vraiment faire ?’”. Tout est dit. 

Le duo du jour : Laurent Cantet et Robin Campillo pour Enzo (Quinzaine des Cinéastes)

Ils se sont rencontrés à l’Idhec au début des années 80. Et pendant 40 ans, leur complicité - amicale comme professionnelle - n’a connu aucun nuage. Robin Campillo, le réalisateur de 120 battements par minute (Grand Prix à Cannes en 2017) a co-écrit ou monté (et parfois les deux) tous les films de Laurent Cantet, dont sa Palme d’Or 2008, Entre les murs. Alors quand Cantet a appris être atteint d’un cancer incurable et qu’il a voulu se lancer dans un ultime projet, Enzo, il a spontanément demandé à son ami de l’accompagner. Y compris sur le plateau les jours où il ne serait pas en état. Campillo a évidemment accepté. Mais après avoir trouvé quelques-uns des principaux interprètes (dont la révélation Eloy Pohu dans le rôle-titre), Laurent Cantet s’est éteint le 25 avril 2024. Avant le premier clap.

Et Robin Campillo a donc mis en scène seul ce film posthume, qui ouvrait ce matin la Quinzaine des Cinéastes. Un film d’émancipation centré sur un ado de 16 ans, apprenti maçon à La Ciotat, ses rapports avec sa famille, son patron et ses collègues, et plus particulièrement l’un d’eux d’origine ukrainienne pour qui il éprouve un trouble inédit. Un film d’une délicatesse et d’une puissance infinie, mêlant merveilleusement les univers des deux cinéastes tant dans la manière de filmer les corps que de parler du monde du travail ou d’inscrire le récit dans les temps agités que nous traversons (la guerre en Ukraine…). Jusqu’à l’ultime scène sublime et poignante. A la vie, à la mort !

Enzo
Ad Vitam

La déception du jour : Robert De Niro et JR

On pensait assister à une masterclass de Robert De Niro, nous racontant sa carrière à coups d’anecdotes bien senties, comme l’avait fait Tom Cruise en 2022 ou Meryl Streep l’an dernier. C’était en fait une discussion entre la star et son ami JR, nous dévoilant un projet mystérieux sur lequel ils travaillent ensemble depuis trois ans. 

Le photographe et cinéaste français est devenu un intime de “Bob” après avoir emménagé à New York. Au point que l’acteur américain légendaire lui ouvre les portes de son trésor familial. L’atelier de peinture de son père, qu’il garde intact depuis plus de trente ans, son journal intime, et même le courrier de sa mère. De Niro est à la recherche de son passé, il veut préserver son héritage familial, et JR est là pour l’aider à mener cet archivage thérapeutique qui prend la forme d’un documentaire work in progress

Pour le public présent, cette séance de psy était nettement moins drôle que Mafia Blues. Face à un Robert De Niro peu loquace (c’est un euphémisme), JR devait accaparer le temps de parole, tentant tant bien que mal de tirer les vers du nez de silent Bob. On a quand même eu la chance de découvrir de jolis et touchants extraits du dit-projet (où apparaît Martin Scorsese). Mais De Niro était nettement plus bavard lors des questions posées par l’audience à la fin, et la salle est ressortie frustrée de ce qui était censé être l'événement du jour à Cannes. 

La couleur du jour (et de tous les jours) : le rose de Jeremy Strong

Est-ce un saumon ? Est-ce un Malabar ? Non, c'est Jeremy Strong !  Impeccablement sapé depuis le début des festivités, le membre du jury arbore chaque jour des fringues différentes, mais systématiquement de couleur rose : bob, costard, veste de survêtement (et même casque audio lors de son arrivée à l’aéroport de Nice)… L’ex-Kendall Roy de la série Succession est pretty in pink en toute circonstance. Tenez, c’est même comme ça qu’on l’a remarqué pas plus tard que cet après-midi, à la sortie de la première projection de Sound of Falling. On n’a évidemment pas osé lui demander de s’exprimer sur le pourquoi du comment de ces accoutrements monochromes (il nous fait un peu peur), mais dès que nous aurons de plus amples informations, croyez bien vous en serez les premiers informés.

Jeremy Strong
ABACA

Le QT du jour

Il était invité à la cérémonie d’ouverture pour déclarer “opeeeeeeeeen” le festival de Cannes. On retrouvait Quentin Tarantino dès le lendemain en salle Bunuel (la petite salle tout en haut du Palais des festivals, dédiée à la programmation patrimoniale Cannes Classics), où il présentait deux westerns fifties de George Sherman, stakhanoviste oublié de la série B (“non, pas B, plutôt A moins !”, a précisé QT), qu’il considère carrément comme “le meilleur réalisateur d’action des années cinquante”. Entre les deux films de son double feature, les très cool Le Mustang noir et Sur le territoire des Comanches – des films qu’il adorait quand il était petit – Tarantino s’est lancé dans une leçon de cinéma expresse sur la vie et l’œuvre de son chouchou Sherman, dans le même mood de prédicateur cinéphile exalté que pendant le book tour de son essai Cinéma Spéculations. Le public – majoritairement composé de jeunes hipsters cinéphiles tendance Letterboxd/A24, et non pas de boomers nostalgiques de La Dernière Séance – a adoré aussi. A la fin de Sur le territoire des Comanches, le héros joué par Macdonald Carey roule une pelle à Maureen O’Hara, Tarantino a hurlé « Fuck yeah ! » et toute la salle, sur un petit nuage, a applaudi. Mais ne l’encourageons pas trop non plus : on adore l’écouter parler, mais il faudrait quand même qu’il se mette à bosser sérieusement au successeur de Once upon a time… in Hollywood un de ces jours. 

Aujourd’hui à Cannes

On surveillera particulièrement le mystérieux Dossier 137 de Dominik Moll et Sirat d’Oliver Laxe en compétition, La Mort n’existe pas (très bonne nouvelle, non ?) à la Quinzaine et Dalloway de Yann Golzan, qui s’interroge sur l’IA, en Séance de Minuit. Et n’oublions surtout pas Put Your Soul on Your Hand and Walk à l’ACID, sur la journaliste Fatima Hassouna tuée par les frappes israéliennes, à qui l’association a rendu hommage hier avec une minute de silence.