Une fille facile
Julian Torres/Les Films Velvet

La réalisatrice de Grand Central pose un regard pertinent sur un personnage hors norme aussi fascinant que dérangeant.

Première diffusion en clair, ce soir, pour Une fille facile, l'un des films événements du festival de Cannes 2019. Rendez-vous sur France 3 à 23h30 pour voir cette oeuvre fascinante signée Rebecca Zlotowski (qui a d'ailleurs participé cette année sur la Croisette, avec d'autres cinéastes, à une discussion sur l'avenir du cinéma, à voir ici).

On pourrait croire au mariage impossible de l’eau et du feu. D’un côté Rebecca Zlotowski, cinéaste à la cérébralité affirmée, chez qui les mots comptent autant sinon plus que les images comme elle l’a prouvé dans Belle Epine, Grand Central et Planetarium. De l’autre, Zahia Dehar, ancienne escort girl propulsée sous les feux des projecteurs en 2010 pour une affaire de mœurs impliquant plusieurs stars du ballon rond dont Ribéry et Benzema. Un corps pulpeux. Un visage comme sculpté jusqu’à l’excès. Un physique hors norme qui ne laisse personne indifférent

Et de ce choc des apparents contraires, naît un conte (a)moral prenant, intriguant comme le portrait sans fard de notre époque, de la féminité et du rapport à l’émancipation sexuelle en ce début de 21ème siècle où l’on pourrait croire – à tort – tous les tabous envolés. Sofia – qu’incarne impeccablement Zahia Dehar – se sait attirante et profite de ce corps pour vivre la vie dont elle a envie : des moments de luxe éphémères mais répétés aux bras et dans le lit d’hommes riches. Une relation où chacun trouve son compte, où il n’y a ni chasseur ni proie, ni dominant ni dominé. Des adultes consentants conscients – et jouissant aussi sans doute – de l’aspect éphémère de la chose.

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Entre Et Dieu créa la femme de Vadim (le phrasé de Zahia Dehar est incroyablement proche de celui de B.B.) et La Collectionneuse de Rohmer, Une fille facile raconte cette drôle de liberté là, choisie mais qui peut sembler contrainte car dépendante du sexe dit fort. La réalisatrice fait corps avec son héroïne, reçoit par sa caméra aussi bien les regards surexcités que méprisants sur ce physique à l'hypersexualité dérangeante. Elle se situe toujours à bonne distance de son sujet. Sait se montrer crue et frontale sans jamais réduire le spectateur au rang de voyeur mais en montrant que ce qui constitue Sofia/ Zahia c’est tout autant sinon plus les fantasmes et les a priori projetés sur elle que celle qu’elle est réellement et qui reste d’ailleurs un mystère. Comme un puzzle dont certaines pièces auraient disparu comme par enchantement

Zahia constitue le cœur, le corps et l’âme d’Une fille facile. D’ailleurs, dès qu’elle quitte le cadre ou qu’elle n’est plus au cœur des discussions, le film perd de sa puissance. Le parti pris de faire vivre ce récit par le regard sur Sofia de sa cousine de 16 ans n’était à cet égard sans doute pas le plus pertinent car il le fait bifurquer vers le registre plus balisé et  banal de la coming of age story. Mais, sur la longueur, le film parvient à résister à cet écueil. Sensuel, sexué, traversé par une étrange mélancolie, peuplé de seconds rôles épatants (Benoît Magimel, impressionnant, Clotilde Courau, piquante…), il est dévoré tout cru par son actrice/ inspiratrice.


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