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Chris Harris / Chris Harris

Le réalisateur britannique nous raconte les coulisses de son film mêlant brillamment mélo et cinéma fantastique sur fond d’histoire d’amour, de deuil et d’homosexualité.

Qu’est ce qui vous a donné envie d’adapter Strangers, le livre du japonais Taichi Yamada ?

Andrew Haigh : Ce livre raconte une histoire de fantômes traditionnelle dans laquelle il n’est pas question d’homosexualité. Mais il y a cette idée de remonter le temps et de retrouver ses parents à l’époque de sa jeunesse. C’est ce qui a déclenché le déclic chez moi car j’ai vu dans ces échanges un moyen pour un héros gay d’exprimer des choses enfouies en lui depuis toujours et de faire la paix avec lui- même.

Comment alors vous êtes- vous emparé de cette adaptation ?

Ce fut un processus assez long car j’ai vraiment mis dans cette histoire une grande partie de ma vie personnelle. J’ai écrit ce scénario pendant la pandémie, enfermé chez moi. Ce qui m’a poussé à aller sans doute encore plus loin dans cette introspection, dans la perception de mon propre passé. Mais à chaque étape, j’ai essayé de faire résonner personnel et universel. De voir si ce que j’écris n’est pas autocentré, peut parler à d’autres. Dans la manière de parler d’homosexualité, dans les échanges entre ce fils et ses parents morts trente ans plus tôt et à qui il peut faire son coming out, fort de ce qu’il a pu traverser.

Vous saviez dès l’écriture que vous alliez tourner Sans jamais nous connaître en 35 mm ?

Oui car je voulais que Sans jamais nous connaître ait la texture des films des années 80, dans lesquelles mon personnage principal Adam se retrouve replongé quand il découvre ses parents – morts vingt ans plus tôt – vivants dans la maison où il a passé son enfance. Ce que je fais à travers la BO où on entend The Power of love de Frankie goes to Hollywood ou Always on my mind des Pet Shop Boys, j’entendais le faire à l’image pour que soit toujours présente à l’écran cette sorte de mémoire nostalgique tout au long du film, même dans les scènes qui se déroulent de nos jours. Pour autant, avec mon chef op’ Jamie Ramsey, nos références n’ont pas été des films de cette époque mais des toiles de Francis Bacon. Juste avant le tournage, on a visité tous les deux l’exposition qui lui a été consacrée à la Royal Academy of Arts et il nous a influencés en termes de couleurs, de mouvements, de sensations. Mon but était que ce qu’on voit à l’écran reflète à chaque instant la manifestation de l'état d'esprit d'Adam. Sa grande solitude comme son bouleversement intérieur quand il entame son histoire d’amour ou retrouve ses parents. Et pour traduire ce large spectre d’émotions, les œuvres de Bacon nous ont beaucoup inspirés

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La maison des parents d’Adam dans le film… n’est autre que celle où vous avez-vous- même passé votre enfance. Comment avez- vous vécu le tournage entre ses murs ?

Ce qui est dingue, c’est que la personne en charge des repérages soit tombée sur cette maison. Je n’y avais pas mis les pieds depuis 40 ans ! Mais je n’ai pas hésité une seconde avant de décider qu’on tournerait là. En me lançant dans l’écriture de ce film, j’ai accepté une certaine vulnérabilité et je devais la conserver sur le tournage. Or quoi de mieux pour cela qu’un lieu où, à chaque instant, un souvenir de votre enfance- bon ou mauvais – peut ressurgir. Comme Adam, j’ai fait face à ces sentiments- là et, forcément, ça a nourri le film, en l’entraînant encore plus loin.

Qu’est ce qui vous a fait choisir Andrew Scott pour incarner Adam ?

Pour ce rôle, j’ai voulu un comédien gay car j’avas le sentiment que seul un gay saurait comprendre ce que signifiait grandir gay dans ces années- là et saurait le traduire à l’écran. En fait, je ne voyais pas comment expliquer ce ressenti à quelqu’un qui ne l’aurait pas vécu. Et le talent immense d’Andrew a fait le reste. Dans les plans rapprochés sur son visage, la manière dont on perçoit l'émotion qui remonte à la surface vous serre le cœur à chaque fois. Il livre une performance incroyablement subtile et a eu le courage de s'exposer émotionnellement et physiquement.  Sans compter évidemment son alchimie avec Paul Mescal, autre clé essentielle de ce film.

Au final, quelles sont les plus grandes différences entre le scénario et le film tel qu’on peut le découvrir ?

J’ai énormément épuré, coupé des dialogues, précisément grâce à Andrew et Paul, à ce qu’ils arrivent à exprimer par leurs regards, par leurs silences. C’était flagrant sur la table de montage et une chance inouïe pour moi.

Sans jamais nous connaître. De Andrew Haigh. Avec Paul Mescal, Andrew Scott, Claire Foy… Durée 1h45. Sortie le 14 février