Drame en trois actes. Un couple de mannequins youtubeurs se déchire, dans un restau chic, au moment de régler l’addition. Plus tard, nos deux beautés sont invitées gratuitement sur un yacht de luxe peuplé de milliardaires demeurés et piloté par un capitaine alcoolique hanté par l’idéal socialiste. La croisière se finit dans un naufrage qui rejette une dizaine de passagers sur une île déserte… Le jeu de massacre peut continuer. Après l’art contemporain dans The Square, Östlund s’attaque donc ici à l’industrie du loisir, au consumérisme et à la vacuité des réseaux sociaux (entre autres). Une parfaite Palme d'or en somme car au festival, Sans filtre a fait l’effet d’un scud satirique tiré en plein cœur du cirque cannois, dénonçant les vanités et les hypocrisies bourgeoises des élites. Six mois plus tard, rien n’a bougé : deux ou trois séquences d’anthologie rappellent le sens comique imparable et la puissance sarcastique du Suédois, qui possède clairement les moyens stylistiques de sa misanthropie hardcore. L’ennui, c’est que sa farce s'étire exagérément à travers des séquences scandées de lents grincements, et qu’il étale des gags parfois éculés (tempête de vomi et torrents de caca) pour refaire le portrait du vide contemporain. Sans idéal de recours, Sans filtre finit par ronronner de son propre rictus et ses charges explosives s’étoufferaient presque dans leur propres inanités (la fin du film est d’ailleurs la partie la plus faible). Au moins, les torpilles anarchistes de Ferreri et Buñuel avaient-elles le mérite de s’abolir dans des eaux un peu plus profondes.