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Le cinéma de Xavier Dolan laisse toujours la place à des séquences musicales lourdes de sens. Juste la fin du monde perpétue la tradition avec brio.

La musique ? Presque une obsession pour Xavier Dolan. Le réalisateur lui accorde une place toute particulière dans ses films, avec une utilisation millimétrée qui décrit un état émotionnel comme aucun dialogue n’aurait pu le faire. Une prise de position narrative mêlée à l’utilisation diégétique - qui fait partie de l’action et peut donc être entendue par les personnages - des chansons. Comme une façon de regarder les protagonistes à leur juste hauteur. 

Le cinéaste confie à Première que "les chansons jouent par le film, pas au-dessus du film. Justement pour qu’elles aient quelque chose de plus narratif, qu’elles s’inscrivent dans le quotidien de ces personnages. Qu’elles correspondent d’avantage à leurs choix qu’aux miens. À chaque moment sa musique ou ses silences. La musique s’inscrit dans nos vies de façon aléatoire à travers la radio, dans des cafés… Ce sont soit nos goûts, soit les goûts des autres. Il faut que je me demande aussi ce que les personnages écoutent, ce qui leur convient. Ce n’est pas toujours ma playlist à moi, même si ce sont des chansons que je connais, évidemment. Il y a un moment, une personne et un timing pour chaque sorte de musique". 

Juste la fin du monde de Xavier Dolan est une déflagration

Retour sur cinq décrochages musicaux qui ont marqué l’oeuvre de Xavier Dolan, alors que Juste la fin du monde sort en salles ce mercredi. 

 

Juste la fin du monde (Ozone / Dragostea din tei)
Alors que la radio passe le tube aérien d’Ozone, la mère (Nathalie Baye) et Suzanne (Léa Seydoux) se lancent dans une chorégraphie légèrement embarrassante devant toute la famille. La musique finit par prendre le pas sur le son ambiant et Xavier Dolan nous transporte à l’extérieur, loin de la grisaille de la cuisine. La caméra cadre un ciel d’un bleu surréaliste, un souvenir d’une enfance lumineuse sur fond de balades dans les champs de blé et d’un père présent qui porte sa progéniture dans les airs… L'atterrissage n’en sera que plus dur.


 

Les Amours imaginaires (The Knife / Pass This On) 
Une scène de fête. Des gens s’embrassent, la musique du groupe The Knife en fond sonore. Francis (Xavier Dolan) et Marie (Monia Chokri), les deux protagonistes, observent avec obsession l’objet de leur désir commun, en train de danser dans les bras d’une inconnue aux cheveux bleus. Un stroboscope se déclenche et immédiatement la boîte à fantasmes s’ouvre : ils l’imaginent le torse nu, en dieu grecque inaccessible. Ils se réveilleront au petit matin dans un lit, à ses côtés, au milieu des mégots écrasés et des bouteilles d’alcool vides. Début de gueule de bois. 


 

Mommy (Céline Dion / On ne change pas)
Une cuisine, un CD qui se lance et Céline Dion pour panser les plaies le temps d’une chanson. Ce moment intime où une mère et son fils dansent avec leur voisine est resté dans toutes les têtes. La plus belle scène de toute la filmo de Xavier Dolan ? "Toute la bande originale de Mommy provient d'une compil' que le père du personnage principal a réalisée avant de mourir. C'est le testament musical plausible d'un adulte des classes populaires en 2010", expliquait-t-il à Télérama à la sortie film. "On ne change pas, de Céline Dion est l'une des chansons que ma mère écoutait beaucoup quand j'avais 7-8 ans". 

À À nous Paris, il confiait en 2014 aimer profondément "cette chanson. J’ai grandi avec l’album sur lequel cette chanson figure. J’aime la mélodie, les arrangements, je trouve que c’est une chanson puissante, tendre. Et j’aime les chansons qui font partie du registre populaire". La même année, lors d’une masterclass au Forum des images, il précisait : "C’est un des plus beaux moments du film où Anne Dorval regarde vraiment Suzanne Clément pour voir si elle accepte. Le non-dit dans la scène est tellement beau. La scène a été coupée de 4 minutes. Elles parlent tellement que finalement c’est quand elles ne disent rien qu’elles parlent le plus. Quand Suzanne Clément voit arriver Steve, la manière dont elle le regarde, elle est en train de se souvenir de quelqu’un, il y a quelqu’un qui lui manque. Qui est-ce ? On va le savoir plus tard ou pas nécessairement. Et puis Anne Dorval, maquillée, en train de danser, un peu comme une pétasse, regarde Suzanne Clément et se demande si cette personne approuve l’existence-même de son fils. Est-ce qu’elle nous accepte ? Est-ce qu’elle va être notre amie ?


 

Laurence Anyways (Headman / Moisture)
Le personnage Melvil Poupaud s’habille pour la première fois en femme dans le lycée où il enseigne. Un tournant décisif que Xavier Dolan a fait illustrer musicalement par le DJ Headman, alors que les talons jaunes de Laurence claquent fièrement en rythme. Le personnage ne sera plus jamais le même, sa vie non plus. 


 

J’ai tué ma mère (Vive la fête / Noir désir)
En pleine haine de sa génitrice, Hubert s’ouvre au sexe avec Antonin, dans une scène où la peinture se mêle de façon anarchique aux corps adolescents. Les paroles de la chanson de Vive la fête résument l’état d’esprit du personnage : "Furieux comme un enfant / Je ne peux pas me calmer / Laisse-moi tempêter".