Matrix 1
Warner Bros.

Si la perspective d'un cinquième Matrix divise les fans, l'extension de la franchise créée en 1999 par les Wachowski était une chimère à laquelle la Warner n'a jamais cessé de rêver.

Un cinquième opus de Matrix a été annoncé officiellement cette semaine par la Warner Bros. On aurait dû le voir venir, mais c’est tout de même un coup de tonnerre. Après la sortie de Resurrections, quatrième volet de la saga imaginée par les sœurs Wachowski, mais réalisé, cette fois, seulement par Lana, Ann Sarnoff, ponte du studio, avait rapidement annoncé vouloir “poursuivre cette aventure”.

Pourtant, si Lana Wachowski s’était décidée à prendre les rênes du projet Matrix 4, c’était en partie pour envoyer paître les producteurs qui la harcelaient depuis 2003 (et la sortie de Revolutions) pour faire revenir Néo & Cie sur le grand écran. Finalement, ce que l’on prenait pour une ultime fulgurance, pour le dernier sursaut génial d’un univers dont la porte avait été volontairement refermée par ses créatrices, a ouvert une brèche pour la Warner, qui, par la porte ou par la fenêtre, semblait de toute façon être décidée à reprogrammer la matrice avec un cinquième volet. 

C’est Drew Goddard, réalisateur de La Cabane dans les bois et de Sale temps à l’hôtel El Royale, scénariste de séries (Buffy, Angel, Alias, Lost) mais aussi de cinéma (Cloverfield, Seul sur Mars), qui se chargera du projet, sous la houlette (relative ?) de Lana Wachowski, annoncée comme productrice de ce nouvel opus. Encore mieux (si l’on peut dire), selon un communiqué, ce sont même ses propres projections sur la Matrice des Wachowski qui sont à l’origine du projet.

Si Drew Goddard est convaincu qu’il saura conserver le canon des Matrix originaux, il y déploiera tout de même sa vision, que la Warner décrit comme une “perspective unique basée sur son propre amour de la série et des personnages”. Pourtant, il n’est pas très hasardeux de supposer que vision de Drew Goddard ou pas, le projet de Matrix 5 aurait vu le jour. Pourquoi ?

Attention, spoilers !

Matrix 5, c'est parti... mais sans Wachowski !

Parce que c’est l’un des plus gros succès de Warner

Soyons pragmatiques. Oui, en 1999, Matrix a révolutionné le genre de la SF, et même, par certains égards, la manière de faire des films. Oui, alors qu’il était distribué comme un petit film de SF niche ombragé par le Wild Wild West de Will Smith, le film a trouvé son public, dépassant tous les espoirs de la Warner. Pourtant, il ne faut pas oublier qu’au-delà de l'aspect révolutionnaire (trop) souvent romantisé, les débuts de la franchise ont surtout été une poule aux œufs d’or inespérée pour le studio. Matrix, c’est plus de 463 millions de dollars engrangés, un chiffre presque doublé par le deuxième film (739 M), mais pas égalé par le troisième (427 M). Au total, les films originaux ont donc récolté plus d’1,6 milliard de dollars. Et c’est sans compter les 157 millions de Matrix Resurrections (on parle ici de l’exploitation salle du film). 

Matrix
Warner Bros.

Business is business, et ça, James McTeigue (ancien assistant réalisateur des soeurs Wachowski, réalisateur de V pour Vendetta) le disait déjà à Collider en 2021, alors que le quatrième film venait de sortir dans les salles :

“Je crois que quand vous avez une franchise dotée d'une capacité lucrative aussi importante, il y a toujours des discussions. C'est pareil chez Marvel, où ils reviennent sur leurs productions, se permettent des répétitions, que ce soit avec Spider-Man, Iron Man ou Thor. Il y a toujours des possibilités de mettre à jour ces films, et d'en tirer de l'argent, ainsi que de nouvelles histoires. Je ne dirais pas qu'il n'existe que des raisons fiscales, mais oui, concernant Matrix, il y a eu plusieurs versions [avant Resurrections].”

Reproduire les succès au box-office de 1999 et 2003 n’avait pas fonctionné avec Matrix Resurrections, mais un (bon) cinquième film pourrait faire dépasser la barre des 2 milliards de dollars à la franchise. Une bonne motivation pour le studio.

Matrix Resurrections : un doigt d’honneur surprenant et réjouissant à l’industrie [critique]

Parce que faire du neuf avec du vieux n’a jamais été un problème

C’est dans l’ère du temps. Remakes, reboots, revivals, sequels, prequels… On en voit toutes les semaines arriver dans les salles ou sur les plateformes de streaming. L’exemple le plus probant est celui de Star Wars : la franchise de Lucas va souffler cette année ses quarante-sept bougies avec douze films, 16 séries et trois téléfilms à son compteur. Disney mise sur le recyclage à l’infini. Et ça fonctionne.

De quoi titiller l’intérêt de la Warner. “On va se concentrer sur nos franchises,” avait annoncé David Zaslav en 2022. A l’époque, il avait la saga Harry Potter dans le viseur (qui va d’ailleurs revenir sous forme de série), mais le lien avec Matrix est évident. La franchise des Wachowski fait les frais de cette politique de récupération systématique des univers artistiques, qui encourage les producteurs à nourrir indéfiniment un fan service lucratif.

Matrix
Warner Bros.

C'était déjà le cas avec Matrix 4. Lana Wachowski s’était servie de ce film pour clarifier certains points de Reload et Revolutions. Mais ce dernier volet était surtout l’occasion pour les fans de Matrix de se replonger dans un univers familier. Qu’est devenu le Mérovingien ? Et l’Agent Smith ? Neo a-it-il oublié le kung-fu ? Autant de questions auxquelles le film répond, en même temps qu’il joue avec d’autres madeleines de Proust : les pilules bleues/rouges, le miroir d’Alice, les lèvres scellées, le lapin blanc, les combinaisons en cuir, le bullet time et les lunettes de soleil so 2000. Un shot de nostalgie qui pourrait effectivement donner envie d’en avoir plus. Et c’est sur cette addiction que la Warner compte.

Le boss de Warner aimerait faire de nouveaux films Harry Potter si J.K. Rowling est d'accord

Parce que Matrix Résurrections fermait définitivement un chapitre...

Ce qui permet d'en ouvrir un nouveau ! Avec Matrix 4, Lana Wachowski bouclait la boucle avec un film qui se regarde lui-même entre quatre yeux pour questionner sa propre existence sans détour. Pourquoi maintenant, pourquoi comme ça ? Des interrogations auxquelles Lana répondait dans son scénario : parce que c’est le propre de l’humain que d’évoluer, parce que perdre des gens laisse des cicatrices profondes, parce qu’un peu de nostalgie n’a jamais fait de mal à personne en fin de compte.

Par contre, “il n’était pas question de revenir dans la Matrice pour retourner en arrière”, soutenait la réalisatrice. Pas question de rembobiner, de faire le copier/coller d’un premier film inextricablement lié à son contexte de production (celui des débuts de l’ère numérique). Matrix 4 est un miroir sans tain, qui observe un alter-ego, c’est-à-dire un “autre lui", mais aussi, un “autre que lui”. Par le prisme de ce reflet distordu, le mathématique devenait organique. La ligne droite, courbe. Le verdâtre laissait place à l’éclat de la couleur. Grâce à une mise à jour résolument camp, la Matrice qui semblait être un monde recroquevillé sur lui-même, s’ouvrait à une forme de réel, au monde moderne, aux évolutions de l’une de ses créatrices.

Matrix 4
Warner Bros.

En ce sens, Resurrections offrait une porte de sortie à Revolutions dont la fin ouverte laissait le doute persister, une sorte de happy-end maîtrisé par Lana Wachowski elle-même, qui avait exigé pouvoir faire ce qu’elle voulait de ce sequel. Un vrai “doigt d’honneur [...] réjouissant à l’industrie”, écrivions-nous en découvrant cette bonne surprise dans notre critique.

Mais couper la tête de l’hydre n’aura pas suffit, il en repousse une autre. A l'époque du retour de Néo et de sa bande sur le grand écran, Lana Wachowski affirmait catégoriquement : “Resurrections n’est pas le début d’une nouvelle trilogie”. Peut-être. La Warner n’avait pas besoin d’une nouvelle trilogie. Juste de quoi relancer une machine trop longtemps endormie.

Comment Lana Wachowski règle ses comptes grâce à Matrix Resurrections (avec Hollywood, son public, elle-même...)

Parce que Warner n’a plus besoin des Wachowski

"Dès que Lana veut faire un film, on la suit", affirmait Ann Sarnoff dans les colonnes de Deadline à propos d’un potentiel cinquième volet après la sortie de Resurrections. Lana a toujours refusé. Qu’est-ce qui a décidé la Warner à se passer du cachet “Wachowski” ? La “vision” de Drew Goddard, ou l’approbation tacite de la réalisatrice, effectivement productrice de ce film à venir ?

Évincée , Lana Wachowski ? Sûrement un peu, mais pas tout à fait.

Déjà, en 2017, planait l’ombre d’un reboot centré sur le personnage de Morpheus (Laurence Fishburne dans la trilogie). Chapeauté par Zak Penn (scénariste de Ready Player One) et portée par l’acteur Michael B. Jordan, ce film n’avait jamais vu le jour, sûrement balayé par la décision de Lana Wachowski de faire revivre la franchise pour un dernier volet.

Pourtant, il apparaît que le retour des (ou d’une des) Wachowski n’a pas forcément toujours été indispensable pour le quatrième volet. C’est en tout cas ce que soutenait James McTeigue lorsqu’il a révélé qu'il y a “toujours eu des discussions” autour d’un potentiel revival de la franchise, qui serait sorti même sans la participation de la réalisatrice.

Matrix 1
Warner Bros.

Rebelote pour Matrix 5. On l’a dit, Lana Wachowski refusait catégoriquement de faire de son dernier film la porte d’entrée vers une nouvelle trilogie. Pourtant, Matrix 5 arrivera bientôt sur nos écrans. Seulement, s’il n’y a pas de Wachowski derrière la caméra, il n’y aura peut-être pas de Néo devant. Si en 2021 Keanu Reeves assurait (tout comme Carrie-Anne Moss) être ouvert à la question d’un cinquième film, affirmant qu’il serait “très honoré et très reconnaissant”, cinq ans plus tôt, il posait néanmoins déjà des conditions très claires pour le quatrième : que les Wachowski restent maîtresses de leur univers. “Si les Wachowski sont de la partie, supposait-il. Si elles écrivent cette suite et la réalisent. On verrait alors comment a évolué l’histoire, ce serait sans doute bizarre mais pourquoi pas, oui ?".

Matrix, sans Wachowski ni Keanu Reeves, c’est possible ? “Bizarre”, mais possible, du point de vue du studio. Si Reeves n’est pas revenu sur ses principes, cela suppose que l’intrigue de ce nouveau volet ne verra pas revenir Néo.

Warner Bros. aurait fait Matrix 4 avec ou sans Lana Wachowski

Parce que Matrix, c’est de la science-fiction

Et de la science-fiction “pop culturée”, par dessus le marché ! Pour Lana Wachowski, les films ont été “essorés” par la pop culture, dépassant leurs propres limites. En fait, c’est par ses caractéristiques visuelles que la saga est principalement identifiée, alors que ce qui a véritablement forgé la colonne vertébrale de cet univers, ce sont toutes les références culturelles, philosophiques et religieuses qui l’infusent.

La Matrice est devenue une corne d’abondance à "easter eggs" : Star Wars, The Office, Brooklyn Nine Nine, Les Simpsons, Shrek… Nombreux sont les supports qui parodient la trilogie des Wachowski, du coup de pied en lévitation de Trinity au bullet time, en passant par la pluie de lettres vertes, le chat noir ou le manteau en cuir. Ainsi dépecés, les films sont réduits à l’état de kit à monter et remonter, ouvrant la porte à des possibilités infinies. L’identité visuelle de la franchise constitue une base solide et fédératrice, il n’y a qu’à se servir et lui “coller” un scénario.

Matrix 1
Warner Bros.

Il faut dire que ce monde de possibilités est appuyé par la SF elle-même. Genre fondé sur le dépassement des limites du réel, il est celui qui produit les matériaux les plus élastiques. De cette manière, et même si les quatre films, mais aussi les jeux vidéo pensés par les Wachowski (Enter the Matrix, The Matrix : Path of Neo, The Matrix Online) et les cinq courts-métrages d’animation qui composent The Animatrix, forment un ensemble narratif complexe et complet, il y a toujours moyen de trouver un trou dans le puzzle et de vouloir trouver la pièce manquante. Il y a toujours quelque chose à découvrir, à exploiter différemment.

Reste une question, cependant : est-il vraiment nécessaire d’avoir toutes les réponses ?

Pourquoi rebooter Matrix n'est pas une bonne idée