Toutes les critiques de La favorite

Les critiques de Première

  1. Première
    par Sophie Benamon

    Entre les surpuissantes Élisabeth Ière et Victoria, la reine Anne a bien eu du mal à se faire un nom dans la généalogie britannique. C’est donc d’abord avec curiosité qu’on découvre cette monarque, dernière héritière de la lignée des Stuart qui, malgré ses attaques de goutte et sa timidité, aura régné au début du XVIIIe siècle alors que la Grande-Bretagne se hissait parmi les plus grandes puissances mondiales. Pour autant, résumer La Favorite  à un simple film historique serait mensonger. Ce qui a intéressé Yórgos Lánthimos c’est le rapport au pouvoir. Et là, force est de constater que rien n’a changé. Ou presque. Quand l’histoire démarre, Lady Sarah (Rachel Weisz) a les faveurs de la souveraine. Elle dirige d’une main de fer le palais et prend part aux décisions les plus importantes. La reine (Olivia Colman) est affaiblie par sa maladie. Arrive Abigail (Emma Stone), une noble déchue, lointaine cousine de Sarah, que cette dernière va prendre sous son aile. S’ensuit une lutte féroce entre les deux femmes pour devenir LA favorite. Les enjeux sont contemporains : il est question d’enfermement social et de condition féminine. L’histoire dépeint une société très rigide où, pour échapper à son statut, il faut faire preuve d’un individualisme forcené et d’une cruauté extrême. Les femmes sont considérées comme des biens que les pères peuvent à loisir parier au jeu. Mais les deux personnages principaux veulent changer la donne. On les voit faire du tir aux pigeons, séduire des hommes par intérêt et utiliser le sexe comme monnaie d’échange. Une modernité dans le traitement d’un personnage féminin d’époque qui ne paraît jamais factice, bien au contraire.

    ENFERMEMENT
    On retrouve en fait les thèmes chers à Yórgos Lánthimos dans son film le plus accessible. La cour qui vit en vase clos n’est pas sans rappeler la famille de Canine (son deuxième film) cantonnée dans une maison bordée d’une haute clôture. Son utilisation d’objectifs grand-angle qui distordent les murs du palais renforce cette sensation d’emprisonnement. Et elle symbolise le soin apporté à une mise en scène très riche où le souci du détail apporte au cadre une dimension picturale.

    CASTING ROYAL
    L’ironie mordante de l’histoire et les dialogues savoureusement anachroniques ajoutent au plaisir de l’ensemble malgré la gravité du sujet. Il y a comme un air d’Ève, le chef-d’œuvre de Mankiewicz, dans les rapports entre Sarah et Abigail, l’actuelle et la future favorite, dont le spectateur est complice. Bien sûr, le casting y est pour beaucoup. On peut même dire qu’il frise la perfection. Emma Stone, récente oscarisée pour La La Land, campe la jeune femme aux dents longues, capable, dans un même instant, de paraître empathique et machiavélique, de faire peur et pitié. Face à elle, Rachel Weisz incarne un personnage tout en classe et rigidité, semblable à un leader politique moderne. Et puis, au centre de leurs attentions, il y a Olivia Colman. Déjà présente dans The Lobster, l’Élisabeth II de la saison 2 de The Crown reste encore trop peu connue du grand public, hormis des fans de Broadchurch. Elle compose une reine dont on découvre scène après scène la complexité du caractère. Autoritaire, souffrante, instable, atrabilaire, vindicative, Anne apparaît d’abord comme un personnage qu’on n’ose aimer. Jusqu’à ce que, progressivement, sa fêlure se révèle, notamment dans une magistrale scène de confession face à des lapins qu’elle cajole en lieu et place de ses nourrissons morts. C’est à juste titre qu’Olivia Colman a été récompensée pour ce rôle à Venise et aux Golden Globes. Ce chemin royal devrait la conduire aux Oscars.