Toutes les critiques de La vie nouvelle

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Le plaisir d'un tel goût, c'est l'histoire qui revient de loin, avec lui, s'articuler par notre bouche. Car c'est de nous qu'elle est faite, de notre expérience mêlée à celle du film. Il faut donc saluer dans La vie nouvelle, la naissance d'une narration, libérée de la police du récit bien tempéré, qui nous invite à venir à la rencontre de nous-mêmes.
    Grandrieux ouvre toutes grandes les portes de la projection à « l'expérience », et il propose un seuil nouveau de tolérance rétinienne pour son spectateur. Le récit presque entièrement dissolu dans la forme heurtée du montage et de la partition musicale (composée par Étant donné) point ça et là, en îlots, dans un océan où l'on chavire, plus qu'on ne vient, à la rencontre des personnages, du désir et de la trahison.Rarement cadre de fenêtre, au cinéma, fut plus impressionnant que celui par lequel Grandrieux nous fait plonger, depuis un couloir sombre, sur les reliefs lointains d'une ville à la fois post-industrielle et post-soviétique, une ville fantôme. Nous sommes environ à la fin du premier tiers du film. Par le contraste lumineux auquel cette sortie nous expose, nous prenons conscience d'avoir été longtemps tapis dans les recoins de l'immeuble où Mélania (Anna Mouglalis) est prostituée par Boyan (Zsolt Nagy) et où Seymour (Zach Knighton) la rencontre. Nous réalisons alors ceci : tant qu'il était tenu dans l'ombre des personnages, entre tous les regards, le nôtre était le dernier - et il ne devait jamais toucher à l'objet du désir.Cette perte apparente du tact est en fait le signe d'une transformation du processus d'identification. Nous sommes exclus des tractations auxquelles les personnages se livrent dans l'ombre, comme de la possession des corps qui est l'enjeu de leur commerce. Mais cette exclusion se retourne en liberté du rapport à l'image qui est aussi, dans le film, une liberté du rapport au corps. Si nous ne touchons pas Mélania par l'intermédiaire de Seymour qui la possède pourtant devant nos yeux, chaque corps nous touche, en revanche, par la médiation de l'image projetée, parce que la caméra, le montage, la musique les font consister sur la surface de l'écran. Les personnages sont peints par le cinéaste, ils sont changés en vibration sonore et lumineuse au point que tout, bientôt, semble faire corps et que le film, clairement, nous engage à larguer les amarres pour entrer dans la profondeur rythmée de ses intensités, de ses tissus et de sa moiteur, de son odeur même.Une dérive lente et raisonnée de tous les sens est donc mise en oeuvre. Elle se cristallise, notamment, autour du motif de la fenêtre qui est le cadre privilégié de la peinture en Occident. Tout à coup, par la volonté d'un point de vue qui ne s'attribue ni ne s'attache plus à personne et qui est donc pleinement le nôtre, la caméra avance vers un carré de lumière. Les morceaux d'espace raccordés de l'hôtel (la boîte de strip-tease au sous-sol, les ascenseurs, les chambres toutes semblables, etc.) s'effacent devant le plan d'ensemble sur la ville. La vision partielle du montage laisse place à la vision globale du cadre pictural. Mais ce qu'on découvre alors, dans l'évidence du jour, ce n'est pas l'extérieur, c'est la confirmation de notre enfermement. Et quand la plongée est complète, il y a comme un lointain souvenir de