Toutes les critiques de L'ombre d'un doute

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Poursuivi par la police qui le suspecte d'être le meurtrier de plusieurs veuves, Charles Oakley (Joseph Cotten) s'éclipse d'un faubourg pouilleux de Philadelphie et se réfugie dans la famille de sa soeur à Santa Rosa, en Californie.
    Mais la situation se dégrade très rapidement lorsque sa nièce, Charlie Newton (Teresa Wright) commence à le soupçonner. Malgré l'admiration qu'elle nourrit pour son oncle, la jeune Charlie essaie de le pousser à bout pour débusquer la vérité sous le masque.De l'inceste à peine voilé à la démence journalière, Hitchcock, dans L'Ombre d'un doute (1943), combine, avec finesse et réalisme, l'érotisme, la mort et la séduction.
    Les deux personnages principaux - l'oncle Oakley et sa nièce - sont tout à fait complémentaires. L'un est l'envers de l'autre. "Nous sommes pareils", dit-elle à l'ouverture d'une des séquences. C'est de ce thème de prédilection - le double, la dualité de l'individu - que découle tout l'intérêt du film. Car dans sa structure narrative, L'Ombre d'un doute est très classique. L'histoire est simple et linéaire. Le film suit un déroulement aisé, sans coup de théâtre. Tout est esquissé dès le début, et on assiste à un cheminement continu de l'action et des thèmes jusqu'à la fin, avec en leitmotiv musical La Veuve joyeuse. Non que le maître du suspens se soit astreint à une sorte d'académisme, mais il préféra opter pour la simplicité et une approche plus psychologique afin d'explorer ce côté Dr Jekyll et Mr Hyde de son héros, un véritable dandy qui s'est fait un devoir moral de tuer les veuves pour les voler.Les ressorts de l'intrigue ne sont pas sans rappeller d'ailleurs Le Criminel dont Orson Welles donnera le premier coup de manivelle en 1946. Dans ce film qu'Hitchcock considerait comme l'un des plus aboutis, l'oeil du Malin est au coeur de l'ordinaire. La quiétude masque souvent l'ignoble. Derrière le paravent des gestes quotidiens, les héros hitchcockiens se tourmentent l'âme et les sens. Dans L'Ombre d'un doute, tout n'est qu'apparences et illusions. Comme plus tard dans Les Oiseaux (1963), l'endroit dissimule un envers sordide. Presque démoniaque. La cellule familiale est un théâtre clos, où se croisent des ombres chinoises. Et le diable, semble dire Hitchcock dans ce film à l'ironie très noire, est légion.Parce que le meurtrier hitchcockien est ordinaire, c'est-à-dire qu'il se mélange au décor, le spectateur n'a aucun mal à s'identifier au héros. Il n'y a, dans L' Ombre d'un doute, aucune pathologie, aucune névrose. Seulement des êtres normaux. Et comme pour nous rappeler que de la pensée criminelle à l'acte criminel, il n'y a qu'un pas, Hitchcock manie le gros plan comme des secousses brutales qui sortent le spectateur de sa torpeur. La menace est palpable, à portée de rétines. A côté de cela, il multiplie les cadrages penchés et les ombres significatives venus de l'expressionnisme.Peu disert sur lui-même, Hitchcock semble, par moments, se livrer à une sorte de confession. Dans ce film, on notera deux obsessions elliptiques : le poids et l'âge. Excédé, Oakley rabaisse les femmes riches au rang de "bêtes, trop grosses et trop vieilles". En outre, certaines répliques sonnent comme des aphorismes ou plutôt comme des réquisitoires, des malédictions : "Je t'ai apporté des cauchemars... Le monde est une porcherie répugnante... Les maisons sont pleines de porcs... Le monde est un enfer"...
    Stephen King ou David Lynch (dans Twin Peaks notamment) puiseront quelque peu dans cette mare au Diable qu'est l'horreur de l'ordinaire, horreur qui bouleverse des communautés paisibles et pittoresques de province.Hitchcock conclue sur une morale morbide : le mal est un mystère et les hommes emportent leurs secrets dans la tombe. Mais ce qui importe le plus, c'est qu'avec ce film, Hitchcock laisse percevoir une des fonctions qu'il assigne au cinéma : rendre vraisemblable ce qui est déjà vrai.L'Ombre d'un doute
    De Alfred Hitchcock
    Avec Joseph Cotten, Mac Donald Carey, Hume Cronyn
    Etats Unis, 1943, 1h50.
    - Lire la chronique de Vertigo (film matrice) (1959).