Toutes les critiques de Intimité

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    Jay (Mark Rylance) travaille dans un club, à Londres. Il est divorcé, plutôt solitaire et noctambule. Une femme, Claire (Kerry Fox), qu'il a rencontrée par hasard et invitée une fois à venir chez lui, revient plusieurs fois de suite, le mercredi après-midi. Ils font l'amour, ils ne se parlent pas.
    Patrice Chéreau dit que le cinémascope est, paradoxalement, le format de l'intimité. Si c'est celui qu'il a choisi pour son film, la peinture de nus en est la matière irradiante, depuis les scènes d'amour où elle se concentre, jusqu'aux scènes de la vie quotidienne où elle vient encore se déposer. On pense à Lucian Freud, à Francis Bacon. La peinture marque d'une masse trouble et d'un poids, d'une rugosité, le lissé cinématographique des images défilantes.
    Ainsi, peinture et cinéma s'opposent et se lient dans le film comme ce qui ferait sa profondeur, d'une part, et sa surface, de l'autre. Chéreau les organise en un jeu d'ombre et de lumière. L'affiche est juste, en ce sens, parce qu'elle montre l'ouverture générale des espaces labyrinthiques ou nocturnes, l'importance des flous environnant le relief et la densité des figures. Les visages de Kerry Fox et de Mark Rylance, placardés sur les couloirs du métro, font monter d'une ombre sans fond des éclats de lumière. Ils révèlent de cette ombre, dans un miroitement précieux et fugace, la surface. Et peut-être s'agit-il en effet, pour Intimité, que l'ombre du désir fasse surface, prenne, dans nos vies, place et forme.Patrice Chéreau, qui cherche de quoi organiser la tension des rencontres entre Claire et Jay, croise en chemin, et capte, le clair obscur des architectures londoniennes, les demis sous sol à l'entrée des maisons, les perspectives d'escaliers ouverts sur une rue, un théâtre ou un pub. Il capte aussi le clair obscur des vies doubles, triples, quadruples, de ses personnages. Finalement il trouve, dans cette lumière indécise, des scènes de nus pour lesquels l'harmonie discrète des teintes assombries, des poses, l'harmonie suspendue de l'enchaînement des corps, des mouvements et des plans, préside à la représentation de l'amour charnel au cinéma. Cette représentation devenant, au moment même où elle apparaît, déjà classique parce qu'elle est juste, parce qu'elle convient soudain à nos yeux, comme à notre esprit et comme au sentiment du chaos dans l'étreinte, quand les corps roulent, buttent aux parois de la pièce, sont rattrapés par le sol.Le clair obscur n'est pas une peinture froide, même si elle songe à la mort, et le film de Chéreau n'est pas froid lui non plus, même si la perfection atteinte d'une forme projetée le retire un peu de nous, des vivants que nous sommes. Il règne, dans tout cela, une atmosphère d'apaisement, d'ordre et beauté relevant les désordres et la trivialité des existences communes. Le drame, si c'en est un, relève, quant à lui, du syndrome de Stendhal. C'est-à-dire que, par tant de beauté, émus, et même mus, puisque Jay s'élancera à la poursuite de Claire, on redoute, à la fin, que tout ne cesse bientôt, tant il est vrai que la beauté se confond ici avec la chance, le plaisir incalculable que cet homme et cette femme ont su trouver dans le corps l'un de l'autre. Poursuivre, retenir, saisir une fois pour toutes, c'est précisément ce qu'il ne sera pas possible de faire, ce qui défait, ce qui désarme, à la fois, la chance et le désir dans ce film superbe.
    De Patrice Chéreau
    Avec Mark Rylance, Kerry Fox, Timothy Spall
    France, 2000, 2h.
    - Lire la chronique de Son frère (2003).