Première
par Gérard Delorme
Des trois versions de Blanche-Neige tournées l’année dernière, celle-ci est de loin la plus inventive, la plus audacieuse et la plus exaltante. La plus risquée aussi puisqu’il s’agit
d’un film muet en noir et blanc. Mais contrairement à The Artist, qui revisitait cette forme d’expression oubliée avec respect et application, le film de Pablo Berger la revitalise
avec un dynamisme extraordinaire, tant par le récit, qui nous mène de surprises en ébahissements, que par la forme, extrêmement forte et maîtrisée. Bien que située au début
du XXe siècle, cette transposition du conte des frères Grimm a des connotations très modernes. Alors qu’une série de hasards amène Carmen/Blanche-Neige à affronter des taureaux dans l’arène (en compagnie de sept toreros nains !), elle assume l’héritage de son père et contribue à redéfinir le rôle de la femme dans la société espagnole. C’est non seulement un défi à une tradition machiste, mais également au pouvoir corrompu qu’incarne la marâtre (Maribel Verdú, incroyable), dont les penchants SM et le narcissisme exacerbé résonnent de manière très contemporaine. Le cinéaste espagnol a manifestement assimilé les enseignements des grands maîtres du muet (Lang, Murnau), tout en empruntant des éléments à Buñuel et à Browning lors de ses incursions dans le monde du spectacle, peuplé de ses inévitables freaks. Beau et cruel jusqu’à la dernière larme, ce conte de fées sorti de nulle part est l’une des meilleures surprises de ce début d’année.