Amadeus
Warner Bros.

Alors que le chef d’œuvre sur la vie de Mozart réalisé en 1984 bénéficie d’une édition vidéo 4K UHD. Retour sur un film inégalé.

Les biopics pullulent, le cinéma recule ? Pas toujours, certes, mais avouons que la biographie filmée sature de sa paresse dramatique les écrans. L’avènement de l’IA devrait bientôt (si ce n’est pas déjà la cas) permettre de générer sans se fatiguer des scripts wikipédiés à la pelle sur n’importe quel génie de la musique, du sport, de la peinture…

Le label "inspiré d’une histoire vraie" ayant valeur d’adoubement, la structure est toujours un peu la même : enfance compliquée, ascension artistique peu compatible avec une vie intime forcément houleuse, starification, dilemme moral, paradis artificiel, chute et renaissance… Grosse fatigue ! Pour peu que la famille du sujet soit impliquée dans le bousin et c’est l’hagiographie forcée comme c’était le cas récemment de l’anecdotique et embarrassant Monsieur Aznavour. Un parfait inconnu de James Mangold, lui, est le contre-exemple. Vanté par Bob Dylan lui-même, il reste un véritable film d’auteur.

James Mangold raconte son Dylan

"J’assume le côté fantaisie …"

Mangold, élève de Miloš Forman, cite d’ailleurs abondamment le Amadeus comme modèle avoué, notamment pour sa capacité à ne pas tout embrasser de la vie du personnage et de se concentrer sur un temps resserré : dix dernières années de la vie de Mozart pour Forman, la décennie sixties pour le Dylan de Mangold.

Alors que sort un prestigieux coffret vidéo en version 4K UHD du monument de Forman, il est temps de revoir Amadeus (1984) et de mesurer à quel point il reste inégalé. 

"Si le scénario portait sur la vie de Mozart, je ne l’aurais pas fait", expliquait le cinéaste d’origine tchèque à la Radio Télévision Suisse en 1989. Il n’y a rien de plus ennuyeux que les films sur la vie d’un musicien. La musique est un art tellement abstrait. J’assume le côté fantaisie basée sur des faits réels." Forman prenait ainsi d’emblée ses distances avec un genre dont il ne voyait pas l’intérêt pour peu que l’on s’en tienne au récit chronologique et officiel. Il convient selon lui d’être apocryphe quitte à offrir une vision peu canonique. Certains thuriféraires du viennois ont dû bouffer leurs partitions à la sortie du film en 1984.

Le Mozart de Forman, volontiers immature, sautille, ricane, ponctue ses phrases d’un rire aussi perçant que ridicule. Ce fameux gémissement - un tantinet agaçant - était décrit par ses contemporains comme "un étourdissement contagieux" ou "du métal rayant du verre." Ce rapport de force constant entre la "petitesse" supposée de l’homme et la grandeur avérée de ses compositions, créait la tension même du film.

Amadeus
Warner Bros.

Itinéraire d’un anticonformiste

En prenant ses distances avec la réalité, Amadeus de Miloš Forman dépassait en effet le statut de simple biopic pour devenir une œuvre baroque sur la solitude des génies. Son scénario est adapté d’une pièce de théâtre de l’anglais Peter Shaffer qui avait déjà fait ses preuves sur les scènes anglaises. Shaffer s’était basé sur la correspondance de Mozart pour dessiner le profil psychologique du musicien. Le récit extrapolait ensuite autour de la rivalité entre Mozart (le génie) et Antonio Salieri (le besogneux). Salieri qui, à la fin de sa vie, reclus dans un asile, s’était réellement attribué la mort de l’autrichien. Grande idée dramatique qui transforme le film musical en thriller paranoïaque et fiévreux.

"Ce qui marche au théâtre où le caractère factice des décors fait partie du jeu", expliquait également Forman, "sera ridicule sur grand écran où il faut tenter de capter au plus près la réalité." La puissance d’Amadeus tient notamment dans l’utilisation de la musique dont l’omniprésence ne cherche pas tant à illustrer les images qu’à interagir voire à dicter la marche du drame. Forman avait été clair : "L’idée est que la musique agisse sur l’action, mieux qu’elle l’anticipe…" Le montage ne se contente donc pas d’enquiller les "tubes" mais de voir comment leur pouvoir dévastateur déstabilise le monde dans lequel ils sont nés. Un geste que l’on retrouve dans le Parfait inconnu de Mangold où les morceaux de Dylan innervent l’organisme même du récit.

Amadeus
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What Hulce ?

Forman aurait d’abord pensé à Mick Jagger pour incarner Mozart avant de se rabattre sur un parfait inconnu, Tom Hulce. Le comédien d’origine américaine avec son physique plutôt banal a été repéré au milieu d’un millier de prétendants. Il se fondra corps et âme dans la peau du compositeur, jusqu’à disparaître. C’est F. Murray Abraham – interprète de Salieri donc – qui le coiffera au poteau pour l’Oscar du meilleur acteur. Une forme de reconnaissance en négatif.

Pour Forman, l’itinéraire de Mozart, figure du héros solitaire et anticonformiste victime d’une société aliénante renvoyait directement à ses préoccupations d’auteur. Son Wolfgang Amadeus est ainsi à rapprocher de son Randle McMurphy du Vol au-dessus d’un nid coucou, George Berger le hippie de Hair et plus tard de Larry Flint et d’Andy Kaufman de Man on the Moon. Rappelons que Forman a fui la Tchécoslovaquie en 1968 à la suite du Printemps de Prague, son cinéma (il était alors le fer de lance de la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque) étant peu compatible avec l’idéologie communiste.

Michael Douglas raconte Vol au-dessus d'un nid coucou

Un lent requiem

Que reste-t ’il aujourd’hui de cet Amadeus qui a entraîné des hordes de spectateurs dans les salles en 1984 (4,6 millions d’entrées en France) ? En jouant à fond la carte du baroque, la mise en scène de Miloš Forman crée du fantasme et introduit un onirisme qui place son film sur orbite. Articulé comme un lent requiem, le film fait monter une fièvre qui jamais ne redescend. Si les puristes de Mozart peuvent se gausser en voyant ce tableau truffé d’inexactitudes, Milos Forman l’iconoclaste peut, sans rougir, paraphraser son héros : "Pardonnez-moi Majesté, je suis un homme vulgaire mais - je peux vous l’assurer ma musique ne l’est pas !

Amadeus de Miloš Forman, édition collector 4K UHD. Warner Bros. Le 12 mars.