Rencontre avec celle qui signe des débuts enthousiasmants de réalisatrice avec The Chronology of water en dépit d’un long et parfois chaotique processus de création.
A quand remonte votre envie d’adapter The Chronology of Water de Lidia Yuknavitch, ce livre où elle racontait comment elle avait réussi à s’extirper par la littérature d’un environnement familial toxique ravagé par la violence. ?
Kristen Stewart : Avant même d’en avoir fini la lecture ! Tant page après page, ce récit m’avait percutée et fait sortir du placard un nombre hallucinant de cadavres que j’y avais moi-même enfermé. Mais cette précipitation, née donc de cette expérience intime de lectrice, était bien évidemment à l’inverse de ce qu’il fallait pour adapter à l’écran ce livre, constitué comme un kaléidoscope ou un puzzle dont il faut attendre que l’ultime pièce soit déposée pour en saisir tout le sens
Comment avez- vous alors procédé ?
J’ai pris mon temps. J’ai mis plusieurs années à écrire ma version de chaque page de ce livre. Alors qu’évidemment en grandissant, en mûrissant, mon rapport à cet ouvrage s’est modifié. C’est pourquoi ce temps long, bien que pas toujours de mon fait, a servi le projet. Ma version finale de ce scénario contenait au moins 5 films différents. Et j’ai alors choisi… de ne pas choisir ! Car j’étais certaine que ce serait le seul moyen de trouver mon film à moi. En cela, je peux dire que la confection de The Chronology of water a ressemblé à du free jazz. Au tournage comme au montage. D’ailleurs pendant au moins un an, lors de la phase de post- production, je pensais avoir tout foiré. J’ai même traversé une sorte de deuil dont j’avais du mal à le libérer tant je m’en voulais de ne pas avoir été à la hauteur. Et puis d’un coup, le film m’est apparu. J’avais réussi à construire mon kaléidoscope. Parmi la quinzaine de films possibles à partir de mes rushes, je suis parvenu à en faire un. Qui ressemble à ce que j’avais ressenti comme lectrice. Le voyage fut long et éprouvant mais je ne me suis jamais sentie autant en vie

Votre film marque par son incroyable puissance sensorielle, votre travail sur les textures, les couleurs, le grain des différentes peaux…. Votre directeur de la photo Corey C. Waters était présent très en amont dans l’écriture pour créer cet univers-là ?
J’aurais adoré ! Car depuis ce tournage, Corey C. Waters est devenu comme un frère de sang comme moi. Mais ce qui s’est passé à ce poste raconte le roller coaster émotionnel que fut pour moi toute cette aventure. J’avais en effet fait toute la préparation avec un autre chef opérateur mais je percevais que quelque chose n’allait pas. Alors, un week-end, très tardivement j’ai décidé de tout changer et de faire appel à Corey. J’avais conscience de la folie de ce geste. C’est comme sauter d’une falaise sans savoir nager et sans gilet de sauvetage. Corey est encore plus jeune que moi et pas beaucoup d’expérience. On était deux bébés. Mais il a tout de suite connecté aux images que j’avais en tête et les a transcendées. Il est devenu immédiatement un élément essentiel de ce projet. Même s’il fut dans les faits un des derniers à le rejoindre.
Il était évident dès le départ que vous n’en tiendriez pas le rôle central ?
Oui car j’aurais été absolument incapable de tout gérer.
Et qu’est ce qui vous a donné envie de le confier à Imogen Poots ?
Parce que je ne l’avais vu mauvaise à l’écran. Mais aussi parce qu’au- delà de son talent, je savais que les spectateurs allaient naturellement s’attacher à elle et donc suivre son personnage y compris dans toutes les mauvaises décisions qu’elle prend. Imogen suscite spontanément une empathie indispensable à l’équilibre de mon film. Et je puis je pense qu’elle comme moi sommes arrivées à une étape de nos vies où nous étions capables de nous emparer de cette histoire. Comme un deuxième départ pour nous qui avons débuté très jeunes à l’écran. On nous a longtemps appris à cacher certaines choses pour attirer l'attention, pour trouver du travail, pour "réussir"… Avec The Chronology of water, j’ai le sentiment qu’on se situe exactement dans la logique inverse. Et chacun à notre place, elle devant la caméra, moi derrière, on a révélé des choses inédites de nous.
The Chronology of Water. De Kristen Stewart. Avec Imogen Poots, Thora Birch, James Belushi… Durée : 2h08. Sortie indéterminée
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