Hamilton
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Bourré de tubes, le génial Hamilton est enfin visible pour tout le monde (enfin, pour toutes celles et ceux qui ont Disney+).

C’est devenu une blague récurrente dans les films et les séries depuis 2015 : "c’est plus difficile que d’avoir des tickets pour Hamilton". Hein ? Si vous avez déjà entendu cette blague quelque part, une simple recherche Internet vous apprenait qu’Hamilton était un triomphe à Broadway, un tel triomphe qu’avoir des places est donc hyper dur, d’où la blague -mais à moins d’avoir le compte en banque bien garni et un voyage à New York calé (ou à Londres puisque la pièce s’y joue aussi) dans un proche avenir, le seul fait de savoir qu’Hamilton est un gros hit suffit pour saisir la plupart des blagues sur le sujet. Gros hit ? Pas seulement. Hamilton est évidemment le musical des superlatifs : 11 Tony Awards (les Oscars de Broadway) gagnés sur le chiffre record de 16 nominations, le Pulitzer du meilleur drame en 2016, le record du plus gros succès sur une semaine d’exploitation à Broadway. Et donc un impact culturel énorme -impact qui a pour des raisons logistiques évidentes remarquablement épargné la France. Jusqu’à aujourd’hui, où Disney+ diffuse une captation vidéo d’Hamilton avec son casting d’origine. Un événement puisqu’on ne voit quasiment jamais de captation vidéo des hits de Broadway.

Hamilton raconte donc la vie largement romancée d’Alexander Hamilton (1757-1804), un des pères fondateurs des Etats-Unis, administrateur du premier système financier yankee… Le genre de pitch improbable dont les Américains raffolent. Et Hamilton a choisi de caster des Afro-Américains, des Latinos et des Asiatiques dans les rôles principaux (George Washington est Noir) afin de retourner la question de la représentativité comme un gant. L’Amérique est une nation d’immigrés, alors faisons les acteurs de sa fondation par les immigrés (il y a aussi des Blancs, comme Jonathan Groff, alias Kristoff dans La Reine des neiges et Holden Ford dans Mindhunter, ici dans le rôle hilarant du roi George dont le numéro résonne drôlement à l’ère du Brexit). L’autre coup de génie est purement musical. Vous verrez peut-être Hamilton résumé comme "une comédie musicale en rap" -le show était à l’origine un concept album de rap présenté devant Barack Obama à la Maison-Blanche- et c’est très réducteur. Du rap, il y en a, du west coast, du east coast, mais aussi de la soul, du r’n’b, du funk, sans oublier les grands thèmes imparables, les tubes glorieux à reprendre à tue-tête en tapant des mains. Les débats politiques sont -littéralement !- des battles de rap. Entièrement chanté avec une énergie folle et une mise en scène affolante de fluidité, Hamilton joue sur un langage d’une richesse folle, avec un jeu d’écriture bourré de références, qui fait déjà l’objet d’études sérieuses et dont les punchlines sont aussi passés dans le langage commun aux USA ("Immigrants, we get the job done" ; "I’m not gonna throw away my shot" -vous aussi, maintenant, vous allez pouvoir les apprendre !). Bref, Hamilton, est musical, brillant, engagé : elle parvient à cocher toutes les cases. Cinq ans après sa création, elle fait déjà partie du panthéon de l’histoire du musical, et de la culture américaine.

Et le voilà donc sur Disney+. Bizarre ? Pas vraiment, puisque son créateur Lin-Manuel Miranda fait désormais partie des VIP Disney : il a signé les chansons démentes de Vaiana, la légende du bout du monde, il a joué dans Le Retour de Mary Poppins, fait des caméos dans Star Wars, et il participe au futur remake en live action de La Petite sirène (son Disney préféré : il s’identifie complètement à Sébastien le crabe). La version proposée sur le service de streaming a été montée à partir de captations de trois représentations différentes de la pièce le long d’un week-end, et sur les trois "fuck" présents dans les paroles, deux ont été supprimés pour respecter la censure US (le premier "fuck" est gratuit). Ce qui n’est pas très grave : le plus embêtant -et cela risque de limiter l'impact de la pièce chez nous- reste l’absence de sous-titrage français, seuls les sous-titres anglais sont disponibles (ceci dit, traduire Hamilton en français paraît un défi immense tant la pièce joue sur les rythmes de la langue anglaise). Au fond, Hamilton est un immense musical que les enfants américaines apprennent par cœur (grâce à l’enregistrement audio de la pièce, vendu comme un album), comme les autres classiques Disney -le studio, qui a déjà récupéré des génies de Broadway comme Alan Menken, le couple Anderson-Lopez (La Reine des neiges) ou Stephen Schwartz, cherche depuis 2010 à se reconnecter à son ADN de comédie musicale. Sa mise à disposition sur Disney+, au fond, est très logique. Même avec un seul fuck.