EO (Hi-Han) de Jerzy Skolimowski
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Le vétéran polonais signe un film porté par le regard d’un âne. D’une beauté plastique stupéfiante...

A Cannes, l’humain encombre un peu. Beaucoup. Dedans comme en dehors du cadre. Sur l’écran, du surmoi voire du surjeu, dans les salles, la rue ou les fêtes, une foule nerveuse.  Remercions donc d’emblée l’âne EO, héros quadrupède du très beau film du même nom signé du vétéran polonais, Jerzy Skolimowski (Le départ, Deep End, Travail au noir, Essential Killing...), de reléguer les êtres trop pensants que nous sommes, au second plan.

Dans un hommage bressonien annoncé, Skolimowski - 84 ans et tout son mordant - signe un film animiste d'une folle liberté où un âne prend en charge un récit quasi-cosmique. Du cirque où il est chassé (pour son bien lui dit-on), EO va être trimballé de droite à gauche et croiser la route d’une humanité peu glorieuse (alcooliques, supporteurs, trafiquants...)

L’âne, animal réputé têtu, ne l’est pas vraiment ici. De son œil malicieux, on sent poindre une douce ironie, de la lassitude et plus sûrement une forme de résignation. Aucune certitude pour autant, l’âne se tait ou braie, ses mouvements d’humeur obligent le spectateur à interpréter des émotions enfouies au fond de lui-même.

Toute la beauté du film tient dans cette façon de changer notre rapport au monde. A hauteur de l'âme d'un âne, fut-elle inquiète, on est mieux. A l’image, Skolimowski, plasticien et peintre à ses heures non perdues, sidère par des envolées formelles d’un lyrisme décomplexé. La (grande) musique se fait omniprésente, rue dans les brancards, le son en surplomb devient le regard même du film. La caméra peut alors s’élever dans les cieux (plus que Bresson, Skoli tutoie ici Malick) pour mieux transcender les choses.

L’humanité ainsi disqualifiée, on ne se réjouit pas forcément de voir apparaître dans la dernière ligne droite Isabelle Huppert. La sur-actrice occupe soudain l’espace au mépris de notre pauvre EO, exclu d’un film dont il tenait pourtant les rênes. 

Le numéro de l’actrice horripile un peu, mais l’âne reprend ses droits pour un (presque) final dantesque : un pont, un immense barrage et le surgissement d’une eau diluvienne que Skolimowski ré-apprivoise par un effet simple mais enivrant. Au milieu d’un cadre qui déborde et qui crie de partout, l’âne, lui, est à l’arrêt. Le film aurait pu s’arrêter là. On tenait là une image parfaite.

De Jerzy Skolimowski. Avec : Sandra Drzymalska, Lorenzo Zurzolo, Isabelle Huppert... Durée : 1h21.