Lambert Wilson et Bertrand Tavernier
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En 2010, Bertrand Tavernier présentait son dernier film en costumes, La princesse de Montpensier (rediffusé ce soir sur Arte). Il nous avait alors dévoilé ses secrets de fabrication.

La princesse de Montpensier est l’un des premiers films de ma carrière - à l’exception peut-être de La fille de d’Artagnan et de Daddy Nostalgie – dont je ne suis pas l’instigateur. Lorsque je suis arrivé sur le projet, il y avait déjà un script écrit par François-Olivier Rousseau. Avec Jean Cosmos, mon coscénariste, nous sommes toutefois revenus au texte original. La courte  nouvelle de Madame de Lafayette écrite XVIIème, raconte le parcours d’une jeune fille noble dans la France du XVIe, agitée par la guerre entre catholiques et protestants. La métamorphose de ce personnage non préparé aux évènements qui vont s’imposer à elle me passionnait, tout comme la répercussion de ce changement sur son entourage. Il fallait alors retranscire la complexité des comportements de chaque protagoniste dans une époque où les mœurs et les règles de vie étaient particulières. Pour cela, nous avons percé les mystères du texte pour en décrypter le langage. Un simple mot, à priori anodin, ouvrait ainsi des perspectives inouïes. Prenez cette phrase: « Marie, tourmentée par ses parents, due se résoudre à accepter Philippe de Montpensier  pour mari » Que nous dit-elle exactement ? Nous nous sommes tournés vers un historien qui nous apprend que l’adjectif « tourmenté» signifiait en réalité « torturé », laissant supposer que Marie a été battue à plusieurs reprises par son père. Il était impossible de ne pas le montrer. Le statut particulier d’une jeune fille noble à l’époque est comparable à celui  d’une jeune fille issue d’une famille turque fondamentaliste aujourd’hui. Derrière le style très policé de Madame de Lafayette se cachait donc une immense brutalité. Dès le début du récit, on apprend également que le comte de Chabannes  « abandonne la guerre. » Le scénario original décrivait le personnage quittant le champ de bataille, annonçant à ses supérieurs ses intentions. Nous avons pensé qu’il serait plus intéressant de confronter le personnage à une violence extrême, propre à ébranler ses certitudes de soldat. Nous l’avons imaginé tuant une femme enceinte lors d’un combat. Un acte irréparable, qui  était alors considéré comme un crime de guerre, au même titre que la destruction d’un four à pain et d’une charrue. L’exemple de la nuit de noces est également très intéressant. À l’époque, la première pénétration était publique afin de s’assurer que la fille était bien vierge et que le jeune homme n’était pas impuissant. La famille et les proches attendaient donc dans la chambre que les amants sur le lit aient leur première relation sexuelle. Avouez que c’est une façon plutôt étrange de découvrir sa femme ou son époux ! En filmant cela, mes personnages acquièrent aux yeux du spectateur une dimension particulière. Celui-ci comprend mieux leur comportement. Dans certains cas la réalité historique peut s’avérer terriblement romanesque.

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DONNER DE L’ALLURE AUX CHEVAUCHEES

La condition sine qua non pour faire partie du casting, était de savoir monter à cheval. J’ai donc éliminé d’emblée celles et ceux qui ne savaient pas ou ne voulait pas apprendre. Je voulais que mes interprètes aient de la prestance. J’ai toujours aimé mettre en scène les scènes avec des chevaux. Dans le cinéma français, je suis frappé par la quasi-incapacité des metteurs en scènes à les filmer. Ils choississent des décors plats, où il est très facile d’évoluer. Dès La passion Béatrice, je me suis employé au contraire à trouver des terrains accidentés pour suggérer l’effort. C’est l’influence directe des longs métrages de Delmer Daves, d’Anthony Mann ou d’André de Toth… Pour rendre la course à cheval cinématographique, la caméra doit toujours être placé suffisamment bas pour donner un effet de grandeur. Je voulais également retrouver les séquences des vieux westerns dans lesquels les personnages discutaient longuement à cheval. Pour ce faire, nous avons placé le steadycamer sur une moto ou sur une petite voiture électrique. De cette façon, je pouvais obtenir des plans séquences où les cavaliers pouvaient évoluer librement dans le cadre. Cela apporte beaucoup de dynamisme. Tous les comédiens ont donc pris des cours d’équitation. Mis à part Lambert Wilson ou Raphaël Personnaz, aucun d’entre-eux ne savait vraiment monter à cheval. Mélanie Thierry a vraiment su dompter ses peurs. Je ne voulais pas utiliser de doublure, je cherchais à magnifier mes acteurs.

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ADMIRER SES INTERPRETES

Avec mes interprètes, nous avons fait beaucoup de lectures individuelles ou en groupe. Nous parlions beaucoup, j’essayais de rendre leur personnage contemporain. Pour le duc de Guise, je disais à Gaspard Ulliel: « pense à un caïd du 9-3, qui aime affronter des CRS, foncer en scooter… »  Les costumes les ont également aidés à s’imprégner de leur rôle. Mon plus grand travail finalement a été de les admirer ! Ils ont, je crois, très bien senti mon amour. Sur le tournage, je les laissais bouger dans le décor et je les suivais avec ma caméra. Bien-sûr je leur demandais parfois de s’adapter, comme la fois où Mélanie s’est mise à tourner sans s’arrêter autour d’un pommier (rires). Avant de tourner, j’ai des idées sur la mise en scène mais rien n’est figé. Les repérages donnent une vue assez précise des choses, ensuite mes interprètes peuvent très bien tout bousculer. Dès mon premier film, j’ai refusé de trop planifier. J’ai été marqué par certains films français des années cinquante où je sentais que le cadre était imposé aux comédiens. J’adore au contraire La règle du jeu de Jean Renoir où la caméra bouge en fonction des acteurs. L’instabilité du cadre révèle à l’instabilité des personnages. Après avoir vu L’Appât, André de Toth m’a fait ce compliment : « on a l’impression que ce sont les protagonistes qui inventent le cadre ! » Le rythme de La princesse de Montpensier a été directement dicté par le mouvement des interprètes et de la caméra, non par le montage. Au final, il compte six fois moins de plans que la moyenne actuelle des longs métrages.

 

ENCOMBRER AU MAXIMUM LE CADRE

Le choix du cinémascope s’est imposé dès le départ. Je savais que ça allait limiter la profondeur de champ et m’obliger à me rapprocher de mes comédiens, créant ainsi plus d’intimité. Il fallait également que l’on sente les couleurs des décors, des costumes... Ce format permet ça. Quand vous êtes en gros plan le décor vit toujours, à l’inverse en plan large les personnages arrivent quand même à exister. La princesse de Montpensier est avant tout un film biologique qui a été fait à l’ancienne, sans effets spéciaux, ni étalonnage numérique. Les séquences de bataille sont ainsi 100% bio! Tout a été obtenu au moment du tournage. Cela peut apparaître passéiste, mais j’en ai marre de ces films entièrement fabriqués. C’est jubilatoire au contraire de trouver des solutions pour qu’à l’écran 40 personnes en paraissent 400 ! Il faut jouer avec la fumée, le brouillard, les accidents de terrain… Sur ce tournage, j’avais l’impression d’être confronté aux mêmes problèmes que Samuel Fuller, quand la production lui enlevait à la dernière minute la moitié de ses figurants. Avec son décorateur, Anthony Mann avait lui, utilisé un miroir pour agrandir l’espace et doubler le nombre de personne. C’est ça le cinéma ! J’ai tourné les batailles de la Princesse, en seulement deux jours. Au moment des repérages, j’avais demandé un endroit avec une rivière, beaucoup d’arbustes et un terrain vallonné. En encombrant au maximum le cadre, je n’avais pas besoin de placer beaucoup d’acteur dans le champ pour le remplir.

Sur le plan esthétique, il fallait à tout prix éviter le côté reconstitution historique. C’est pourquoi j’ai refusé de me baser sur des peintures. Dans les tableaux, les personnes étaient spécialement habillées pour l’occasion. Le résultat ne reflétait pas la réalité. J’avais adoré pour cela La Reine Margot de Patrice Chéreau où les héros étaient le plus souvent en chemises et non en tenues d’apparat. Essayer de singer de cérémonies d’époque est comparable à quelqu’un qui voudrait filmer des paysans dans les champs en se basant sur les photos de leur mariage ! C’est pourquoi ici, personne ne porte des fraises, ces cols soi-disant caractéristiques du XVIe.

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“FAIRE UN FILM EST UNE LUTTE”

Faire un film est toujours une lutte. Une fois le budget réuni - ce qui n’est jamais gagné - il  faut composer avec l’économie du film et accepter parfois de renoncer à certains choix. Dans notre scénario, il y avait une scène qui montrait le premier contact de Marie de Montpensier avec la ville. Des brigands la rançonnaient aux portes de Paris. Elle voyait le comte de Chabannes se battre et découvrait alors la violence. Nous avons décidé de ne pas la tourner, faute de temps. À l’inverse, une contrainte économique peut s’avérer stimulante. Ici nous avons choisi de filmer le bal depuis les coulisses. Lors de ce type de réceptions, les gens dormaient dans les couloirs, il y avait des chiens, des enfants, des jongleurs… Aussi, quand mon héroïne se retrouve au milieu de tout ça, elle est perdue, et l’on saisit mieux son trouble. Au final, cette séquence est plus expressive que si nous l’avions filmée au milieu des dorures de la salle de bal. Lorsque nous avons commencé à tourner La princesse de Montpensier, tout le monde - y compris moi - pensions qu’il serait impossible à faire. Il a fallu se battre tous ensemble. J’ai l’impression de faire à chaque fois un premier film.


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