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Capricci Films/ Les Bookmakers

Dialogue avec un comédien qui ne cesse de prendre de l’ampleur alors que sort La Troisième guerre, son troisième long métrage d’une année bien remplie.

En juin dernier, on vous a vu en loup- garou dans le Teddy des frères Ludovic et Zoran Boukherma. C’est un rôle qu’ils vous ont directement proposé ?

Anthony Bajon : Oui et je suis même encore plus chanceux : ils ont écrit ce rôle en pensant à moi après m’avoir vu dans La Prière. Jouer un loup- garou, C’est un cadeau de dingue ! Et il y a eu chez moi une excitation folle à plonger dans leur univers si singulier – j’avais adoré leur Willy 1er - avec le lâcher prise qu’un tel rôle nécessite. Depuis mes débuts, j’ai envie de choses très éclectiques. Or après La Prière, on m’a proposé 10 fois le même type de rôle que j’ai évidemment décliné. Ce qui me plaît quand j’accepte un film, c’est d’avoir peur, de ne pas savoir immédiatement comment je vais le jouer. Si je n’ai pas peur, je n’y vais pas ! Et pour Teddy, je vous assure que j’ai eu peur.

Par quel bout avez-vous alors pris ce rôle ?

Tout a commencé par des échanges avec Ludovic et Zoran. J’avais besoin d’éclairages précis sur certains points de leur scénario. Et à partir de là, débute un gros travail personnel. A chaque fois, je passe beaucoup par le corps pour travailler mes rôles. Ca se fait par petites touches, en essayant de rester fidèle à la finesse de leur scénario. Car Teddy ne se résume pas qu’à un film de loup- garou. Il y a plein de films différents à l’intérieur de ce film.

Comment les deux frères se répartissent- ils le travail sur le plateau ?

C’est un peu le bordel ! (rires) Il n’y a pas de répartition des tâches entre eux qui communiquent l’un et l’autre avec les techniciens et les comédiens. Mais s’ils ne parlent pas toujours d’une même voix, ils sont hyper réactifs et retombent toujours très vite sur leurs pieds car ils ont en commun l’essentiel : des inspirations et un univers communs. Ce socle leur permet de résister à toutes les tempêtes

Teddy : l'emblème d’un renouveau du cinéma de genre français [critique]

Giovanni Aloi vous a aussi proposé directement La Troisième guerre, où vous campez un jeune militaire de l’Opération Sentinelle déambulant dans les rues de Paris ?

Oui et en plus en m’annonçant que Leïla Bekhti et Karim Leklou seraient aussi de la partie. J’ai donc lui sans attendre son scénario en m’attendant n’être qu’un second rôle. Et là j’ai découvert que nous avons trois rôles équivalents. L’idée de jouer avec eux deux sur de longues séquences a évidemment encore plus renforcé mon envie de faire ce film.

On croise ces militaires tous les jours et pourtant jamais le cinéma ne s’était emparé de leur quotidien…

C’est passionnant de rendre visibles des gens qu’on regarde si peu alors qu’ils sont là pour nous protéger.

Vous en avez rencontré pour préparer votre rôle ?

Oui et l’un des membres de cette mission Sentinelle travaillait comme stagiaire régie sur le plateau et s’est montré toujours disponible pour répondre à nos questions. Ces militaires nous ont appris les éléments techniques indispensables aux rôles : la manière de porter son Famas à l’épaule et de se déplacer avec 12 kilos sur soi tous les jours, un certain phrasé... Après, les scénaristes de Troisième guerre ont construit une fiction. Une fiction ultra- documentée mais une fiction. Et comme dans tout film, mon travail de comédien a consisté à comprendre puis à apprivoiser mon personnage, très fragile psychologiquement, qui a besoin de se créer des buts et une identité. Et ce travail d’incarnation, je le fais seul sans avoir à dialoguer avec des « vrais » militaires car le comportement de mon personnage ne correspond a priori pas à ceux de mes interlocuteurs

Et c’est encore un rôle qui passe par un gros travail physique…

Oui, il fallait être affûté physiquement, qu’on puisse croire à ce personnage au premier regard. Dans le même ordre d’idée, on a aussi répété avec Giovanni la scène de fin, comme une chorégraphie. Il s’agit d’ailleurs des seules répétitions que nous avons faites. Car avec Leïla et Karim, on est des acteurs instinctifs qui nous nourrissons avant tout de la fraîcheur du plateau. Et Giovanni a su s’appuyer là- dessus. Il nous laisse beaucoup proposer avant de réajuster. A la différence de Zoran et Ludo qui veulent plus de précision d’entrée. Lui nous laisse une ou deux prises selon notre ressenti. Il dirige par touches

Comment définiriez- vous votre rapport au jeu ?

J’ai peu de recul sur moi. J’ai su que j’étais un acteur instinctif parce qu’on me l’a dit après La Prière. Et quand je vois les acteurs que j’aime, je sens une familiarité avec cet adjectif- là. Depuis tout petit, j’ai un petit carnet qui est devenu un grand cahier où je note ce qu’est pour moi un acteur. Ma formation s’est donc appuyée sur l’analyse des autres puis sur des échanges avec les grands comédiens avec qui j’ai eu la chance de tourner. Guillaume Canet, Vincent Lindon, Leïla Bekhti… Je ne leur demande pas des conseils à proprement parler mais j’aime les entendre parler de leur manière de vivre ce métier. Je note leurs réflexions dans mon carnet et je relis régulièrement pour ne pas oublier. C’est très précieux pour moi

En quelques mois, on vous a donc vu dans Teddy, en rappeur dans Les Méchants et donc dans La Troisième guerre. Vous êtes donc très présent à l’écran sans pour autant jamais donner l’impression de vous répéter. C’est facile pour vous de choisir vos rôles ?

C’est un luxe. Mais avant même La Prière, je peux dire que je me le suis toujours offert. Je refusais des castings, alors que je n’avais pas encore mis les pieds sur un plateau ! Dès le départ, j’ai voulu avoir l’ambition et l’exigence d’une carrière qui pourrait se profiler plus tard. Une ligne de conduite précise et exigeante. Mais il n’y aucun film que je ne veux pas faire a priori. Je suis ouvert à tout, en devenant plus en plus exigeant. Car je vis ce que j’ai toujours rêvé et voulu… et je ne veux pas que ça s’arrête !

Qu’est ce qui a le plus changé pour vous depuis vos débuts ?

Le crédit qu’on me donne. On me demande plus mon avis quand on me dirige. Je suis plus écouté. Je ne suis pas très exubérant, je ne parle pas à tort et à travers pour autant. J’ai aussi de plus en plus le trac car je sais que je vais être plus regardé qu’avant. Désormais, en ayant la chance de tenir de plus en plus de premiers rôles, j’ai plus de responsabilité. Il s’agit de ne pas se rater pour ne pas envoyer le film dans le mur

Vous lisez les critiques ?

Oui car c’est intéressant de voir comment son travail est perçu. Parfois je trouve ça injustifié et je prends du recul. Mais je touche du bois, j’en ai eu assez peu de mauvaises. Je regarde aussi mes films dans cette idée- là. Ca me met toujours beaucoup de pression et je crois vraiment que je suis le premier critique de mon travail.