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Le film repasse ce soir sur TF1. Rencontre avec le cinéaste derrière ce reboot.

MAJ du 21/08/2022 : Alors que TF1 diffuse pour la première fois La Momie, ce soir à 21 h 05, retour sur notre entretien de 2016 avec le réalisateur Alex Kurtzman. À l'époque, Universal avait encore en tête de faire un "Dark Universe"...

Article du 7/12/2016 : Homme de l’ombre qu’Hollywood s’arrache pour le petit et le grand écran depuis près de 20 ans pour ses talents de scénariste et de producteur (Star Trek, Transformers, Alias, Fringe, Insaisissables…), Alex Kurtzman a finalement sauté le pas en 2012 en réalisant People Like Us, petit drame indé avec Chris Pine et Elizabeth Banks. Depuis, Kurtzman était retourné vaquer à ses occupations premières. Jusqu’à ce qu’Universal, après plusieurs années de quête infructueuse d’un réalisateur pour La Momie, lui demande de faire son retour derrière la caméra. Trajectoire logique pour ce mordu de films de monstres Universal à l’ancienne, qui les partage avec son " fils depuis qu’il a quatre ans. J’imagine que ça fait de moi un mauvais père", se marre le touche-à-tout. "Ils sont profondément ancrés dans notre inconscient collectif. Quand le studio vous dit : ‘c’est notre héritage, il faut faire les choses bien’, qu’est-ce que vous voulez demander de plus ?"

Coup de chance, Universal réussit à assembler un casting de luxe pour ce film monstre : Tom Cruise, Russell Crowe et Sofia Boutella, qui incarne la terrifiante momie. "Pour moi, il n’y avait personne d’autre que Sofia pour jouer le rôle", jure-t-il. "Je l’ai vue dans Kingsman, elle n’avait pas une ligne de dialogue dans le film et pourtant j’ai vu toute sa performance se dérouler dans ses yeux. Je savais que la momie allait être un personnage taiseux, mais que quand elle parlerait cela aurait beaucoup d’importance. Il allait falloir qu’elle communique énormément d’émotion juste avec ses yeux et ses expressions". 

Rencontre avec un réalisateur à surveiller de près.

 


 

Le dernier film La Momie a seulement huit ans. Avez-vous peur que le public soit difficile à convaincre avec cette nouvelle version ?
Alex Kurtzman
: Complètement. J’imagine que les gens vont se dire : ‘Oh, encore un film sur la momie ?’ Mais j’espère que le trailer va leur faire comprendre que ce n’est pas le cas, qu’on vise autre chose, que c’est différent ! Quand on fait un film de monstre, il y a des passages obligés. Si le public ne les retrouve pas, il va se sentir floué. Mais il faut aussi lui donner des choses qu’il n’attend pas du tout. L’omniprésence des reboots et des remakes à Hollywood vous oblige à proposer quelque chose de nouveau. Et on a très rarement des ressources aussi conséquentes, des stars d’un tel calibre et l’opportunité de tourner dans de vrais lieux et pas en studios. J’ai tendance à penser que si l’attente est faible autour du film, c’est une bonne chose. Parce que si on surprend les gens, ça va éveiller leur intérêt.

Le docteur Jekyll, joué par Russell Crowe, a l’air d’avoir une place capitale dans le film.
Oui. En fait son personnage est le miroir de celui de Tom Cruise. Tom joue Nick, un homme qui a… disons un dilemme moral à résoudre. L’arrivée de la momie oblige Nick à se demander quelle est sa part d’humanité. Il est à un carrefour : va-t-il se tourner vers le pire ou le meilleur de ce qu’il a en lui ? Et c’est une description qui correspond aussi très bien à Henry Jekyll, c’est ce qui lui donne toute sa place dans le film. Il est à la fois Jekyll et Hyde, il a un point de vue singulier sur le fait de porter un monstre en soi et de vivre avec. La momie existe dans un monde peuplé d’autres monstres. Leur existence remonte peut-être à bien avant l’arrivée des humains. Il y a une sorte d’histoire secrète des monstres et il est le gardien de ce savoir.

Le bagage scientifique du personnage était la clé pour donner au film une certaine forme de réalisme ?
J’aime les films de David Cronenberg, parce qu’il utilise des concepts effrayants auxquels il ajoute une grosse dose de science. Ça donne énormément de crédibilité au film. Évidemment, La Momie n’est pas aussi sombre La Mouche ou Faux-Semblants, mais la science combinée à un monstre, ça me semblait être un point de vue différent, intéressant. Pour les Égyptiens, la magie faisait partie du quotidien, ils y croyaient dur comme fer. Jekyll approche la magie avec la même rigueur que la science.

 


 

Comment fait-on pour convaincre Tom Cruise de jouer dans son film ?
J’aimerais bien vous dire que c’est grâce à moi, mais je vous mentirais (rires). J’ai travaillé avec Tom sur Mission : Impossible 3, on s’est très bien entendu. Le studio le voulait pour La Momie et si j’ai d’abord pensé qu’il n’accepterait jamais, je le connais assez pour savoir qu’il est fan de cinéma et de son histoire. Il n’avait jamais fait de film de monstre, à part peut-être Entretien avec un vampire. Mais ce n’était pas un film de monstre Universal. J’ai senti qu’il pouvait prendre ce projet comme un challenge : j’avais vu juste. Je crois que Tom a dit oui parce qu’il aime profondément le genre. Par contre il ne voulait aucun compromis, il fallait tout donner. Aussi bien dans le script que dans la production.

L’idée d’Universal est mettre en place un univers partagé où évolueront les différents monstres du studio, jusqu’à ce qu’ils se rencontrent. Difficile de ne pas penser à la méthode Marvel Studios.
J’adore les films Marvel, mais notre ton est totalement différent. Leur univers est une sorte de monde parallèle, les super-héros s’y baladent et c’est le quotidien des gens. Ce qu’ils ont parfaitement compris, c’est qu’il faut poser les bases avec de bons films uniquement centrés sur un personnage. Ils l’ont fait avec Iron Man, Thor, Captain America… Une fois que le public vous fait confiance, vous pouvez construire un univers. Cela aurait été une grosse erreur de se dire que comme tout le monde connaît nos monstres, on pouvait directement les rassembler dans un film. 

Ça aide de très bien connaître les rouages des séries pour construire un univers partagé au cinéma ?
Les séries vous apprennent à lancer une histoire rapidement, à garder l’intérêt des gens sur le long terme et surtout à résoudre les problèmes TRÈS vite. Car vous n’avez pas le choix : pas le temps de discuter trois jours si votre lieu de tournage n’est plus disponible, il faut gérer ça de suite. Ça fait la différence au quotidien sur un film comme La Momie

 

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Vous avez également beaucoup d’expérience en tant que scénariste et producteur, au cinéma comme à la télévision.
Ce sont des métiers très différents. Quand on est scénariste, on est au bien au chaud chez soi et une fois qu’on a envoyé ses pages, le job est pratiquement terminé. Je ne voulais pas du tout toucher au scénario pour La Momie. Parce qu’en tant que réalisateur, vos questionnements sont autres. Vous devez vous demander ce que chaque plan vous fait ressentir. Qu’est-ce que ce plan me dit ? S’il ne vous fait rien ressentir ou qu’il ne vous dit rien, il est juste là pour boucher les trous. 

Je suis content de vous entendre dire ça.
Mais c’est vrai. C’est pourquoi Tom et moi voulions travailler avec le moins de caméras possible. Pour tourner de l’action, il faut beaucoup de caméras, pas le choix. Ça coûte beaucoup trop cher pour vous laisser la liberté de vous planter. Mais pour des scènes de dialogues ou centrées sur les personnages, si vous n’avez qu’une caméra, elle doit être là pour une bonne raison. Il faut que le plan raconte une histoire. Si je fais la même scène avec onze caméras, je vais forcément la monter très cut. Mais si je peux chorégraphier les choses, je donne aux acteurs une raison de bouger dans l’espace, et une raison à la caméra de les suivre. Je peux offrir une expérience plus authentique, plus immersive, parce que je ne suis pas en train de la fabriquer artificiellement. Notre défi était de faire le plus possible de plans sans coupe. Les meilleurs plans de l’histoire du cinéma, ceux qui vous marquent le plus, qui font du cinéma une expérience à part, sont des plan-séquences.

Vous me faites penser que j’ai revu Les Fils de l’homme dernièrement et que ça m’a encore une fois soufflé.
C’est amusant que vous parliez de ce film, je l’ai regardé plusieurs fois en faisant La Momie. Ce que fait Alfonso Cuarón est si dur… Bien sûr, il y a des coupes invisibles par-ci, par-là, mais il vous immerge dans une expérience très réaliste, il vous fait ressentir l’instant. C’est ce que je vise. À un moment, sur le tournage de La Momie, il y avait un plan théoriquement très simple, avec quelques personnages qui entrent dans un avion-cargo. Pour réussir le plan en une fois, il fallait que 75 choses se déroulent parfaitement, juste dans le timing prévu. Quand vous regardez le film, vous n’en avez bien entendu pas la moindre idée. Mais pour moi, c’est toute la beauté de la réalisation.

Et j’imagine que vous vous servez du plan-séquence pour rendre l’angoisse plus palpable. 
Exactement. L’utilisation du plan-séquence s’applique parfaitement à ça. Plus on passe de temps avec un personnage et qu’on ne sait pas ce qui va se passer, plus on a peur. Ce qu’a fait Kubrick avec Shining en est le parfait exemple : on suit les personnages pendant très longtemps, ils voient quelque chose qui leur fait peur, ça se lit sur leurs visages, mais vous ne savez pas ce qui est en face d’eux. Ça fait monter la tension d’une façon incroyable. Et quand enfin vous voyez les soeurs jumelles dans le couloir, c’est encore plus terrifiant parce que vous avez vécu la peur de Danny avec lui. Si je faisais un film de monstre sans faire peur aux gens, ce serait un échec personnel !

Interview François Léger

La Momie, au cinéma le 7 juin 2017