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Trey Edward Shults signe avec It comes at night, un film d’horreur indé qui décoiffe. Rencontre.

Son premier film, Krisha (inédit en France), avait discrètement braqué les projecteurs sur Trey Edward Shults, qui transforme l’essai avec It comes at night, portrait d’une famille américaine retranchée dans une maison perdue au milieu des bois en raison d’une menace extérieure inquiétante. Quand un homme visiblement aux abois leur demande de l’aide, les membres de la famille acceptent du bout des lèvres. Et si cet inconnu les mettait en danger ? Drame familial, coming-of-age movie (le fils vit l’éveil de sa libido et expérimente la violence), thriller surnaturel, It comes at night brasse plein d’éléments disparates qui en font une œuvre fascinante à regarder et à décrypter.

Votre précédent film, Krisha, était un drame familial avec des éléments proches de la terreur. Aviez-vous envie de d’aller encore plus loin avec It comes at night, de pousser tous les curseurs à fond ?
Dans les deux cas, le processus d’écriture a été le même : partir de choses intimes, puis trouver la meilleure façon de les mettre en scène. Pour Krisha, on a parlé de « drame horrifique » : je n’y avais pas pensé comme ça mais cette interprétation me plaît. Il est sûr que la grammaire du cinéma d’horreur m’inspire. Pour It comes at night, je me suis rendu compte que ce que je voulais faire passer comme émotions marchait mieux dans le cadre d’un thriller fantastique. Mais je ne le considère pas comme un film d’horreur.

Comment alors ?
C’est un mix d’horreur, de drame, de thriller… Je ne sais pas ce que c’est. Je pense que ce n’est pas très conventionnel. 

Ce qui m’intéresse dans votre film c’est que la chose la plus naturelle du monde -protéger sa famille- peut se transformer en quelque chose d’arbitraire et de brutal.
L’origine de cette histoire est la relation que j’ai eue avec mon beau-père. Sa vision du monde était réductrice : Il m’a toujours dit qu’on ne pouvait faire confiance qu’à la famille. Le film montre à quel point il y a des lignes à ne pas franchir quand on est dans cet état d’esprit.

Le film est très ambigu parce que le public n’a de certitudes sur rien. Il est mis dans la position du père qui applique toujours le principe de sécurité. C’est un film à la Charles Bronson, en fait !
Certainement ! Vous avez mis le point sur un truc : le film est construit uniquement selon le point de vue des personnages. Pour moi, c’est la façon la plus juste de raconter ce type d’histoires.

C’est à l’opposé de ce que faisait Hitchcock.
J’adore Hitchcock, peut-être qu’un jour je ferai un film à sa façon... It comes at night joue sur la peur de l’autre. Pour explorer ça, il fallait être dans l’inconnu avec les personnages. Par ailleurs, j’aime quand les films ont des fins ouvertes que chacun peut interpréter et revisiter comme il veut.

Qu’auriez-vous fait à la place du père ?
Je pense qu’on ne peut pas se prononcer sans y être vraiment, right ? Personnellement, je m’identifie plus à Travis, son fils.

J’imagine que vous avez écrit le scénario avant l’élection de Trump. Pourtant, le film reflète l’Amérique d’aujourd’hui, sa paranoïa, sa peur de l’autre, son isolationisme…. Y avait-il des signes avant-coureurs de cet état d’esprit ?
C’est intéressant. Quand j’écrivais, je n’avais pas conscience de ces questions politiques. Ce qui m’a influencé, c’est plutôt l’histoire, les génocides, les cycles de violence qui se répètent…

Vous n’expliquez pas ce qui se passe au dehors, l’ampleur de la menace. Est-ce pour renforcer l’atmosphère claustrophobique du film ?
J’aime ce genre de storytelling : débarquer dans une histoire sans connaître les tenants et les aboutissants. J’avais une back story dans ma tête sur les raisons de la présence de ces personnages dans cette maison, mais je ne l’ai jamais écrite ni filmée. C’était pour moi.

Vous créez la peur par des mouvements de caméra, le travail sur le son et la direction artistique. Combien de temps cela prend-il à mettre en place ?
J’avais des visions très précises de certaines séquences, pour d’autres, cela s’est fait au feeling. Tout découle d’une étroite collaboration avec mon chef op’, sachant que nous avions 66 jours de tournage. Le plus important dans ce type de film, c’est l’équipe technique. Elle se doit d’être soudée et d’aller dans la même direction. La postproduction est également cruciale. Nous avons passé beaucoup de temps sur le montage et le mixage.

La mystérieuse porte rouge vif du film est-elle une référence à David Lynch ?
Pas consciente. Mais je prends !

Jeff Nichols est-il une autre influence ? Vous avez notamment donné à Joel Edgerton le rôle d’un homme marié à une femme noire comme dans Loving.
J’adore le travail de Jeff, j’ai même travaillé pour lui en tant qu’assistant camera sur Midnight special. Un jour je l’ai ramené chez lui en voiture et il m’a interrogé sur ce que je voulais faire, je lui ai dit que je voulais devenir réalisateur, que j’avais déjà tourné un court métrage, etc. Il m’a donné son email, a regardé mon court, m’a fait un retour. C’est ce genre de personne, très altruiste. Il m’a aidé à caster Joel avec qui je voulais travailler depuis toujours. Jeff lui a dit de me prendre très au sérieux ! (rires) Une semaine plus tard, Joel me donnait son accord.

La famille sera-t-elle encore une fois au cœur de votre prochain film ?
Probablement. Je suis en train d’écrire quelque chose autour de ça. C’est une obsession. 

Etes-vous père de famille ?
Non, mais j’ai un chat. C’est comme mon fils ! (rires)

It comes at night : rendez-vous avec la peur