Première
par Guillaume Bonnet
Il manque donc le "Deus" au titre de ce film, justement parce que, dans cette histoire, il n’est pas si aisé que cela de déterminer qui est le "Dieu issu de la machine", celui qui tire les ficelles et manipule le destin. On pense d’abord au Steve Jobs d’opérette incarné par Oscar Isaac, reclus dans une demeure qui hésite entre les créations architecturales de Frank Lloyd Wright, le bunker antiatomique et la base secrète de savant fou. Nathan aime la bière, les abdos et la compagnie de ses "bons potes", ces salariés qui gagnent le droit de lui rendre visite. Oui ça pourrait être lui ce nouveau Dieu, créateur de robots féminins sidérants de beauté qui s’éveillent à la conscience. Mais ce pourrait aussi être le robot lui-même, déesse technologique appelée à dépasser le maître parce que capable de se libérer de son joug. À moins que ce ne soit le petit employé du mois, qui ne paie pas de mine mais ne veut pas non plus se laisser éternellement sadiser par son patron pervers narcissique… Outre les femmes robots nues (une très belle idée de cinéma), la force d’"Ex_Machina" tient à ce simple constat : à l’heure des "transhumanistes" de la Silicon Valley, les génies fous rêvant de devenir Dieu ne relèvent plus tout à fait de la science-fiction, ce qui permet à Alex Garland de se réapproprier un thème vieux comme Isaac Asimov (la machine qui s’affranchit de l’homme) sans devoir se confronter au problème de l’originalité. Le reste est une question de qualité d’écriture, de subtilité de ton, d’ingéniosité sur le plan de la direction artistique (sensationnelle) et de capacité des acteurs à se montrer divertissants. Que la meilleure séquence de l’un des meilleurs films de SF contemporains soit celle où Oscar Isaac remue les fesses face caméra sur un énorme beat funk en dit long sur la singularité et la pertinence de ce projet hors normes.