Universal

Le film culte de Steven Spielberg sera diffusé demain soir sur Arte. Mais connaissez-vous ses suites ?

Souvent mal aimées, les trois suites qu'a connu Les dents de la mer ont aussi leur propre histoire et leur propre légende, parfois aussi mouvementée que l'original.

Les notes inquiétantes de John Williams, le plan en vue subjective d'un requin, l'affiche signée Roger Kastel... Les dents de la mer a laissé une empreinte colossale sur le cinéma et la pop culture depuis sa sortie en 1975. Mais plus concrètement, le film de Steven Spielberg a également laissé derrière lui trois suites, dont la dernière, Les dents de la mer 4, est sortie en salles en 1987, sans qu'aucune ne laisse la trace qu'a laissé l'original dans la mémoire collective.


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Tout a déjà été dit sur Les dents de la mer, particulièrement l'année dernière, au cours de laquelle le film qui inventa le blockbuster hollywoodien tel qu'on le connaît aujourd'hui a fêté son quarantième anniversaire. Ses suites, beaucoup plus mal-aimées (souvent à raison) sont quant à elles nettement moins connues, mais permettent aussi de dresser un autre portrait : celui du premier blockbuster moderne qui apprend à devenir une franchise.

Quand Spielberg pestait en direct contre les nominations aux Oscars 1976

Les dents de la mer 2 : le grand bazar

Inutile de revenir sur l'énorme succès des Dents de la mer, son pari réussi de faire de l'été la nouvelle saison des succès commerciaux, la révolution que le film amena dans le système de distribution des films aux États-Unis... Très tôt après le début de la Jaws-mania, Universal décide de lancer la production d'une suite, confortée par un effet de mode qui commence à s'installer suite au succès du Parrain II.

Très tôt, Steven Spielberg fait savoir son hostilité au projet et décide de ne pas rempiler, ni même d'associer son nom au projet. "J'en avais marre, j'en avais marre de l'océan", se souvenait-il dans une interview accordée à Entertainment Weekly en 2011."J'aurais fait la suite si je n'avais pas passé autant de mauvais moments en mer sur le premier. J'aurais sauté sur l'occasion de m'approprier cette suite parce que je savais que dès que j'allais quitter le projet, j'allais tourner le dos à tout un pan de ma vie que j'ai aidé à créer. Mais ce ne fut pas une décision difficile à prendre".

Pour le remplacer, Universal fait d'abord appel à John D. Hancock, un cinéaste bien loin de l'esprit des Dents de la mer, venu du théâtre et qui n'avait jamais pris part à un tournage hollywoodien. Mais le cinéaste se met rapidement à dos le scénariste de l'époque, Howard Sackler (qui avait été impliqué sur l'écriture du premier volet sans avoir été crédité), quand il choisit de faire appel à son épouse, Dorothy Tristan, pour réécrire le film. L'atmosphère résolument plus sombre de leur version faisait d'Amity une ville fantôme, désertée après les événements du premier épisode et endettée auprès de la mafia (une intrigue empruntée au roman original de Peter Benchley), qui se voyait sauvée par l'arrivée miraculeuse d'un entrepreneur qui souhaitait reconstruire la ville.

Dès les premiers coups de clap, l'ambiance sur le tournage est délétère. Après s'être brouillé avec Sackler, Hancock se retrouve au cœur d'une guerre d'influence entre le producteur Richard Zanuck et le patron d'Universal, Sidney Sheinberg, qui souhaiterait qu'Ellen Brody (jouée par Lorraine Grey, qui n'est autre que l'épouse de Sheinberg) ait un rôle plus important dans le film. Après des semaines de tensions, Hancock est viré en juin 1977 et la production du film mise en pause.

Appelé à la rescousse, Spielberg apporte son aide pour rebâtir le scénario, mais son engagement sur son nouveau projet, Rencontres du troisième type, le laisse tout de même éloigné du tourbillon Les dents de la mer 2. Un temps envisagée par un tandem formé par Joe Alves (qui réalisera Les dents de la mer 3) et Verna Fields (la monteuse du premier épisode, entre temps devenue vice-présidente d'Universal!), la réalisation échoit finalement à Jeannot Swarc, le plus français des réalisateurs hollywoodiens, qui se fait connaître à l'époque par son petit film de SF Les insectes de feu et son travail à la télévision sur l'anthologie Night Gallery de Rod Serling, Kojak et Columbo.

Avec l'aide du scénariste Carl Goettlib, Swarc va alléger le film et le pousser davantage vers le divertissement pur, insistant pour intégrer un requin plus menaçant et plus dangereux pour contrebalancer la disparition de l'effet de surprise du premier épisode. Malgré un tournage tendu, particulièrement avec un Roy Scheider ramené quasiment de force sur le plateau à coups de généreuses augmentations de cachet, le tournage du film se termine en décembre 1977. Suite à toutes ces péripéties et autres retards, le budget du film explosa, passant la barre des vingt (certaines sources avancent même trente) millions de dollars, en faisant le film le plus cher qu'Universal avait jamais produit à l'époque.

Il n'empêche que porté par une nouvelle campagne de promotion intense (certaines photos promotionnelles sont réalisées par la fille du président de l'époque, Gerald Ford), calquée sur le modèle du premier Dents de la mer, le film réussit à faire coup double au box-office. Avec 77 millions de dollars de recettes aux États-Unis et 200 millions dans le monde, Les dents de la mer 2 devint la plus grosse recette de l'histoire pour une suite de film. Un record qui, ironie du sort, sera battu deux ans plus tard par L'empire contre-attaque, tout comme le premier Star Wars avait à l'époque détrôné le premier Jaws.

Les dents de la mer 3 : la remise à zéro

L'histoire des Dents de la mer 3 commence quant à elle par un projet sur le papier complètement fou, imaginé par David Brown et Richard Zanuck. Sous la houlette du producteur Matty Simmons, Brown et Zanuck envisagent leur Jaws 3 tout d'abord comme une parodie du premier, affilié à la très populaire franchise de l'époque, le National Lampoon. Un projet nomme National Lampoon Jaws 3, People Nothing, sur lequel revenait dans le détail Simmons dans une interview en 2003.

"Le studio avait déjà dépensé 2,5 millions de dollars dans la préproduction. On avait un super script co-écrit par John Hughes et Todd Carroll sur une idée que j'avais eu. Richard Dreyfuss aurait dû jouer dedans avec une toute jeune Bo Derek. Ç'aurait été fantastique. Mais Spielberg est allé voir [Sid] Sheinberg pour lui dire : 'Si vous faîtes ce film, je me barre'. En fait, on se moquait du réalisateur dans le film. Le film devait être sur un réalisateur qui tourne Jaws 3, et qui se faisait attaquer sans cesse par le requin. Dick Zanuck et David Brown devaient être producteurs exécutifs et je devais le produire. Eux et moi avons quitté Universal après cette histoire".

Brown et Zanuck partis, le projet est récupéré par Alan Landsburg, un producteur venu de la télévision et davantage spécialisé dans le documentaire. Landsburg décide rapidement de changer drastiquement le paysage du troisième volet de la franchise. Beaucoup plus intéressé par les parcs aquatiques (il s'inspire notamment des attractions aquatiques du parc Marineland en Floride pour justifier l'emploi de la 3D), Les dents de la mer 3 sera tourné dans le parc d'attractions SeaWorld avec un casting intégralement renouvelé (le film met en scène Mike et Sean, les deux fils de Martin Brody, à l'âge adulte), porté par Dennis Quaid et Simon "Manimal" MacCorkindale.

Joe Alves, réalisateur de seconde équipe sur le précédent film, récupère cette fois bel et bien les commandes des Dents de la mer 3, qui sera son seul et unique film en tant que réalisateur. Au scénario, Landsburg s'attache les services d'une recrue de choix : Richard Matheson, l'auteur de Je suis une légende, qui avait signé et adapté Duel pour Spielberg en 1971. Mais la cohabitation est plus que houleuse : Matheson ne veut pas des deux films Brody dans son intrigue et se voit forcé d'écrire un rôle pour le très populaire Mickey Rooney... qui n'est finalement pas disponible pour le tournage. Appelé à la rescousse, Carl Goettlib se chargera de finaliser une nouvelle fois le scénario.

Les dents de la mer 3 sort en salles à l'été 1983, en pleine vague de sorties de blockbusters 3D (Amityville 3D, Vendredi 13 III, Spacehunter...) et passe donc à son tour par la moulinette des lunettes à filtres polarisants. Plus proche du spin-off que de la véritable suite, Les dents de la mer 3 connaîtra un succès mesuré en salles, plus de deux fois moindre par rapport au précédent (88 millions de dollars), plombé par un accueil critique très mauvais. Un quasi échec qui laissa notamment de mauvais souvenirs à Matheson, qui déclara en 2006 : "S'ils avaient choisi de rester fidèles à mon script et de choisir un cinéaste qui sait réaliser, ç'aurait pu être un excellent film. Les dents de la mer 3 est le seul film réalisé par Joe Alves. Ce type est un excellent chef décorateur, mais pas un bon cinéaste. Et cette 3D rendait le film tout sombre, ça n'avait aucune effet. Tout ça n'était qu'une perte de temps".

Les dents de la mer 4 : le retour (raté) aux sources

Suite à l'échec des Dents de la mer 3, Sidney Sheinberg décide de reprendre les choses en main personnellement pour remettre la franchise sur les rails. Pour ce faire, il fait appel au réalisateur Joseph Sargent, figure très appréciée de la télévision, notamment pour avoir réalisé en 1973 le téléfilm qui inspira la série Kojak. Un choix adoubé par Sheinberg, mais aussi par Spielberg : ce dernier avait en effet cité le téléfilm en question comme l'ayant motivé à choisir Lorraine Gary (qui était toujours à l'époque l'épouse de Sheinberg) pour le rôle d'Ellen Brody. Ce sera le dernier rôle de l'actrice au cinéma, elle qui avait déjà pris sa retraite après l'échec de 1941 huit ans avant la sortie des Dents de la mer 3 en 1987.

Sargent se voit offrir le champ libre puisque Sidney Sheinberg le nomme réalisateur et producteur du film, avec la consigne de signer un film plus humain et plus mystique, tout en faisant complètement abstraction des événements survenus dans le troisième épisode, le tout avec un casting reboosté (on y retrouve un jeune Mario van Peebles, et surtout Michael Caine dans le rôle d'un pilote d'avion).

Les dents de la mer 4 sera en réalité victime de l'empressement de Sid Sheinberg, qui raccourcit les deadlines de tournage à un rythme insoutenable pour l'équipe de tournage. De deux ans en moyennes pour les trois volets précédents, la production du film passe à seulement neuf mois, empêchant les techniciens de finaliser le rendu des requins, qui tombent en panne quasiment tours les jours sur le plateau comme le confiait l'acteur Lance Guest dans l'ouvrage Just When You Though It Was Safe: A Jaws Companion : "Je me souviens avoir dû rentrer chez moi plusieurs jours parce que les requins ne fonctionnaient pas. On a tourné toutes les scènes avec des acteurs en trois semaines. Toute la partie dialoguée a été tournée très vite, en moins d'un mois".

Mais la principale conséquence de cette précipitation se retrouve dans l'écriture du scénario, qui se retrouve paralysée. L'exemple le plus célèbre reste la fin du film, changée à la toute dernière minute après des retours de projections-tests catastrophiques. Un fin qui inspirera au moment de sa sortie une saillie cinglante du célèbre critique Roger Ebert, qui écrivit à ce sujet : "Je ne peux pas croire que le réalisateur Joseph Sargeant ait pu filmer cette scène majeure de manière si incompétente qu'il n'y ait même pas un plan suffisamment clair pour que l'on comprenne ce qui s'est passé".

À sa sortie, Les dents de la mer 4 est un flop critique calamiteux, et fait encore aujourd'hui le bonheur des listes des pires films de tous les temps. Nommé sept fois aux Razzie Awards en 1987, le film ne rapporta que cinquante millions de dollars de recettes au box-office, enterrant la franchise pour de bon. Il inspira tout juste un bon mot tout british à Michael Caine dans son autobiographie publiée au début des années 90 : "Ce film restera dans ma mémoire comme l'époque où j'ai gagné un Oscar [celui du meilleur second rôle pour Hannah et ses sœurs de Woody Allen], où je me suis payé une maison et où j'ai passé de superbes vacances. Pas si mal pour un flop".

Si contrairement à ce que dépeint Retour vers le Futur 2, la saga n'est pas allée jusqu'à Jaws 19, il existe un Les dents de la mer 5, qui sous son nom trompeur n'est absolument pas lié aux précédents opus. Obscur téléfilm de 1995, il est l'œuvre d'un certain William Snyder, qui n'est en réalité qu'un alias de Bruno Mattei, figure du cinéma Z d'exploitation et spécialiste du copiage de films à succès (on lui doit notamment un faux Terminator II). Réalisé à partir de plans piqués sans autorisation à différents épisodes de la saga et à d'autres films de sharksploitation italiens (le film pique même le thème de Star Wars !), il fut finalement renommé Cruel Jaws après de multiples menaces d'attaques en justice.

Spielberg : bande-annonce du documentaire produit par HBO