Elle s'en va, Catherine Deneuve, 2013
Wild Bunch

Arte diffusera ce soir Elle s'en va, d'Emmanuelle Bercot. A sa sortie, Catherine Deneuve avait accordé un long entretien à Première.

Ce mercredi soir, sur Arte, Catherine Deneuve, pour qui plus rien ne va, fait une fugue dans Elle s'en va. Un très beau film réalisé par Emmanuelle Bercot qui a séduit les critiques et les spectateurs en 2013. Un rôle dans lequel on ne s'attendait pas à voir Catherine Deneuve, mais, ne lui dites pas, elle n'en croit pas un mot. En témoigne cette interview exceptionnelle et pas vraiment conventionnelle. Quand l'actrice dirige l'interview et pose les questions, voilà ce que cela donne...

Première : Catherine Deneuve, êtes-vous toujours lassée des interviews ?
Catherine Deneuve :
Ah oui, complètement ! C’est un exercice très ingrat.

Pourquoi ?
C’est toujours pareil : « Alors, racontez-moi, c’était comment de tourner avec Buñuel ? » On vous lance sur un truc qui ne vous évoque pas grand-chose et il faut rebondir dessus. Et puis je trouve qu’on parle peu de cinéma en général, donc oui, ça me fatigue.

J’imagine qu’aujourd’hui, vous pouvez refuser ce genre d’exercice. Pourquoi continuer ?
Sur les films d’auteur comme Elle s’en va, il faut quand même assurer le service après-vente en apportant un soutien médiatique. C’est pour ça que je suis devant vous aujourd’hui.

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OK. Alors on va éviter les lieux communs comme : « Deneuve se met en danger » ou : « Elle casse son image. »

Ah oui, ce serait bien ! Surtout que je ne vois pas où est la mise en danger dans le cas de Elle s’en va. C’est un film d’auteur, mais j’en ai fait toute ma vie des films d’auteur.

Ce qui est amusant dans Elle s’en va, c’est qu’on vous voit faire des choses inhabituelles...
Comme ? Conduire une voiture ? Ça vous amuse de me voir conduire une voiture ? Vous avez l’impression que je casse mon image quand je fais ça ?

Je pensais plutôt à ces scènes où vous enquillez les mojitos en boîte, portez une perruque rose ou vous tapez un toy boy...
Bon, tout ça mis bout à bout, c’est à peine trois minutes du film.

Sauf que là, on comprend que le film parle de vous, de votre statut, qu’il cherche à rediscuter tout ça. Il va même jusqu’à utiliser des photos de vous à l’époque des Parapluies...
C’est juste pour ramener le personnage à son passé.

J’ai l’impression que ça vous ennuie qu’on puisse vous regarder comme une figure mythologique, que vous refusez obstinément ce statut de « grande dame du cinéma français »...
Ça, c’est surtout parce que le mot « dame » me fait horreur. C’est un mot connoté qui a quelque chose de très conventionnel, une panoplie dans laquelle je ne me reconnais pas. Quand on vous appelle « dame », c’est affreux. C’est comme si on n’attendait plus rien de vous, comme si vous aviez déjà donné le meilleur de vous-même.

Pensez-vous être lucide quant au pouvoir de fascination que vous exercez sur les gens depuis toujours ?
Oui, mais c’est simplement lié à la notoriété.

J’ai l’impression que ça va bien au-delà de la simple notoriété et...
(Elle nous interrompt.) C’est simplement parce que j’ai joué dans de bons films qui, en plus, ont été pour certains des succès.(Une pause.) Je comprends que vous vouliez me faire réagir là-dessus, mais ça ne me parle pas du tout vos histoires. Bon... Je le ressens parfois. Comme quand je vais à l’exposition de la Cinémathèque sur Jacques Demy et que, dans les yeux des gens, je vois que je ne suis pas « simplement » l’actrice qui a joué dans quelques Demy. Mais c’est difficile de vous en parler, ce n’est pas très rationnel pour moi. Comme c’est une sensation qui ne fait pas partie de mon quotidien, je ne m’attarde pas dessus.

Des gens comme Delon n’ont, eux, aucun problème à « s’attarder dessus »...
Alors lui, c’est l’excès inverse. Il ne doute de rien. Je lisais récemment l’une de ses interviews, et c’était amusant de constater à quel point il cherche à exprimer quelque chose de définitif dans chacune de ses réponses. Il se croit détenteur de la vérité mais je trouve qu’au fond, ça trahit surtout un regard très désabusé sur le cinéma. Ça commence à faire longtemps qu’il ne travaille plus donc ça explique beaucoup de choses.

Cela dit, vous partagez un truc avec lui : la cohérence de votre filmo...
Vous la trouvez vraiment cohérente ? Dans quel sens ?

Elle semble guidée par le chic et le prestige, avec quelques exceptions comme le D’Artagnan de Peter Hyams (2001).
Ouh-là-là, ce film ! Mais ce n’est pas celui que je regrette le plus d’avoir fait.

Ce serait lequel ?
Mes stars et moi (Lætitia Colombani, 2008). Grosse erreur. Je ne le sentais déjà pas avant le tournage, et puis j’ai accepté. Mais ne m’entraînez pas sur ce terrain glissant, je n’aime pas critiquer publiquement les films ou les gens.

C’est assez vertigineux de se replonger dans votre carrière. On se rend compte qu’il y a des dizaines de films à réévaluer. Le diptyque de Truffaut, notamment. La Sirène du Mississippi (1969) a beaucoup mieux vieilli que Le Dernier Métro (1980).
Je crois que je ne les ai jamais revus. Il faut que vous m’expliquiez ça un peu mieux.

Le Dernier Métro, c’est quand même très empesé, incroyablement académique, alors que La Sirène... c’est...
Plus fou, plus lyrique, oui.La Sirène a été un four terrible au moment de sa sortie mais ça finira par devenir un classique de Truffaut. Plus que Le Dernier métro, qui a été un triomphe. C’est fort possible, oui. C’est la grande ironie des films maudits.

Vous en avez un bon paquet de cette espèce-là dans votre filmographie. Je pense en particulier à La Chamade (Alain Cavalier, 1968), qui est un film fabuleux et totalement oublié.
Oui, et je doute qu’il soit redécouvert parce que les fans de Cavalier n’aiment pas cette période-là, moins expérimentale, plus académique. Mais je suis d’accord avec vous, c’est un très beau film.

D’ailleurs, savez-vous ce que La Vie de château, Le Sauvage (Jean-Paul Rappeneau, 1966 et 1975) et La Chamade ont en commun ?
Hummm... Cavalier a scénarisé La Vie de château, a réalisé La Chamade, mais il n’a rien fait sur Le Sauvage. Mince, non, je ne vois pas.

Le chef opérateur : Pierre Lhomme.
Vous êtes sûr que c’était bien lui sur La Vie de château ?

Elle s'en va, Catherine Deneuve, 2013
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Certain. Personnellement, je trouve que vous n’avez jamais été aussi belle que dans ces trois films. C’est terrassant. Du coup, je me demandais si Pierre Lhomme n’a pas été celui qui vous a le mieux photographiée de toute votre carrière.
Possible... Pierre Lhomme, comme son nom l’indique, était quelqu’un qui aimait beaucoup les femmes. Et puis c’était aussi lié à l’époque. On prenait beaucoup plus de temps pour tourner, pour installer la lumière. Aujourd’hui, on court après le temps, on cherche moins à mettre en valeur le physique des actrices. Avant, c’était une priorité de bien filmer ses stars. Il fallait que ce soit beau à voir. De nos jours, c’est une expression qui n’a plus aucun sens sur un plateau.

À ce point ?
Oui. On ne parle même plus de beauté à propos des acteurs, le vocable a changé. On cherche des « gueules », des « visages émouvants », des « corps singuliers ». La beauté appartient au passé.

Cette idée que vous évoquez, c’est la thématique de deux de vos films, qui sont aussi vos seules incursions dans le cinéma fantastique : Les Âmes perdues (1976), de Dino Risi, et Les Prédateurs (1983), de Tony Scott. Dans ces films-là, la beauté appartient effectivement au passé.
Le Risi n’est pas complètement un film fantastique, même si je sais qu’il est très apprécié par les fans du genre. Les Prédateurs, en revanche, oui, à 100 %. L’immortalité, la beauté qui se fane, c’est un thème qui est inhérent aux films de vampires. J’adore les films de vampires, c’est un genre qui me parle énormément.

Pourquoi avoir aussi peu oeuvré dans le fantastique si le genre vous fascine ?
Mais vous êtes rigolo, vous. Vous pensez qu’on me l’a beaucoup proposé ? (Elle prend notre téléphone, qui sert aussi de dictaphone.) Mais, c’est Stallone que vous avez en fond d’écran ?

Oui.
Vous êtes fan de Stallone ?

Complètement.
Ça alors, c’est incroyable ! Vous êtes donc encore un enfant.

Ah bon, pourquoi ?
Stallone est typiquement le symbole du héros américain. Cette force. Cette puissance. Le genre d’homme qui s’impose uniquement grâce à ses poings et qui gagne toujours à la fin. C’est vraiment très enfantin comme vision du monde.

Sauf que Stallone perd presque toujours à la fin...
Ah oui, peut-être. À l’époque de Rocky et de Rambo, vous voulez dire ? Mais c’est devenu autre chose après, non ? (Elle continue de regarder notre téléphone.) Cela dit, il y a quelque chose d’assez émouvant dans son visage, même si c’est difficile d’imaginer sa véritable expression. Il a l’air comme paralysé. Je dis ça mais je l’aime beaucoup. Enfin, quand même pas au point de le mettre en fond d’écran sur mon téléphone. Mais pardon, je vous ai coupé. De quoi parlions-nous ?

De cinéma fantastique. Des Prédateurs. On n’a même pas évoqué Tony Scott.
Ah, Tony Scott... J’ai été effroyablement choquée par l’annonce de sa mort, qui s’est produite dans des circonstances d’une violence inouïe. Je garde le souvenir de quelqu’un d’une douceur et d’une sensibilité infinies. Tourner Les Prédateurs n’a pas été facile. Le film avait une esthétique très particulière, il fallait beaucoup attendre entre les prises, le budget était serré, c’était pénible, mais on a tous tenus grâce à la personnalité de Tony. Il savait fédérer les gens autour de lui.

Cinq ans avant de tourner avec lui, vous étiez dans Il était une fois la Légion (Dick Richards, 1978), produit par Jerry Bruckheimer, producteur et mentor de Tony Scott... 
Je n’avais jamais fait le rapprochement. Très mauvais souvenir de tournage, ça. Surtout à cause du réalisateur, qui nous a beaucoup roulés dans la farine. Je me rappelle peu de Bruckheimer, mais la production était démente, dans le mauvais sens du terme. C’était une grosse machine intimidante et complètement déshumanisée.

L’un des grands plaisirs du film est de vous voir en "love interest" de Terence Hill. À l’époque où il balançait des beignes avec son copain Bud Spencer.
Qu’est-ce qu’il était mignon. Mais ça ne m’a pas empêchée de me sentir très seule pendant ce tournage. Il y avait aussi cet acteur américain très désagréable. Mince, j’ai oublié son nom.

Gene Hackman ?
Oui ! Quel caractère de cochon. Grand acteur, mais toujours de mauvaise humeur. Bref, je me suis sentie très isolée pendant ce tournage.

C’est un sentiment que vous avez eu sur toutes vos expériences américaines ?
Pas du tout. Des films comme Folies d’avril (Stuart Rosenberg, 1969) où La Cité des dangers (Robert Aldrich, 1976) ont été faits par des petites structures installées au sein des studios, donc tout était plus humain. En plus, dans les deux cas, les acteurs (Jack Lemmon et Burt Reynolds) étaient producteurs. Ça donnait un côté familial aux tournages.

Vous, vous avez finalement très peu produit. À peine deux films...
Effectivement. Zig Zig (Laszlo Szabo, 1974) et Drôle d’endroit pour une rencontre (François Dupeyron, 1988). C’est le genre de responsabilité qui peut vous amener à être moins concentré sur votre travail d’acteur, il faut être très prudent. Et puis dès que vous commencez à produire, vous prenez moins de risques, ça m’ennuie.

Et la réalisation ?
Je me fais une idée extrêmement haute de ce métier. Donnez-moi une bonne équipe technique et je pourrai sûrement emballer un film, oui. Mais ce n’est pas ça réaliser, ce n’est pas illustrer un scénario.

Sauf que dans le cinéma français contemporain, chaque acteur qui fait un demi-succès passe à la mise en scène quelques mois plus tard.
Oui, c’est complètement aberrant. On fait comme si l’un découlait de l’autre alors que ça n’a aucun sens. Réaliser, c’est bien plus que savoir faire un champ-contrechamp il me semble, non ? Et là je les vois tous devenir cinéastes, les Lellouche, les Dujardin, etc. Est-ce que c’est là qu’ils sont le plus intéressants ? Je ne crois pas.

Merci beaucoup Catherine De...
(Elle nous coupe la parole.) Mais alors dites-moi, vous avez toujours vos cheveux relevés comme ça ? Parce que ça m’intrigue quand même beaucoup.

Ça dépend, parfois je les détache.
Détachez-les pour voir, si ça ne vous ennuie pas.(On s’exécute.) Ah, c’est bien aussi. Je trouve que c’est mieux détaché comme ça. Vous avez toujours eu les cheveux longs ?

Depuis très longtemps, oui. C’est amusant que vous me parliez de ça parce que j’ai eu ma mère au téléphone juste avant de vous rejoindre et elle m’a dit : « Quoi, tu vas rencontrer Catherine Deneuve ? J’espère que tu t’es enfin coupé les cheveux... »
C’est pas vrai ? C’est fou comme les gens ont de moi cette image de femme sophistiquée, glaciale. C’est une telle erreur, c’est tellement mal me connaître. Mais je comprends qu’on puisse penser ça. C’est quand même beaucoup de travail les cheveux longs... Mais ne cédez pas. Moi j’ai toujours refusé de céder à ce genre de pressions sociales. « Y a un âge pour ci, un âge pour ça. » Quel ennui. Toute ma vie je me suis battue contre ça. C’est vraiment infernal d’être jugé sur son physique et sur son apparence.

Oui mais vous, vous ne pouvez pas le savoir. Vous êtes Catherine Deneuve.
Je le sais mieux que quiconque, croyez-moi...
Interview François Grelet