Le Deuxième acte de Quentin Dupieux
Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, complété par Raphaël Quenard, permettent au cinéaste de signer son meilleur film depuis Au poste !

Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. Voilà comment Quentin Dupieux a tricoté sa nouvelle comédie qui a donc les honneurs d’ouvrir Cannes, où il avait déjà présenté Fumer fait tousser hors compétition voilà deux ans. Une maille à l’endroit : un récit « classique » à quatre personnages principaux. Une maille à l’envers : les coulisses de son tournage et les échanges des comédiens entre les prises (ou, parfois, venant même les interrompre). L’histoire s’ouvre d'ailleurs sur deux longs échanges successifs, présentant les personnages et la situation. On y suit David (Louis Garrel) qui explique à son ami Willy (Raphaël Quenard) qu’une jeune femme a jeté son dévolu sur lui. Bien que ravissante, elle ne l’attire pourtant pas et David aimerait donc la pousser dans les bras de Willy. On retrouve ensuite la jeune femme en question, Florence (Léa Seydoux) en discussion avec son père (Vincent Lindon) à qui elle va présenter ce David dont elle est amoureuse.

Vous trouvez ça dramatiquement inepte et sacrément mièvre ? Les interprètes de ce film également. Et c’est justement dans la manière dont ils vont exprimer leurs états d'âmes face au scénario, et plus généralement parler de leur métier et de l’air du temps (le risque de se retrouver cancel au moindre bad buzz, le mouvement #metoo, les premiers effets de l’Intelligence Artificielle…) que Le Deuxième acte prend son envol. Car Quentin Dupieux se glisse plus que jamais dans les pas de son maître Bertrand Blier, auquel on pense beaucoup (particulièrement aux Valseuses ou aux Acteurs).

Dupieux méritait-il pour autant d’ouvrir le bal de l’édition cannoise 2024 ? Pour nous qui avons peu goûté ses derniers films, la réponse serait plutôt… affirmative ! Certes, on retrouve ici l'impuissance du cinéaste à mettre un point final à ses films ou son incapacité à creuser le concept imaginé. Certes aussi, ce qui se raconte sur la vanité ou l'égocentrisme des acteurs ou bien sur la cancel culture et le mouvement #metoo n'est qu'une succession de clichés qu'on pourrait entendre au PMU du coin. Et pourtant, Le Deuxième acte apparaît comme le film le plus hilarant et le plus réussi de son auteur depuis Au poste ! D’abord parce qu’il n'essaie pas d'échafauder un discours social à la Yannick. Ensuite parce qu’il semble ici assumer plus que jamais le cynisme et la misanthropie de son cinéma. Et enfin parce qu'il laisse une vraie place à ses comédiens. Depuis quelques films on avait l'impression que Dupieux se servait des comédiens uniquement pour s’offrir les plus rutilantes affiches possibles. Il se livrait même parfois (avec leur surprenant consentement) à un curieux exercice d’humiliation comme dans Daaaaaali ! où l'idée de confier le même rôle à six acteurs différents ouvrait le jeu cruel des comparaisons.

Le Deuxième acte de Quentin Dupieux
Chi-Fou-Mi Productions - Arte France Cinéma

 

Ici, ce sont eux qui reprennent le pouvoir. Le Deuxième acte a même quelque chose de "l’arroseur arrosé" (sans doute avec son consentement). Léa Seydoux, Vincent Lindon et Louis Garrel, les trois comédiens qu’il dirige pour la première fois, sont clairement aux commandes. Dans la bouche d'autres acteurs, ce matériau aurait pu sonner réac. Ici, cela devient un irrésistible bijou de comédie. Le génie de l’autodérision de Vincent Lindon (dont on croirait entendre certaines colères qu’il a pu exprimer dans la « vraie » vie), la vis comica de Louis Garrel déjà à l’œuvre dans L’Innocent et la liberté de jeu insensée de Léa Seydoux (pour sa première véritable incursion dans le genre) font merveille. A leurs côtés, Raphaël Quenard n'a pas à rougir. Hélas il lutte contre ce qui apparaît comme une erreur de casting. Depuis un an, au fil de ses apparitions promo (le fameux coup de la valise aux César chez Quotidien…), il s’est créé un vrai personnage alternatif. Et le décalage exigé par Le Deuxième acte entre le "réel" et le film fonctionne donc moins bien avec lui qu’avec le reste du trio. Contrairement à eux, il n’est pas en mesure de se déporter avec fluidité et spontanéité dans les situations qu’il a à jouer.

Il serait bien évidemment injuste de ne voir dans la réussite du Deuxième acte que le seul fait de ses comédiens. Quentin Dupieux a aussi su créer les conditions de ce succès (écriture des situations et dialogues au cordeau, tournage rapide qui oblige à d’autres réflexes, remarquable casting de seconds rôles dont le génial Manuel Guillot en figurant serveur…). Mais ce qui fonctionne pour nous (si dubitatifs face à ses derniers films), c’est la mise à nu de sa fausse désinvolture, d’un cinéma qui se prend au sérieux contrairement à la coolitude absolue qu’il croit dégager. On pouvait voir dans la décision du cinéaste de refuser de faire de la promo pour ce film le plus snob des gestes. Et si c’était en fait le plus lucide ? La reconnaissance, beau joueur, de la victoire par KO de ses comédiens !

De Quentin Dupieux. Avec Louis Garrel, Léa Seydoux, Vincent Lindon… Durée : 1h20. Sortie le 14 mai 2024