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Il y a plus d'un an, j'ai pu passer quelques jours sur le tournage de Killing Fields, le thriller d'Ami Mann.Jeudi 10 juin 2010, dans une zone d’habitation délabrée, à quarante-cinq minutes de route de La Nouvelle-Orléans. Sam Worthington, en T-shirt, pantalon de toile et bottes de cow-boy, répète une scène où il doit sauter par-dessus une barrière pour rattraper un suspect en fuite. Il joue Mike, l’un des deux enquêteurs chargés d’une affaire de meurtres multiples commis dans une petite ville côtière du Texas. L’après-midi sera consacré au tournage d’une scène d’explosion, suivie de l’incendie d’un garage. Ou plutôt d’une cabane de planches et de tôles, que la production a garnie de tuyaux de gaz permettant de régler les flammes à volonté et de faire plusieurs prises. Dans quelques jours, Ami Canaan Mann, la fille de Michael, aura bouclé les prises de vues de Killing Fields, son deuxième film. L’histoire s’inspire d’une série de meurtres toujours non résolus qui ont fait des dizaines de victimes dans la région de Texas City, une petite ville située au nord-ouest de Galveston, le grand port pétrolier du Texas. L’origine du projet remonte au début des années 2000, lorsque Michael Mann a soutenu le jeune scénariste Don Ferrarone pendant l’écriture de l’un de ses premiers scripts. Ami, qui a grandi dans l’entourage de son père et a travaillé sur certains de ses longs métrages et séries télé, est montée à bord en 2009, passionnée par cette affaire peu connue en dehors de la région. « En découvrant cette histoire de filles assassinées, dit-elle, il est impossible de rester insensible à la douleur des familles et de la population dans son ensemble. » La réalisatrice s’est rendue sur place à plusieurs reprises avec son père pour capter l’atmosphère particulière de l’endroit, y faire des repérages et en rapporter quantité de photos. Pour des raisons budgétaires, la production a décidé de tourner dans l’État voisin, la Louisiane offrant des déductions fiscales très avantageuses. Par chance, les paysages, le climat et la végétation y sont similaires. Certains extérieurs possèdent aussi un côté fantomatique qu’Ami Mann cherchait précisément à exploiter.MA MEILLEURE AMIDès que la réalisatrice apparaît sur le plateau, elle monopolise l’attention. Rapide, précise et volontaire, cela ne lui pose manifestement aucun problème de diriger une équipe. Elle sait ce qu’elle veut, le dit, et tout le monde semble aller dans son sens. Michael Mann, qui produit Killing Fields, n’est peut-être pas présent sur le tournage, mais son influence est perceptible à de multiples niveaux. On retrouve notamment dans l’équipe quelques personnes avec qui il a déjà travaillé, comme les acteurs Stephen Graham et Jason Clarke. Il en résulte un sentiment de sécurité appréciable sur un film dont le budget et le planning sont assez serrés.La journée d’aujourd’hui s’annonce particulièrement longue (dix-sept heures de travail prévues au lieu des douze habituelles), d’autant que le déclenchement des flammes et des explosions exige un surcroît de vigilance. Sam Worthington, qui a passé un pantalon bleu, une chemise blanche et une cravate, attend le signal pour s’élancer et sauter par-dessus une barrière. Dans le feu de l’action, il s’ouvre le pouce sur un bout de fil de fer. Un infirmier l’examine et le soigne en quelques secondes. L’acteur nous rassurera plus tard – l’égratignure est superficielle –, précisant que nous avons assisté à l’une de ses rares cascades du film. Des deux enquêteurs, il est le plus cérébral.« Savoir que le scénario évoque des faits réels m’a profondément touché, avoue Worthington lorsqu’on lui demande ce qui l’a attiré dans le projet. La majeure partie des filles qui ont été brutalisées et tuées avaient le même âge que ma sœur aujourd’hui. » Pour se préparer, il s’est rendu à Texas City, où il a traîné incognito avant de rencontrer Mike, le policier qui a inspiré son personnage. Contrairement à Jeffrey Dean Morgan, qui a parcouru la ville en voiture avec le vrai Brian, son modèle, et s’est fait expliquer quelques trucs de flics, Worthington s’est contenté d’emmener Mike dans un bar. « Il n’y a rien de tel que la bière pour détendre quelqu’un d’aussi réservé que Mike, explique-t-il. Ce qu’il m’a appris ce soir-là m’a permis de donner corps au personnage. » L’une des choses qui a particulièrement retenu l’attention de l’acteur est la façon peu orthodoxe dont le flic obtient des résultats, notamment lors des interrogatoires de suspects. « Quand il pose une question, il en connaît déjà la réponse, raconte Worthington. Ce n’est pas une confrontation, il cherche plutôt à détendre les prévenus afin de les amener à faire des aveux. » D’où cette étonnante observation de la part du comédien : « Plus on en rajoute dans ce genre de scènes, plus on est proches des vrais enquêteurs. »Jeffrey Dean Morgan (qui incarnait l’impressionnant Comédien dans le Watchmen de Zack Snyder) interprète donc le partenaire de Sam Worthington. Leurs personnages sont très dissemblables, sans pour autant coller au cliché du « duo que tout oppose ». Mike (Worthington) est l’archétype du Texan. Il est brusque, direct et taciturne. Brian (Morgan), ancien New-Yorkais, est d’un naturel sociable. À la suite de circonstances fâcheuses, il se voit contraint de descendre dans le Sud, qu’il connaît puisque sa femme en est originaire. Arrivé sur place, alors qu’il pensait se la couler douce, il est mis sur cette affaire de meurtres en série qui le met hors de lui.SALE TEMPS POUR UN FLICMorgan s’avoue impressionné par son modèle, avec qui il a passé pas mal de temps. Contrairement à beaucoup de policiers qui ont des difficultés à mener une vie de famille normale et tendent à se réfugier dans l’alcool, Brian est différent. « Il a six enfants et il est toujours amoureux de sa femme, explique l’acteur. Sa foi est forte, et c’est peut-être ce qui lui permet de préserver cet équilibre, même en exerçant un métier aussi dur. » Pour le soutenir et l’inspirer, Jeffrey Dean Morgan a fait venir son épouse et leur fils nouveau-né en Louisiane durant tout le tournage. « Ça me rapproche encore plus de mon personnage, qui se caractérise surtout par sa capacité à maintenir un contact étroit avec sa famille, en dépit du chaos qui l’entoure. » Alors qu’il patrouillait avec le vrai Brian, Morgan a également été surpris de voir que le policier connaissait tout le monde par son prénom et s’arrêtait souvent pour rendre visite à des gens qu’il aidait depuis leur sortie de prison. « Il se garait devant chez eux, klaxonnait, et ces types sortaient pour l’accueillir comme un véritable ami, presque comme un père, raconte l’acteur. Alors qu’il les avait arrêtés et emprisonnés, parfois à plusieurs reprises ! »Se mettre dans la peau de Brian, même l’espace de deux mois, a été extrêmement éprouvant pour Morgan, alors que c’est le quotidien de son modèle. Les nombreuses scènes tournées dans les marais l’ont achevé physiquement. Chaque décor était à au moins une heure de route et les prises de vues avaient souvent lieu la nuit. À chaque fois, il se retrouvait plongé jusqu’à la taille dans une eau infestée de crocodiles, de serpents, d’insectes et de parasites.Depuis le début, le planning du tournage de Killing Fields s’est avéré tuant. Aujourd’hui, vendredi, Jeffrey Dean commencera sa journée de travail à 19 heures pour la terminer à 7 heures demain matin. Il passera son samedi à dormir et à relire le scénario en vue de la (dernière) semaine à venir. Sam Worthington se prépare lui aussi pour l’ultime ligne droite, en se promettant de lever le pied juste après – depuis Avatar, il n’a pas arrêté. « J’aime ce métier, dit-il, c’est un peu comme de conduire une voiture de course. Mais, au bout d’un moment, le réservoir est vide et il faut s’arrêter au stand. C’est ce que je vais faire après ce film. J’ai besoin de faire le point, de me redéfinir. »