Bliss de Mike Cahill
Amazon Prime Video

Dans son nouveau long métrage, le réalisateur d’I origins joue, comme à son habitude, à mêler réalité et science- fiction. Explications

Bliss met en scène Greg, un quadra en fuite après avoir tué accidentellement son boss qui venait de le virer qu’une SDF aborde en lui expliquant que le monde chaotique dans lequel il croit vivre n’existe pas. Tout ça avant de l’entraîner dans le sien en lui faisant ingérer une poignée de cristaux. Comment naît l’idée de cette histoire bien secouée ?

Mike Cahill : Elle naît d’une envie qui pourra vous sembler très théorique : traiter avec empathie la fragilité de l’esprit. Je vous explique. Nous sommes tous entourés de gens qu’on aime mais qui voient le monde d’une façon totalement différemment de nous car leur extrême fragilité influe sur la manière dont ils ressentent leur environnement. Du coup, arriver à les atteindre est complexe car il faut tenter de détruire ce mur qu’ils ont érigé malgré eux. Voilà comment est née cette idée de ce monde parallèle dans lequel va se réfugier Greg pour fuir ses ennuis mais aussi l’impossibilité pour sa fille de l’y rejoindre - car pour elle, évidemment ce monde n’existe pas - mais qui va pourtant mettre tout son amour pour tenter d’y accéder. Et comme j’adore la science- fiction, j’en utilise ici tout le langage et le vocabulaire mais dans un seul but : créer de l’émotion. Tout mon film tend vers là.

Tous vos films évoluent justement en permanence entre science- fiction et réalité. Comment se construit cet équilibre ? Dès l’écriture ?

J’aime les histoires qui parlent d’amour, de pardon et où science et spiritualité peuvent se rencontrer. En fait, j’aime les histoires de science- fiction où seul un détail varie par rapport à la réalité. Dans Another earth, c’était une planète semblable à la Terre qui apparaissait dans le ciel et je m’en servais pour parler du pardon que l’on peut s’accorder à soi- même. Dans I origins, j’évoquais la réincarnation pour raconter la douleur de la perte de l’être aimé. Dans Bliss, j’utilise cette idée de monde parallèle que j’évoquais pour raconter la malléabilité de notre perception de ce qui nous entoure et essayer de réparer quelques- uns des dommages collatéraux qui en résultent. L’empathie et la compassion sont au cœur de mon cinéma pour aller contre le cynisme ambiant. Tendre la main au lieu de tourner le dos. Tout cela est déjà présent de manière très abstraite dans l’écriture et prend corps au fur et à mesure du processus.

Avez- vous vos futurs spectateurs en tête quand vous écrivez, jouez- vous avec la manière dont ils pourraient réagir ?

Pas vraiment. Ma seule boussole c’est l’émotion. Quand je commence à écrire, je me mets dans la peau de chacun de mes personnages principaux et j’écris à la première personne ce qu’ils voient, ce qu’ils ressentent. J’en ai besoin pour développer ensuite petit à petit une histoire dont le but va être de rester de bout en bout fidèle à leur ressenti du monde qui les entoure. C’est cette langue- là plus que scénaristique ou purement cinématographique qui m’intéresse. Et voir le monde avec leurs yeux peut créer ce sentiment chez le spectateur d’être désorienté car son regard à lui sur ce qu’ils voient sera forcément différente. Je ne suis jamais observateur de mes personnages mais dans leurs têtes.

QUE VAUT BLISS SUR AMAZON PRIME VIDEO ? [CRITIQUE]

Pourquoi avoir choisi Owen Wilson et Salma Hayek pour les incarner ?

Je n’écris jamais avec des comédiens en tête. Mais une fois le scénario de Bliss terminé, quand j’ai commencé à penser au casting, j’ai tout de suite eu en tête une image : un tableau représentant un navire pris dans une immense tempête en plein océan. Une combinaison de beauté et d’effroi. Or, à mes yeux, Salma Hayek symbolise la tempête, la puissance de la nature. Et Owen la robustesse d’un bateau. Je voulais donc les confronter notamment pour les voir déployer l’immense palette de jeu sur laquelle ils sont l’un comme l’autre capables d’évoluer. Et ils se sont emparés des personnages au- delà de ce dont je rêvais

Bliss ne cesse donc d’évoluer entre deux mondes parallèles. Comment les avez- vous créés à l’écran avec votre directeur de la photo Markus Forderer ?

Markus est l’un de mes plus proches amis depuis des années et le cinéma, l’image au cinéma sont au cœur de nos discussions, qu’on travaille sur un film ou non. C’est toujours l’un des premiers à lire mes scénarios. Et très tôt pour Bliss, nous avons décidé d’utiliser des objectifs différents pour filmer ces deux mondes, afin de pouvoir les différencier à l’œil nu et de créer de fait des énergies différentes. Dans le monde « normal », l’arrière- plan est quasiment toujours déformé, étiré, une étrangeté qui crée de manière subliminale une tension. Alors que le monde dans lequel se réfugie Greg joue sur la pureté avec de la haute résolution. D’un côté du chaos et de la dureté. De l’autre de la paix, des couleurs vives avec un filtre inventé spécialement pour le film par Markus. Et en parallèle, le travail de la direction artistique a consisté à ce que dans chacun des mondes, des éléments de décors rappellent l’autre afin de ne pas donner l’impression de deux univers parallèles mais intimement liés

C’est la première fois que vous ne montez pas votre film vous- même. Pour quelle raison ?

Mon monteur Troy Takaki est aussi un ami très proche. Je lui ai fait lire le scénario très en amont. Car comme Bliss est mon premier film de studio, j’avais besoin de quelqu’un qui, tout en connaissant mon univers, saurait corriger ma tendance à vouloir toujours faire un peu trop arty. Troy a travaillé sur Hitch ou Fashion victime et a donc l’expérience des studios. Je savais qu’il saurait adapter mon récit à certaines contraintes mais sans trahir ma démarche.

 

Bliss. De Mike Cahill. Durée: 1h46. Disponible sur Amazon Prime Video