« Barré »La structureComme le film de Joss WhedonLes Gardiens porte sur un groupe de superhéros et non un solo. La construction de l'intrigue suit donc grossièrement le même chemin : les héros se rencontrent, d'abord en se battant, ils ne peuvent clairement pas s'encadrer, mais sont forcés de bosser ensemble pour stopper une menace commune qui les dépasse, avec une bataille pour la survie d'une planète à la fin, etc. Sauf qu'effectivement, tout est d'office plus barré puisque les rounds de Iron-Man contre Thor et de Thor contre Hulk résultaient avant tout d'un malentendu. Ici pas du tout : tout ce beau monde cherche d'entrée de jeu à se tirer dessus pour récupérer un objet et/ou empocher une prime, sans oublier un désir de vengeance et une beuverie qui manque de se finir en massacre. Même lorsqu'ils coopèrent, il arrive fréquemment qu'ils fassent des gaffes et ont beaucoup de mal à se comprendre, ce qui donne des dialogues idiots fort sympathiques. Bien, bien plus idiots que les simples références qui échappaient à Thor ou Captain America.Cela s'explique par la nature des protagonistes. Les Avengers peuvent être tournés en ridicule par leur script façon buddy movie de superhéros, ils n'en restent pas moins des figures iconiques. Les Gardiens sont tout le contraire. Physiquement la seule créature des Vengeurs était Hulk, ici la majorité du groupe est composé d'aliens qui seraient considérés comme des monstres ici bas. Et surtout ce ne sont pas des superhéros, ni des héros tout court d'ailleurs. Les 5 sont des hors-la-loi, et plus encore, des losers, comme leur explique posément Peter Quill (alias Star-Lord, alias Chris Pratt). Ils n'ont pas d'amis, et autant le dire franchement, très peu de sens moral pendant une bonne partie du film. D'ailleurs leur groupe se soude en prison et vers la fin ils n'hésitent à pas à s'allier avec les Ravageurs, assassins et voleurs de l'espace qui mangent leur prochain quand l'envie leur prend.En poussant l'analogie plus loin, les correspondances sont amusantes. Si le S.H.I.E.L.D est remplacé par le Nova Corp, Nick Fury par Nova Prime (Glenn Close) et Coulson par Dey (John C. Reilly), la suite est plus corsée pour le groupe des Gardiens. Du côté du leader, on passe du soldat boy-scout Captain America à un voleur cupide, maladroit, noceur et dragueur (Star-Lord). Le colosse bas de plafond attaché à des valeurs barbares et insensible à la subtilité n'est plus un dieu nordique (Thor) mais un taulard fou furieux sanguinaire (Drax) ; Gamora, machine à tuer, est une version encore plus dure et radicale de Black Widow ; Groot est une créature encore plus grotesque et limitée que Hulk après une attaque cérébrale ; et bien sûr, le mécano de génie expert en électronique, caractériel, misanthrope et tutti quanti n'est plus Tony Stark mais un raton laveur qui parle et adore les armes. On remarquera qu'il n'y a pas d'équivalent de Hawkeye, et c'est bien normal puisqu'il ne servait à rien dans Avengers, comme l'a par la suite regretté Jeremy Renner lui-même.Bref, chacun est passé à la moulinette anti-héroïque, et c'est tant mieux. Même le gimmick obligé de la scène post-générique est ici un gag totalement improbable.Le méchantLà Les Gardiens doivent s'incliner. Ronan est réussi esthétiquement et Lee Pace est convaincant, mais le Loki de Tom Hiddleston, avec son côté malchanceux pathétique et surtout comique malgré lui, le déclasse facilement dans la folie. Gunn ayant fait le choix de limiter le côté « film d'origine » pour ne pas dépasser les 2h, il se concentre sur ses héros et l'antagoniste se limite à un registre très classique. En gros c'est juste un fou revanchard et mégalo qui veut détruire une planète et plus si affinités. Pourtant, les interactions avec ses ennemis le rendent décalé : dur de ne pas rire en voyant son regard incrédule devant les pas de danse de Star-Lord. Plus de face à face de ce type auraient été les bienvenus, tant pis.« Sale »La violenceIl y a plus de morts à l'écran même si on ne voit pas de sang, mais on regrette que le long-métrage n'ait pas tiré avantage de sa situation en faisant gicler du sang extraterrestre à foison. Tant que ce n'est pas rouge, on a le droit, non ? Ceci dit, le coup de Groot qui défonce les narines d'un prisonnier hostile en faisant pousser ses doigts/branches à l'intérieur reste bien trouvé. Globalement le rapport au meurtre et à la violence est bien plus décomplexé que dans Avengers, au point que Rainn Wilson (héros de Super, précédent film de Gunn) a tweeté ironiquement « qui aurait pu savoir que James Gunn était le fils caché de Tarantino et George Lucas ? ».En plus, la façon qu'a Groot de tuer un groupe de soldats ennemis rappelle précisément le tabassage de Loki par Hulk, avec le côté cartoonesque et gratuit en bonus. Sauf que Groot transperce ses adversaires de part en part avant de les éclater sur le sol et les murs et de faire son plus beau sourire à Quill et Drax, là où Banner se contentait de laisser Loki assommé.« Malpoli »Les vannes borderlineLorsque Quill veut détendre l'atmosphère, il évoque sa vie sexuelle. Ce qui implique des descriptions folkloriques d'extraterrestres femelles et de sa façon de les larguer au petit matin, forcément. Si Stark est un chaud lapin, Peter n'a rien à lui envier, et traite ses conquêtes avec encore plus de désinvolture apparemment. Sans parler de sa réplique « Si on avait de la lumière noire, vous verriez que mon vaisseau ressemble à un tableau de Jackson Pollock » qui indique subtilement les taches de... Enfin vous voyez. Malin : les gosses ne comprendront pas la référence et les adultes seront surpris.Rocket de son côté pousse le cynisme à son paroxysme en se foutant d'à peu près tout ce qu'il voit, et désamorçant de la même façon (presque) toutes les scènes épiques ou émouvantes du film avec ses sarcasmes. Mention spéciale au fameux « Bouhou, ma femme et mes gosses sont morts, c'est tellement triste » pour se moquer de Drax.Gros motsDurant tout le film, à chaque fois qu'un personnage s'apprête à prononcer un juron il est interrompu par un bruitage, un autre dialogue ou se contente d'adoucir l'expression de lui-même. Un jeu de clin d’œil permanent sur le mode dira, dira pas. Sauf à la fin. Face à la surprise de Ronan qui ne comprend pas comment ses ennemis peuvent lui faire face, Peter le regarde droit dans les yeux et lâche « You said it yourself, bitch. We're the Guardians of the galaxy » (tu l'as dit toi-même, salope, on est les Gardiens de la galaxie). A bien y réfléchir c'est la première fois qu'un film Marvel Studio se permet l'emploi de ce mot en tant qu'insulte. Rappelons que la société appartient à Disney, et que ce film est censé être un divertissement familial, avec une promo sur les chaînes pour enfants. En Amérique, ça veut dire beaucoup. Cerise sur le gâteau, ça intervient au moment censé être le plus solennel dans un film de superhéros : l'annonce du nom ou de la devise des intéressés. En comparaison, dans Avengers ça correspond à la scène où Tony Stark déclarait à Loki « si on ne peut pas protéger la Terre, sois sûr qu'on la vengera ». Autre planète, autres mœurs.Alors verdict : non, James Gunn n'avait pas exagéré dans son analogie. Les Avengers ont l'air bien sages comparés à son long-métrage. On peut quand même regretter que ses Gardiens ne soient justement « que » la déclinaison déjantée d'une formule déjà vue, surtout quand on connaît la folie du cinéaste. Cependant, on reste chez Marvel Studio, concrètement le film doit malgré tout introduire des « superhéros de l'espace » : tous les codes inhérents au genre ne peuvent être ignorés et c'est déjà pas mal d'avoir pu pousser jusque là. Peut-être une suite encore plus délirante, vu le succès de celle-ci ? On croise les doigts.Yérim Sar (@YerimSar)Les Gardiens de la Galaxie sortira mercredi. Bande-annonce : Voir aussi :EXCLU - Notre interview de James GunnVIDEO - Les Gardiens de la Galaxie : Qui veut visiter le vaisseau de Star-Lord ?REVIEW - Les Gardiens de la Galaxie : c’est pour ce genre de films qu’on achète sa place de cinéma