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La Harry Potter mania dure depuis plus de dix ans, les fans ont grandi avec leurs héros développant pour certains une identification complète avec les personnages. Mais quand la saga s’arrête, que se passe-t-il ? Manque, dépression, deuil ? Eric Auriacombe, pédopsychiatre, psychanalyste et auteur de Harry Potter, l’enfant héros (édité aux Puf) nous explique pourquoi le sorcier à lunettes provoque tant de passions, s’il est un bon exemple pour la jeunesse, et comment lui dire adieu.« Harry Potter est un personnage attachant précisément parce qu’il n’est en rien un super héros. »Docteur, comment expliquer que les jeunes lecteurs/spectateurs de la saga s’attachent à ce point au personnage de Harry Potter ?Harry est un enfant maltraité, quasi-dépressif, dépositaire de secrets qu'il peine à faire remonter à la conscience. Ces traits de caractérisation de l'enfance sont fréquents en littérature où l’on trouve souvent des enfants orphelins et maltraités qui par­viennent, à l'aide d'un peu de magie, à surmonter la noirceur de leur vie pour grandir et deve­nir adulte. Les contes montrent des situations, des fantasmes, des actes que les enfants redou­tent ou souhaitent, et qu'ils s'ef­forcent de traduire, de « théori­ser ». Ils proposent aussi des solutions « toutes faites » que l'enfant peut découvrir, voire s'approprier par identification.En clair ? Les personnages des romans de Mrs Rowling constituent un excellent espace projectif et un support identificatoire efficace.Du coup, comment définiriez-vous la personnalité de Harry, d’un point de vue psychanalytique ?La situation de Harry est particulièrement significative. À l'âge d'un an, il a vécu une situation traumatique, un accident de voiture, dans lequel ses deux parents sont morts - ça c’est la version Moldue ; pour les sor­ciers, ils auraient été tués par Voldemort. Quoiqu’il en soit, orphelin, il est recueilli par son oncle et sa tante qui le maltraitent et il présente des symptômes qui évoquent une dépression anaclitique.Anaclitique ?Une dépression due au deuil précoce de ses parents. Cette problématique, celle du trau­matisme et la maltraitance se superposent. Du coup, la série Harry Potter permet d'en explorer les mécanismes psychologiques et de proposer des hypothèses psy­chopathologiques. Avec le deuil précoce, la cul­pabilité du survivant, l'évitement du souvenir de la perte, le déni de la réalité et le clivage du Moi, les notions de cryptophorie et de revenance peuvent être mises en évidence. Les deux temps du traumatisme, la ques­tion de « l'après coup » sont bien illustrés par l'aventure de Harry qui découvre, onze ans après, l'histoire de ses parents et de ses origines. La maltrai­tance induit chez Harry des sentiments de dévalorisation et de honte, mais aussi une forme de résilience...Quelle serait la spécificité de la saga par rapport à… disons Le Seigneur des anneaux ou Twilight ?Potter grandit d’une année à chaque nouveau volume, ce qui est rare dans la littérature enfantine. L’un des éléments de son succès est sans doute lié au fait que le héros prenne de l’âge en même temps que ses lecteurs. Potter est un garçon presque ordinaire (qui doit apprendre la magie dans une école et passer des examens), qui évolue en fonction du temps, découvre le monde des adultes, les premiers émois amoureux et traverse une crise adolescente en même temps que ses lecteurs ! Le support identificatoire s’en trouve d’autant mieux investi.Quand vous parlez de support identificatoire, ça veut dire que Harry aiderait à faire grandir ses lecteurs ?Oui. Les enfants ont besoin de héros quand ils ne trouvent pas dans la vie quotidienne les modalités de réponses à leurs questions fondamentales. Bruno Bettelheim pense que le conte de fée sert de guide à l’enfant, qu’il l’aide à renoncer à ses désirs infantiles de dépendance pour devenir indépendant. Quand les enfants s’aperçoivent que leurs premiers héros (les parents) ne sont pas infaillibles, ils ont recours à des histoires qui leur permettent d’explorer leur propre individualité et leur créativité.Sans être trop différent…C’est ça. Harry Potter est un personnage attachant précisément parce qu’il n’est en rien un super héros. Il ressemble à tous les enfants qui peuvent ainsi s’identifier à lui plus facilement. Il est « sympathique » (on peut littéralement souffrir avec lui). C’est un personnage désemparé qui tombe souvent des nues, et l’aventure lui arrive sans qu’il prenne beaucoup d’initiative. Si on le compare à un enfant de onze ans, on ne peut s’empêcher de constater qu’il est déprimé, comme frappé d’un interdit d’exister. Il se dévalorise. Quand il échappe au pire, il pense qu’il a eu de la chance et que si les autres ne l’avaient pas aidé, il ne s’en serait pas « sorti ». Et puis, et c’est très important, comme il grandit au fil des différents romans, la problématique se déplace du grand enfant naïf vers celle de l’adolescent rebelle et morose. Le personnage principal évolue progressivement: il découvre sa famille, ses origines, il reconstitue son histoire malgré le secret et le silence. Le vie psychique de Harry est décrite très précisément: douleur et dépression, angoisse, sentiment de vide et hallucinations, doute sur son intégrité physique et mentale, rêves à répétition, relation spéculaire, relation au père, à sa mère, à la fratrie.Selon une étude  d’un psychanalyste américain (le Dr Jeffrey Rudski) publiée dans le Journal of General Psychology, sur 4000 cas, 10 % de lecteurs d'Harry Potter présentent des signes de dépendance. C’est grave ?Parler d'addiction me paraît très exagéré. Il n'y a pas de réelle dépendance à un produit ou une situation de manque. La série peut polariser l'attention du lecteur ou du spectateur au point d'envahir l'ensemble de sa pensée – comme le ferait une idée obsédante. Je préfère dire qu'il s'agit d'une « passion de lecture » dans laquelle s'installe une forme d'amour pour les personnages et leur univers.  A la manière d'un conte, le lecteur va projeter ses propres tendances dans cet espace imaginaire qui va lui proposer des modèles auxquels il peut s'identifier. Le mécanisme d'identification amène le lecteur à devenir comme son héros, à adopter les mêmes attitudes et des manières de penser similaires. Le destin du héros devient ainsi crucial pour le lecteur/spectateur. Les choix de l'auteure concernant le devenir des personnages peuvent induire des situations psychologiques spécifiques comme, par exemple, des réactions à des expériences d'effroi avec la survenue des Détraqueurs ou de deuil avec la mort de Sirius Black ou de Dumbledore. Il ne s'agit pas, pour cette série, d'un phénomène de manque, mais plutôt d'une situation d'attente anxieuse et d'impatience.On oublie l'étude de Jeffrey Rudski, alors ?             Non, mais les américains ont une fâcheuse tendance à la généralisation. Considérer comme addiction cette passion et cette attente anxieuse me semble légèrement abusif. Si, dès qu'on est passionné par quelque chose, on devient « addict », on ne pourra bientôt plus rien aimer sans subir une cure de désintoxication ! Il s'agit d'une dérive extensive et normalisante et un frein à l'enthousiasme.Dans ce cas, comment expliquer cette impression de dépendance et de manque ?Elle me paraît liée à plusieurs facteurs. D'abord, il s'agit d'une œuvre qui se déploie en sept volumes (et huit films). La résolution de l'énigme (qui est vraiment Harry Potter?) devient ainsi un but lointain et un véritable défi de lecture. Ensuite, et cela constitue l'aspect le plus original, J.K. Rowling a programmé la parution de chaque volume sur une dizaine d'année. Les effets de sérialité sont alors particuliers car les personnages grandissent d'une année à chaque nouveau volume. J.K. Rowling introduit une temporalité avec ce héros qui évolue de la grande enfance à l'âge adulte en passant par une crise d'adolescence particulièrement intense. Cette mise en scène du temps qui passe intéresse directement le lectorat ou le spectateur qui a souvent grandi en même temps que ses héros. L'attente a été particulièrement marquée dans cette série par cette introduction du temps, rythmé par l'anniversaire de Harry et la rentrée scolaire au collège de Poudlard.A l’approche de la date fatidique, comment le mordu de Harry Potter peut-il se préparer au manque à endurer ? La fin de l'aventure implique un processus de deuil. Le lecteur/spectateur va être confronté à une expérience de perte avec, d'une part, la mort de certains personnages et, d'autre part, la fin de l'aventure. Il ne s'agit pas d'effets de manque mais d'un processus de séparation mobilisant des affects dépressifs. De nombreuses hypothèses ont été évoquées quant à la fin de cette histoire. De fait, la mort des personnages a été un thème de discussion sur internet. Qui va mourir ? Est-ce que le héros va survivre ? Déjà, à la fin de certains volumes, un personnage important disparaît (Sirius Black dans le volume V, Dumbledore dans le volume VI...). La fin de la série peut mobiliser toutes les craintes sur la survie des héros et entraîner une contestation des choix de l'auteure. Harry Potter reste une série sur la douleur, le deuil, la mort, non seulement dans les thèmes du roman mais dans la forme même de l'œuvre. La fin, l'issue de la série apparaît comme imprégnée de cette thématique car effectivement nombre de personnage meurent et Harry doit se sacrifier.Mais le message de Rowling reste optimiste et positif car le Mal est vaincu et Harry survit à ses épreuves.Propos recueillis par Eric Vernay Harry Potter et les reliques de la mort 2e partie sortira dans nos salles le 13 juillet prochain.