Starz

Alors que la série Ash vs Evil Dead prend fin, on fait le bilan avec Bruce tout-puissant.

La série Ash vs Evil Dead vient d’être annulée, après trois ans de bons et boyaux sévices. Il y a quelques semaines, Première faisait le point sur le rôle de sa vie avec l’éternel Bruce Campbell.

Article publié à l’origine dans numéro de Première daté de mars 2018.

Fin 2015, Bruce Campbell ressortait son fusil à canon scié et sa mythique tronçonneuse pour les besoins de la série Ash vs Evil Dead. Une vraie suite aux trois films cultes de Sam Raimi - qui a réalisé le pilote -, dont la première saison peinait encore à dépasser son statut de fan service de luxe. Équation résolue dès l’année d’après : Ash revenait à la source de la farce sanguinolente, fonçait sans rougir vers le grand n’importe quoi et réussissait au passage à développer la mythologie du chasseur de démons. Campbell, comme un poisson dans l’eau dans cette histoire taillée sur mesure, ressuscitait Ash Williams avec une joie diablement communicative. Mais à 59 ans, il entretient avec le personnage des rapports ambivalents : Ash est à la fois le rôle de sa vie (celui qui lui permet de rester présent à l’écran encore aujourd’hui) et sa petite prison personnelle (l’étiquette est impossible à décoller). Un grand acteur de seconds rôles qui, sur un malentendu - un coup de génie -, s’est vu propulsé au rang de superstar de la comédie d’horreur, terrain sur lequel il règne en maître incontesté.

« Je choisis quand je l’enfile »

Alors que la troisième saison de Ash venait de démarrer, on a voulu faire le point par téléphone sur son lien avec le tueur de Deadites. « Bonjoooouuuur, comment allez-vous cher ami ? », nous accueille-t-il chaleureusement dans un français approximatif. Le type est exactement à l’image qu’on s’en faisait : charmant, drôle, séducteur, gouailleur. Groovy. « Je fais ce métier parce que ça m’amuse. J’ai toujours vu le divertissement comme une forme d’échappatoire pour les gens qui ont une vie triste. C’est un noble but. Pour autant, pas la peine de prendre ça trop au sérieux », analyse le grand Bruce. « Je me vois comme un acteur de série B ++ . Il n’y a aucun mal à ça. Ma filmographie est entièrement construite là-dessus. Ash, c’est ma deuxième peau », lâche le bonhomme quand on aborde le sujet. « Mais attention : il ne me dévore pas. Je choisis quand je l’enfile, nuance ». Vraiment ? 

Starz

En 2007, vous avez réalisé et produit le film My Name is Bruce, dans lequel des villageois prennent Bruce Campbell pour Ash Williams de Evil Dead. Quel était votre message ?
Je voulais dire que c’est typique de notre perception moderne des gens connus. Cela concerne aussi bien les stars de cinéma que les athlètes ou les politiciens. On les met sur un piédestal, on confond la réalité et la fiction. Les gens pensent que vous êtes ce qu’ils voient à l’écran. D’un côté, My Name is Bruce est un film un peu débile, mais il y a un deuxième niveau de lecture super profond. Un peu à mon image. (Rires.)

Vous parliez aussi de votre rapport à Ash, d’une forme d’amertume d’être toujours ramené à lui ?
Amertume, vous y allez fort. Mais effectivement, les gens n’ont pas idée que je suis un type normal, pas du tout porté sur les flingues, qui fait pousser de la lavande dans son jardin. Les acteurs sont souvent très différents de leurs personnages. Prenez le grand Vincent Price : il faisait de la cuisine gastronomique et n’aurait pas fait de mal à une mouche. Certains de mes fans adorent l’horreur et ont uniquement en tête le rôle de Ash. D’autres ne me connaissent qu’à travers Burn Notice, une série dans laquelle j’ai tout de même joué pendant sept ans. Ils n’ont pas regardé Evil Dead, ils ne savent même pas que ça existe ! Tout le monde ne connaîtra pas toutes mes facettes d’acteur. J’ai depuis longtemps fait la paix avec ça.

Cela n’a jamais été problématique, pour vous ?
Ça a pu l’être un peu, il y a longtemps…

J’ai l’impression que vous êtes emprisonné par le personnage de Ash et qu’en même temps vous en jouez volontiers.
Mais personne ne m’a forcé à rejouer Ash! Je ne me sens pas du tout emprisonné par lui, je lui dois tout. C’était mon idée de pitcher une série à la chaîne Starz et de le ressusciter. La dernière fois que je l’avais joué, avant Ash vs Evil Dead, c’était en 1991 pour L’Armée des ténèbres ! Entre-temps, j’ai eu vingt-cinq ans d’expérience au cinéma et à la télévision ! Si je prends un pied monstre avec la série, c’est parce que je peux enfin densifier le personnage. Durant les trois premiers films, Ash n’a pas beaucoup évolué. Là, on a eu trois saisons - trente heures de télé - pour le développer. Mon grand plaisir, c’est d’en faire enfin un vrai être humain.

Vous en avez déjà eu marre de lui?
Bien sûr. Mais n’oubliez pas qu’avant la série TV, je n’ai joué Ash que tous les six ou sept ans seulement [sortis en France en 1981, 1987 et 1994]. Ce n’est pas comme si j’avais été bloqué dans un soap opera pendant des années. J’ai incarné mon personnage de Burn Notice bien plus longtemps que Ash. Mais dans votre tête et dans celle d’autres gens, il n’y a que lui.

Vous n’avez pas le choix : Ash est le rôle de votre vie. Vous n’avez d’ailleurs jamais laissé mourir le personnage, vous avez toujours entretenu votre relation avec les fans en participant à des conventions, par exemple.
Et pourquoi devrais-je le laisser mourir ? Je n’ai jamais ressenti le besoin de prendre de la distance avec mes débuts dans des films low cost : ils ont lancé ma carrière et m’ont aidé à la faire durer dans des moments difficiles. La plupart des acteurs ont commencé à bosser dans des films d’horreur pourris à petits budgets ! Et généralement, même les comédiens les plus connus finissent en jouant dans ce genre de merdes (Rires.) Moi, je n’ai pas honte de ça. Je l’assume pleinement. Et avec les films sans le sou, il faut vraiment être malin.

C’est-à-dire?
Si vous avez 300 millions de dollars pour faire un long métrage, pas besoin d’être futé, tout se résout sans problème. Nous avons fait Evil Dead en douze semaines pour un budget minuscule, avec des plans que je défie n’importe quel réalisateur moderne de faire. Je suis très fier de ça. J’ai vu le dernier Star Wars : c’est une grosse bouillie, un ragoût de divertissement. Tout se ressemble maintenant. J’ai envie de dire aux studios : prenez vos 200 millions de dollars et, au lieu de faire un seul film, faites-en cent à 2 millions. La plupart seront affreux. Mais vingt seront très bons et, dans le tas, il y aura au moins un classique qui remboursera le budget. Hollywood est devenu bizarre. Très bizarre.

Vous avez cette théorie selon laquelle les blockbusters de super-héros sont des séries B maquillées grâce à leur gros budget.
Si le héros est déguisé en chauve-souris et qu’il se balade avec sa bagnole tape-à-l’œil, c’est une série B. Si c’est un gars mordu par une araignée radioactive, ce n’est pas seulement une série B : c’est une série B des années 50. Au cœur de ces films, qu’y a-t-il ? Du pulp. Iron Man, Aquaman... Du pulp ! Tout ça me fait beaucoup marrer, parce que le genre était méprisé avant de devenir la norme. D’un autre côté, je suis content, parce que c’est pratique pour les mecs comme moi qui tournent dans les conventions : il y a dix ans, inviter Charlize Theron, Adrien Brody ou Gerard Butler dans ce genre de rassemblements était inimaginable. Ils vous auraient dit : « Fuck you! » Et regardez ce qui se passe aujourd’hui, ils se pressent tous pour venir ! Avant, il n’y avait que des acteurs de séries déprogrammées depuis vingt ans, maintenant c’est bourré de petits jeunes. Norman Reedus de The Walking Dead, c’est Jésus là-bas! Le mec garde ses lunettes de soleil à l’intérieur ! Non, vous savez qui c’est, en fait ? C’est le nouvel Alain Delon. Je vous jure, c’est Alain Deloooon [en français avec un accent volontairement appuyé]. Les filles pleurent quand il débarque.

Vous avez construit votre carrière en parallèle de celle de votre ami Sam Raimi, un cinéaste chez qui vous avez un rond de serviette.
Je l’ai rencontré en 1973, au lycée. Et on ne s’est plus quittés depuis.

Et vous êtes éternellement liés par Evil Dead, qui était votre premier long métrage à tous les deux.
La trilogie Evil Dead est intéressante à regarder avec le recul, car on peut voir Sam et moi-même évoluer de film en film. Le premier était très premier degré, on voulait faire un truc d’horreur sérieux. Sauf qu’au final, c’était très mélodramatique, un peu too much. Certains spectateurs ont ri, mais l’idée n’était pas de faire une farce.

Studiocanal

En fait, Ash est réellement né avec Evil Dead 2.
Oui, qui a été écrit par un de nos amis, Scott Spiegel. Il adorait Les Trois Stooges [troupe comique américaine] et la comédie slapstick. On n’avait pas envie de refaire le même film que le premier, alors on a tenté de nouvelles techniques, de nouvelles histoires, de nouvelles blagues. On appelait ça du « splatstick », marrant et gore. On était jeunes ! Il a fallu faire pas mal de compromis pour ne pas se prendre une classification trop sévère dans les dents. Pareil pour la suite, L’Armée des ténèbres, qui, pour le coup, est plus un film d’aventures qu’un film d’horreur. La production a été très compliquée, on a dépassé le budget et on a perdu de l’argent personnel. Le tournage le plus dur de ma vie. Mais j’y ai quand même rencontré ma femme, qui était costumière.

Par la suite, vous avez fait énormément de seconds rôles. C’était une boulimie de travail ou juste une façon de payer le loyer ?
(Rires.) Un peu des deux. Mais je voulais surtout accumuler de l’expérience, tester des trucs. Grâce à ça, j’ai vite eu la réputation d’être un mec fiable, qui arrive sur le plateau en connaissant ses répliques. Dans les années 90, j’ai pas mal enchaîné, c’est vrai. C’est une bonne chose : on rencontre une grande variété de gens, on est exposé à différents types de réalisateurs, de scénaristes... Et de studios aussi. Ça m’a rendu capable de bosser avec n’importe qui.

Vous avez même joué dans un film français, La Patinoire.
Oh oui, de Jean-Philippe Toussaint ! J’étais en Nouvelle-Zélande en train de tourner la série Xena, la guerrière. Et ce script arrive, en français. On me le traduit et je découvre que mon personnage potentiel est un acteur américain : « Ça, je peux le faire ! » C’était une ébauche de rôle, pas vraiment grand-chose à faire. Mais je me suis dit : « On s’en fout, combien de fois j’aurai l’opportunité de jouer dans un film français ? » Je suis arrivé et... personne ne savait qui j’étais, pas même le réalisateur ni les producteurs. En fait, c’était un assistant qui avait donné mon nom en disant que j’étais le mec d’Evil Dead !

Qu’avez-vous découvert sur place ?
Qu’on pouvait boire du vin au déjeuner ! C’était une expérience géniale de voir comment se tourne un film français. Le vendredi, on s’arrêtait à 15 h parce qu’ils se disaient qu’on voudrait sûrement passer le week-end ailleurs. Et le lundi, on commençait à midi ! Du pur génie. Sans rire, ça a complètement remis en perspective ma façon de travailler. Je me suis rendu compte qu’aux États-Unis, on met notre vie entre parenthèses. C’est pour ça que je privilégie la télévision, car on peut tourner très vite et avoir du temps pour soi. Quand je réalise un film, je fais très attention à ne pas surcharger l’équipe. Il faut que ça reste fun. C’est l’industrie du divertissement, on est là pour s’amuser.

Cela résume bien votre carrière, non ?
Je viens de Détroit, la « Motor City ». Quand j’étais jeune, j’ai connu beaucoup de gens qui bossaient dans des usines automobiles. Pour que le boulot ne soit pas trop ennuyeux, ils tournaient régulièrement sur les postes. Moi je suis acteur, réalisateur, scénariste... J’ai même publié mon deuxième livre cet été. Je m’ennuie vite, alors j’aime bien varier les plaisirs. Sauf quand je joue Ash, je suis toujours heureux de le retrouver. C’est le personnage qui m’a fait entrer dans le cinéma. Si je continue comme ça, ce sera le dernier personnage que je jouerai ! Et ça m’ira très bien.