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Premières impressions sur le western halluciné de Inarritu porté par un DiCaprio impressionnant

Après s’être enfermé dans un théâtre pour sonder la psyché d'un comédien raté - l'impressionnant plan-séquence solipsiste de Birdman - Inarritu largue les amarres. The Revenant est un survival dans le grand Nord, un film halluciné qui voit DiCaprio passer par tous les états.

Le nouveau Inarritu s'ouvre sur une scène à couper le souffle. La caméra-pinceau de Lubezki (le chef op de Terrence Malick et de Gravity) remonte un cours d'eau en effleurant le ruisseau, file entre les pierres, les arbres et les feuilles dans une course folle, sensuelle et mystique. La caméra ralentit quand apparaît, à droite de l'écran, un canon de winchester. Un homme. Et une autre carabine. Le Mexicain plonge alors le spectateur pétrifié aux avant-postes de la barbarie et du néant. C'est le début d'un carnage monstrueux. 

Tout le projet de The Revenant tient dans ces premières minutes. La célébration d'un éden (déjà perdu ?) n'est qu'un élément rhétorique qui sert à souligner la chute progressive vers la sauvagerie. Du paradis à l'enfer. Tout est dans tout dans The Revenant, dès cette intro qui agit comme la synthèse du trajet que va accomplir Glass. Glass, c'est Léo, un trappeur qui, après avoir été gravement blessé par un ours, est traîné par son groupe qui refuse de l'abandonner. Mais Glass ralentit trop les chasseurs (également poursuivis par des Indiens) et le commandant décide de le placer provisoirement sous la responsabilité de John Fitzgerald (Tom Hardy). Fitzgerald, type cynique et opportuniste, va devancer la nature et abandonner le héros dans la neige. L’ennui c’est qu’il n'est pas mort. Et plus du tout prêt à mourir. Le trappeur veut sa vengeance. Entretemps, il y aura eu des hallucinations, des décharges de violence soudaines étouffées par la beauté primitive des lieux, des rencontres, des moments de cauchemars ou de rêves avec, constamment, l'idée de faire cohabiter à chaque plan l'innocence et l'inhumanité. Adapté d'une histoire vraie (déjà filmée par Richard Sarafian dans le sublime Convoi Sauvage), The Revenant est un drôle de film. Moins le western Redfordien qu'on croyait (bye bye Jeremiah Johnson) qu'une ode sensorielle extatique (hello Malick). Un vrai film d’auteur mexicain, mais grand public. Un monument de cinéma drivé par le viscéral et des visions très fragiles. En frottant deux pôles de cinéma (lyrisme rousseauiste et violence hardcore), le Mexicain tisse une texture filmique qui frôle l'expérimental et l'arty, un marathon physique étourdissant qui tente de saisir l'expérience et les vibrations d'un individu en quête.

C’est le moment de dire à quel point Léo est génial, poussant très loin l’apnée existentielle. Glass est le cousin de Bardem dans Biutiful, un type qui lutte et se met en règle avant la mort. Un homme, fait de tous les hommes, comme semble le rappeler le plan final.

Mais avant d’être le film d’un comédien, The Revenant est un film de metteur en forme. Il y a toujours ce masochisme iconographique qui plombe certains de ses films, encore un peu de son pathos morbide, mais étrangement, son scénario, moins bouclé, la pureté de la ligne narrative et la force de certaines scènes (le carnage du début, l’affrontement final) en font dans ses plus beaux moments une rêverie hypnotique. L'aube et le crépuscule échangent leur lumière ; elle tombe sur les créatures effarées comme un déluge de cendres. Naïf par quête de pureté, fragmenté par débordement d’idées et de sensations, spectaculaire par amour des sens, c’est un labyrinthe d’expériences qui ne racontent plus rien. Comme si le cinéaste s’était débarrassé de ses réflexes narcissiques pour arriver à plus de clarté, à du cinoche primitif. The Revenant est trip et trippes avec des visions translucides, qui ont l’intensité du rêve. Pendant 2h40, Inarritu maintient donc cette sensation de flottement onirique, irrésolu, surréel, à travers le portrait de son spectre. Et réussit à compiler les cinémas « chaos » (Malick et Jodo, Guerman et Cuaron) dans une forme à la modernité hallucinante. Formellement, mais aussi (surtout ?) thématiquement. Pendant la projo, on pensait beaucoup à d’autres monuments récents. Impossible de ne pas voir les parallèles avec Seul Sur Mars, Le fils de Saul et Gravity par exemple. Comme Gravity, derrière le film de genre, il s’agit d’abord d’un parcours intime dans lequel le héros revient à l’état primitif pour redevenir humain. Même rythme lent et répétitif, qui privilégie une approche plus spirituelle et symbolique que réaliste. Même genre de plan final - en forme de retour sur terre – esthétiquement terrassant. Comme Seul sur Mars, The Revenant est aussi un manuel de survie en milieu hostile, la trajectoire d’un homme qui doit se battre pour rejoindre les hommes. Et comme Le Fils de Saul, il est question d’immersion, d’expérience viscérale de la souffrance et de la bestialité.

Au fond, The Revenant rappelle qu'Inarritu sent battre le pouls du cinoche moderne comme personne. Avec ce film (plus que Birdman) il capte et ride le grand fleuve narratif, esthétique et émotionnel du XXIème siècle. Les Oscars ? Le box office ? Oui, il y aura sans doute tout cela dans les mois à venir. Mais là, il y a surtout un auteur bien décidé à incarner le cinéma contemporain dans toute sa monumentalité.