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Du Rififi chez Pixar ?On sait depuis le début que la production de Rebelle (3D) ne fut pas un chemin pavé de roses. Imaginée et commencée par la réalisatrice Brenda Chapman, l'histoire de la princesse Merida avait été reprise en cours de route par Mark Andrews. Pendant la promo du film, Andrews nous avait d'ailleurs raconté comment s'était passé son arrivée sur le projet : " Il y avait des soucis. Quand on est venu me chercher, on m’a dit “On aime l’histoire, on aime le coeur du film, ses personnages et son univers, mais ça ne fonctionne pas”. Et le problème, c’était la deadline. On était fin 2010, et pour le studio, le choix était simple : soit on arrêtait tout et la sortie était décalée, soit on changeait de réalisateur. Il fallait que le scénario soit remanié; il fallait simplifier, couper, trancher. J’arrivais vierge et du coup, je pouvais “tuer les bébés” comme on dit”. Andrews avait le profil idéal du killer de babies. Réalisateur d’un court remarqué (L’Homme orchestre), considéré comme la main droite de Brad Bird, il traînait autour de Rebelle depuis le début... “Je me souviens avoir découvert des dessins de types chevauchant les landes écossaises, combattant des ours et tirant à l’arc affichés dans les couloirs du studio. Quand j’avais vu ça, je m’étais dit “Woaw woaw woaw. Deux secondes ! Qu’est ce que c’est que ce truc ? Je veux faire partie de ce projet” et Brenda m‘avait pitché l’histoire... Je suis fan d’histoire médiévale, je connais tout de la mythologie celtique, j’ai pratiqué l’arc pendant des années ; très vite, je suis devenu leur source principale sur tout ce qui concernait la culture écossaise. Et fin 2010, alors que je venais d’enchaîner Ratatouille avec Brad et le script de John Carter, Pixar m’a demandé de reprendre Rebelle. Ca a été dur vis-à-vis de Brenda qui est une amie, mais on savait tous les deux que c’était la seule chose à faire".Visiblement : non.Jusqu'à présent, Chapman était restée silencieuse sur son renvoi. Jusqu'à présent. Dans un papier écrit pour le New York Times à propos de la sous-représentation des femmes à Hollywood, Chapman est enfin revenue sur cette affaire. Et ce qu'elle en retire, c'est... une immense tristesse : "Quand Pixar m'a débarqué de Rebelle - une histoire qui venait du coeur et qui m'avait été inspiré par ma relation avec ma fille - j'ai été dévasté". Si elle ne revient pas sur les motifs de son renvoi, Chapman revient sur la fragilité du statut d'animateur : "les réalisateurs d'animation ne sont pas protégés comme les directeurs de live qui ont la Director's Guild pour les soutenir en cas de conflit. C'était une histoire que j'avais imaginé, qui m'était très personnelle - en tant que mère et en tant que femme. Qu'on me l'enlève, qu'on la confie à quelqu'un d'autre, une homme en plus, fut une expérience horrible". On est loin de la passation de pouvoir apaisée racontée par Andrews (jamais nommé par Chapman, il appréciera). Et de fait, même si elle est "très fière du film", conforme à sa vision, Brenda Chapman ne semble pas prête à faire la paix avec Pixar : "Parfois, les femmes expriment un idée et sont éliminées, simplement pour laisser un homme développer la même idée afin qu'elle soit mieux accepter. Tant qu'il n'y aura pas plus de femmes à de hautes responsabilités, le système continuera de fonctionner comme ça"Pixar serait-il le royaume du machisme ? John Lasseter un misogyne patenté ? Ce n'est pas la première fois que Pixar subit des problèmes de production (Brad Bird avait repris Ratatouille à Jan Pinkava) mais le renvoi de Chapman avait fait plus de bruit que d'habitude. D'abord parce que le film avait été vendu par Lasseter himself comme le premier projet féministe du studio, qui plus est porté par une femme. Ensuite parce que l'histoire de Rebelle raconte la prise de pouvoir d'une jeune femme, sa volonté de prendre son destin en main dans un monde régenté par les hommes... forcément, dans ce contexte, le débarquement de Chapman ressemblait à une belle faute de communication et avait un peu écorné l'image progressiste qu'avait voulu se donner Pixar. Et tant que le studio n'aura pas donné sa version de l'histoire (s'il le fait un jour), Chapman sera en droit de dénoncer le machisme ambiant d'Hollywood et du cinéma d'animation en particulier...Jusque là, reste le film, féérie médiévale et beau portrait d'une relation mère/fille compliquée, qui continue d'attirer les spectateurs français.